By | 3 janvier 2021

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Mathias Ledroit [1]                           Aude Plagnard [2]
Université Gustave Eiffel         Université Paul-Valéry, Montpellier 3
LISAA-EMHIS                            EA 740 IRIEC

Résumé : Cet article porte sur certaines des stratégies de communication mises en œuvre par la Maison Royale d’Espagne dans les médias publics et notamment par rapport à la série Isabel et dans le reportage Rey Felipe, 50 años (diffusé sur RTVE le 25/01/2018). Contrairement aux théoriciens de l’époque moderne qui ont sacralisé la dignité royale et divinisé la personne du souverain, les spécialistes en communication du XXIe siècle développent des stratégies de storytelling qui, à l’inverse, humanisent le souverain. Pour ce faire, ils favorisent un processus d’identification complexe, destiné à assurer la légitimité de l’institution monarchique et la continuité de la Couronne, à une époque où celle-ci est de plus en plus contestée par la société civile espagnole. Nous abordons ici la question du lien entre le roi et ses sujets en nous intéressant plus précisément à deux corpus qui mettent en jeu des mécanismes inverses d’identification du téléspectateur à la figure royale. Alors que la série Isabel multiplie les supports de l’identification avec une figure historique fondatrice de la légitimité monarchique, le documentaire Rey Felipe, 50 años modèle le caractère exceptionnel du monarque à partir d’une codification affectée de sa vie familiale.
Mots-clés : Isabel (série), Radio TeleVisión Española, médias publics espagnols, communication de la Maison Royale d’Espagne, légitimation de la monarchie, représentation de la Couronne d’Espagne.

Título: De Isabel a los 50 años de Felipe VI (2012-2018): acerca del storytelling regio
Resumen: Este artículo estudia algunas de las estrategias de comunicación desarrolladas por la Casa Real de España en los medios públicos, a través de dos ejemplos: indirectamente, en una visita al rodaje de la serie Isabel; directamente en el reportaje Rey Felipe, 50 años (emitido por RTVE el 25/01/2018). Al contrario de las teorías de la época moderna, que sacralizaron la dignidad regia y divinizaron la persona del soberano, los especialistas en comunicación del siglo XXI desarrollan estrategias de storytelling que humanizan al soberano y favorecen la identificación de los espectadores, con el fin de legitimar la institución monárquica y la continuidad de la Corona, en una época en la que crecen las críticas en la sociedad civil española. Planteamos aquí la cuestión del vínculo entre el rey y los súbditos enfocando dos corpus que ponen en juego mecanismos de identificación inversos del espectador de televisión con la figura regia. Mientras que la serie Isabel multiplica los soportes de identificación con una figura histórica fundadora de la legitimidad monárquica, en el documental Rey Felipe, 50 años, al contrario, el carácter modélico del monarca procede de una codificación afectada de su vida familiar.
Palabras clave: Isabel (serie), Radio TeleVisión Española, medios públicos españoles, comunicación de la Casa Real de España, legitimación de la monarquía, representación de la Corona española.

Title: From Isabel to Philip VI’s 50th birthday (2012-2018): a Royal Storytelling
Abstract: This article deals with some of the strategies that the Royal House of Spain have developed in public media. Two specific examples are discussed: the communication about the series Isabel and the TV report Rey Felipe, 50 años (RTVE, 01/25/2018) about the King’s birthday. Unlike modern theorists, who sanctified royal dignity and divinised the sovereign, communication specialists from the XXIst century have developed a narrative in order to make him closer to the people thanks to a complex process of identification. The aim of this strategy is to legitimate the Monarchy and the permanence of the Crown, at a time when discordant voices have flourished in the Spanish civil society. The relationship between the King and his subjects will be examined through two specific corpora that use opposite mechanisms of identification to the royal figure. On the one hand, the series Isabel multiplies the supports of identification with the first historic figure of Spanish modern monarchy, on the other hand, the report Rey Felipe, 50 años shapes Philip VI’s exceptionality by referring to an affected family life.
Keywords: Isabel (series), Radio TeleVisión Española, Spanish public media, communication of the Royal House of Spain, legitimation of the monarchy, representation of the Spanish crown.

Pour citer cet article – To cite this article : Ledroit, Mathias & Plagnard, Aude, 2021, « D’Isabel aux 50 ans de Philippe VI (2012-2018) : autour du storytelling royal », coord. par Catherine Berthet Cahuzac, Cahiers d’études des cultures ibériques et latino-américaines, no 7, <https://cecil-univ.eu/C7_5>, mis en ligne le 18/12/2020, consulté le jj/mm/aaaa, DOI : https://doi.org/10.21409/c7_5.

 

Reçu – Received :                      19.12.2019
Accepté – Accepted :               13.03.2020

 

Introduction[3]

Le fondement principal de tout État est l’obéissance des sujets envers leur supérieur, et celle-ci se fonde sur l’éminence de la vertu du prince […] Mais l’important est que la prééminence du prince ne soit pas consacrée à des choses inappropriées et n’ayant aucun poids, ou presque, mais à des choses qui élèvent l’esprit et l’intelligence et qui apportent une grandeur presque céleste et divine et rendent l’homme véritablement supérieur et meilleur que les autres[4].

  1. C’est ainsi que Giovanni Botero théorise, dans De la raison d’État, la relation du monarque avec ses sujets. La question de la représentation du souverain en découle, laquelle traverse l’ensemble de la pensée politique, médiévale et moderne. Les théoriciens et les arbitristas, notamment dans les miroirs des princes – genre foisonnant dans l’Espagne moderne –, offrent aux souverains des conseils voués à consolider leur légitimité et leur majesté par l’intermédiaire d’un système de représentations qui renforce le lien d’amour qui les unit à leurs sujets, tout en les plaçant dans une position d’exception. Cette mise en scène passe par la multiplication de symboles visibles dans l’espace public, mais aussi par l’étiquette ou encore par des cérémonies majestueuses, telles que les entrées royales, dont la dramaturgie n’a eu de cesse de se complexifier avec le temps.
  2. La sécularisation et la démocratisation de nos sociétés occidentales n’ont pas, pour autant, fait disparaître ces questions. Au contraire, la représentation de la Couronne est toujours d’actualité, voire plus pressante encore au fur et à mesure que l’institution monarchique est perçue comme contradictoire avec la démocratie. Elle s’accompagne d’une évolution des instruments de représentation et des modalités discursives mobilisées par le pouvoir. Aujourd’hui, c’est en effet davantage par le canal audiovisuel que le roi entretient et ravive ce lien d’amour dont il tire autorité et légitimité. Ainsi, la couronne administre l’image royale à l’heure où les sujets sont des téléspectateurs. Le roi d’Espagne est particulièrement conscient de cet enjeu, lui qui a épousé une journaliste et présentatrice de télévision en 2004, avant de monter sur le trône en 2014. Or, la dernière décennie a vu se développer en Espagne des productions télévisuelles consacrées à l’institution monarchique, au moment même de la fin tourmentée du règne de Juan Carlos (scandale de la chasse à l’éléphant le 11 avril 2012 ; scandales financiers jusqu’à l’abdication du 2 juin 2014).
  3. Nous explorons l’hypothèse selon laquelle, dans les médias publics (RTVE, pour le cas espagnol), la représentation de la couronne n’implique pas la seule représentation du monarque actuellement régnant ; elle s’étend aussi à l’ensemble des représentations de l’institution monarchique, y compris indirectement, lorsqu’il s’agit de fictions historiques dont la couronne ne supervise pas directement la réalisation.
  4. Nous analyserons ici ces deux types d’influence de la monarchie, direct et indirect, à travers deux exemples. D’un côté, les séries à succès retraçant les origines modernes de l’institution – Isabel (2012-2014) suivie de Carlos, Rey Emperador (2015) en sont deux témoins. De l’autre, l’un des nombreux reportages consacrés à Philippe VI depuis son avènement en 2014, à l’occasion de son cinquantième anniversaire. Ces deux corpus mettent en jeu des mécanismes inverses d’identification du téléspectateur à la figure royale. Alors que la série Isabel multiplie les supports de l’identification avec une figure historique fondatrice de la légitimité monarchique, le documentaire diffusé en janvier 2018 en l’honneur du cinquantième anniversaire du roi fonde le caractère exceptionnel du monarque sur une normalisation affectée de sa vie familiale. À travers ces documents aux supports divers – filmiques, textuels et photographiques –, il s’agira d’observer le véritable storytelling mis en place par la Maison Royale et RTVE. L’arc chronologique ample auquel recourent ces représentations de la monarchie, entre le XVIe et le XXIe siècles, est constitutif des modalités discursives de l’institution pour assurer sa légitimité, sa stabilité et sa pérennité.

1. La persuasion d’un passé à l’image du présent

1.1. Une généalogie renouvelée

  1. En 2013, la série Isabel a conclu sa deuxième saison. Elle s’ouvre sur la promesse de la prise de Grenade[5] et se ferme par l’image des trois navires de Christophe Colomb voguant vers les nouveaux horizons américains au coucher du soleil : 1492, année charnière entre la Reconquista et la Conquista.
  2. Le 19 février 2014, le tournage en arrive au dernier épisode de la troisième et dernière saison. Ainsi, c’est pour la mort fictive d’Isabelle la Catholique, point d’orgue de la série, que les héritiers de la couronne, Philippe de Bourbon et Letizia Ortiz, assistent au tournage et rencontrent ainsi les acteurs qui incarnent les origines de l’État moderne espagnol. Un reportage, soigneusement orchestré par RTVE pour l’occasion, immortalise cette rencontre, qui a soin de mettre en valeur une rencontre symbolique, par laquelle se rejoignent deux points clef de l’histoire de la monarchie, distants de cinq siècles[6].
  3. Par un bon mot attendu du public, Philippe de Bourbon s’exclame, en donnant l’accolade à Rodolfo Sancho (Ferdinand le Catholique dans la fiction) : « ¡Hombre, que ya tenía ganas de ver a mi antepasado[7]» Au fil de ce reportage, l’héritier reconnaît (on pourrait presque dire, adoube) ceux qu’il appelle lui-même ses nouveaux ancêtres. Pour le dire autrement, la politique audiovisuelle de Radio TeleVisión Española permet à Philippe de Bourbon de créer sa propre généalogie, enjambant en quelque sorte ses prédécesseurs et au premier chef son père, Juan Carlos Ier, dont il prend officiellement la succession le 19 juin 2014 – quatre mois jour pour jour après le reportage en question, en vertu d’une coïncidence évidemment fortuite. L’opération est opportune dans un contexte où l’héritage de Juan Carlos Ier n’est pas favorable à l’image du nouveau roi. Son père a souffert une série de revers médiatiques et juridiques qui poussent plutôt l’héritier à affirmer sa différence vertueuse. Pour restaurer l’image de la dignité royale et repenser la continuité dynastique, il est ainsi opportun de renvoyer à une femme, première reine moderne, une reine catholique dont la moralité et la probité constituent un lieu commun de l’historiographie.
  4. Au fil de ce reportage, la fiction et l’actualité s’entrecroisent en même temps que les deux couples exercent une fonction de légitimation réciproque. Les personnages de la série, à travers les acteurs Rodolfo Sancho et Michelle Jenner, incarnent l’ancienneté de la dignité royale (au-delà des changements dynastiques, des Trastamares aux Habsbourgs puis aux Bourbons), renouant directement avec ce moment fondateur de l’unification de la péninsule par la Couronne. Isabelle est, en ce sens, un personnage clef puisqu’elle incarna, tout comme prétend le faire Philippe VI en 2014, une renaissance de l’Espagne et de l’institution monarchique, après le règne chaotique de son frère Henri IV, qui poussa la Castille dans le désordre civil. La saison I de la série couvre les événements préalables à son avènement et est placée sous le signe de la mort, voire l’assassinat, du prédécesseur d’Isabelle. Dans un contexte bien sûr tout différent, Philippe VI succède à son père après un règne abrégé par l’abdication parce qu’il mettait en péril la monarchie. Quelques mois avant que Juan Carlos Ier n’annonce officiellement le projet d’abdiquer du trône, Philippe VI travaillait déjà à montrer qu’il était prêt à assumer la charge qui lui était destinée. En retour, la fiction se trouve confortée par la visite royale, en vertu d’un effet de réel parafilmique : d’après le commentaire off du reportage RTVE, « deux véritables Princes » (« dos Príncipes de verdad[8] ») garantissent le réalisme du jeu des acteurs, la dignité des personnages et le réalisme historique de la représentation, à rebours de la chronologie. L’atemporalité de la dignité royale permet ainsi à la série de se doter d’un référent historique hors fiction, en dépit de son anachronisme.
  5. Si la légitimation qui s’opère entre la Couronne et la série – entre le personnage du futur Philippe VI et le personnage d’Isabelle – est réciproque, c’est pourtant bien l’image de la monarchie actuelle qui est au centre de la composition du reportage RTVE. Les photos incluses dans l’article « Los príncipes visitan el plató de “Isabel” » (elpais.es, 19 février 2014[9]) le manifestent clairement. Le couple royal se tient au centre de la composition, assurant le lien entre l’équipe de production (à droite) et les acteurs (à gauche). Philippe de Bourbon est stratégiquement placé à côté d’Isabelle : c’est bien entre eux que se joue le lien d’héritage et de continuité, autour, donc, de la Couronne de Castille. L’entreprise de communication tient ici lieu de théorisation de l’image royale. Dans cette construction, Letizia Ortiz n’est pas en reste. Sur un plan plus médiatique, cette fois, la future reine répond au personnage d’Isabelle : deux femmes blondes, de gabarit similaire, toutes deux personnages publics. L’équipe artistique et technique et le reste des acteurs figurent quant à eux une possible métonymie de la diversité de la société sur laquelle chacun des monarques, fictif ou réel, exerce son pouvoir.
  6. Cette mise en scène de la rencontre entre le passé et le présent n’est ni accidentelle, ni fortuite. Elle s’inscrit dans un programme télévisuel dont participe RTVE, en particulier au sein des séries qu’il produit, pour construire une nouvelle histoire et, ce faisant, une nouvelle image de la monarchie espagnole.

1.2. Le roi, spectateur idéal et modèle d’une histoire RTVE

[Felipe et Letizia] se quedaron sorprendidos por la cuidadosa reproducción que se hizo de La Alhambra de Granada. Como los Príncipes tenían muy reciente la visita a la verdadera Alhambra, pudieron comprobar el cuidado y el mimo con el que está reproducido todo[10].

  1. La journaliste qui couvre la visite des deux princes n’hésite pas élever ces derniers au rang de témoins et de juges privilégiés de l’historicité de la série. Face à l’entreprise de recréation du passé castillan, le roi fait figure de spectateur idéal et premier de la série : littéralement, puisqu’il assiste aux coulisses du tournage, et symboliquement, en tant qu’on lui prête une expertise particulière. Sa capacité à apprécier la fidélité descriptive de la série est jaugée à partir d’une pièce hautement symbolique du patrimoine national et de l’histoire des Rois Catholiques : l’Alhambra de Grenade. On a déjà vu que c’est autour de la reconquête de Grenade que s’organise la deuxième saison. C’est à cet héritage que Philippe et Letizia reviennent pour juger et autoriser l’ensemble du récit. L’expression « el cuidado y el mimo con el que está reproducido todo[11] » précise la nature du lien établi entre le roi, premier spectateur, et les directeurs de la série. Il est caractérisé à la fois par la fidélité résultant d’une attention particulière portée au référent historique et par l’amour, caractéristique du lien entre le roi et ses sujets, qui augmente cette fidélité.
  2. Ce second mécanisme d’autorisation de la série, concernant l’authenticité du contenu, n’est pas à prendre à la légère dans la mesure où Isabel se donne pour but non seulement de divertir les téléspectateurs, mais aussi d’informer un large public sur l’histoire nationale espagnole à travers celle de la monarchie. Il existe ainsi, en marge de la série, une section de courts métrages intitulée « curiosidades históricas », diffusée entre le 8 septembre et le 1er décembre 2014, c’est-à-dire en même temps que la dernière saison[12]. Deux personnalités y interviennent : Teresa Cunillera, assesseure historique de la série et guide à l’Alcázar de Ségovie, et Óscar Villaroel González, professeur médiéviste de l’Universidad Complutense de Madrid. Ces courtes vidéos proposent le plus souvent une réinterprétation personnelle et psychologique du destin des personnages historiques mis en fiction. On interroge ainsi les causes souvent suspectes de la mort (« ¿Murió el príncipe Juan por culpa del sexo? », « ¿De qué murió Miguel de la Paz? », « ¿Deseaba Felipe “El Hermoso” la muerte de Miguel de la Paz? »[13]), ou encore les épisodes les plus délicats d’une vie matrimoniale sulfureuse et tourmentée (« ¿Cómo fue el amor a primera vista de Juana y Felipe? », « ¿Maltrataba Felipe “El Hermoso” a Juana “La Loca”? »[14]). Dans ces brefs épisodes, les deux commentateurs interviennent successivement, tandis que défilent à l’image des passages de la série qui orientent la conversation sur différents aspects de l’événement commenté. Tandis qu’Óscar Villaroel González s’applique à énoncer les faits historiques – qu’ils soient sous-jacents aux choix d’écriture du scénario, ou qu’ils les contredisent clairement[15] –, Teresa Cunillera s’attache au contraire à donner aux personnages historiques une épaisseur psychologique facilement communicable aux téléspectateurs. Il en résulte un statut nouveau d’autorité de la fiction sur l’histoire qui met en valeur en particulier les faits les mieux à même de résonner avec les préoccupations contemporaines.
  3. L’acteur lui-même devient ainsi tout naturellement fondé à donner un avis sur son propre personnage. Une autre série de courts métrages, intitulée « #TantoMonta », réactualise, sous le signe du hashtag, la devise des Rois Catholiques. Il s’agit d’une série de courtes interviews où les acteurs, souvent présentés en couple, répondent aux questions des téléspectateurs relayées par la présentatrice Elena S. Sánchez. Le douzième programme de la série réunit ainsi Pablo Derqui (Henri IV de Castille) et William Miller (son favori don Juan de la Cueva). L’une des questions prend ainsi à parti Pablo Derqui : « ¿Crees que Enrique IV pudo haber sido homosexual? Muchos historiadores creen que sí, pero tú, ¿qué opinas[16]? » La question que les historiens n’ont pas su trancher est ainsi adressée à l’acteur qui, pour avoir incarné le personnage (en vertu d’une forme étonnante de paradoxe du comédien), doit pouvoir trouver une réponse psychologique sinon plus juste, du moins plus convaincante aux yeux du public. La réponse des deux acteurs évite bien sûr de s’engager sur le terrain de l’historicité (« puede ser… puede no ser… », nuance prudemment William Miller) démontrant par-là la faible opérativité de la fidélité historique dans les choix de direction de la série. Sa réponse se situe, au contraire, sur le terrain de la poétique : « Es interesante pensar que sí[17]… » En effet, l’homosexualité du souverain le placerait dans une situation contradictoire entre le devoir conjugal reproductif et l’orientation sexuelle, dotant ainsi le personnage d’une épaisseur psychologique contradictoire et séduisante pour le public contemporain.
  4. L’ensemble de ces éléments montre combien les acteurs du présent (du roi aux acteurs de la série) deviennent les garants de l’historicité ; la fiction peut ainsi devenir le référent premier aux yeux des téléspectateurs.
  5. Or, l’histoire ainsi reconstruite acquiert une capacité de persuasion accrue dans la mesure où elle s’inscrit dans un système intersériel où l’on retrouve les mêmes acteurs. Deux corpora participent de cette construction. D’une part, la continuation d’Isabel par la série Carlos, Rey Emperador, elle aussi conçue en forme de biographie, depuis l’accession de Charles Quint au trône jusqu’à sa mort (1516-1558). Au fil des dix-sept chapitres émis entre septembre 2015 et janvier 2016 (un an après la dernière saison d’Isabel), la série prolonge la précédente en reprenant en partie les mêmes personnages et leurs acteurs, le même langage et les mêmes structures poétiques. Dans l’intervalle entre Isabel et Carlos emperador, apparaît une autre citation, plus ponctuelle mais non moins significative, dans une autre série contemporaine : El ministerio del tiempo. On y suit trois agents du ministère du Temps espagnol, chargés de circuler dans l’histoire de l’Espagne pour en garantir la pérennité et l’immuabilité. Grâce à un système de portes temporelles, ils circulent dans le passé et évitent, en certains points stratégiques, que le cours de l’histoire ne soit altéré par un passé alternatif à celui que nous connaissons aujourd’hui. Le quatrième épisode de la première saison, intitulé « Una negociación a tiempo » (diffusé le 16 mars 2015), nous plonge directement dans les origines fictives de ce ministère singulier, qui sont attribuées, justement, à Isabelle la Catholique, incarnée à nouveau par Michelle Jenner. Le rabbin Abraham Levi aurait offert à la reine le Libro de las puertas – un ouvrage ésotérique à l’origine de la maîtrise des déplacements dans le temps – en échange d’une protection particulière à l’époque de l’expulsion des Juifs d’Espagne. Le rabbin n’ayant pas obtenu la protection escomptée (il fut brûlé par l’inquisiteur Torquemada sans que la reine en ait été informée), ses héritiers réclament compensation au ministère du Temps. La solution envisagée, une fois n’est pas coutume, consiste à altérer l’histoire pour permettre à la reine Isabelle de tenir sa parole. La patrouille est composée de trois personnages : Alonso, Amelia et Julián, qui est justement incarné par Rodolfo Sancho. Les trois agents du ministère obtiennent une audience auprès de la reine, en 1491, qui accepte d’intervenir pour réparer l’injustice. « ¡Juraría que la conozco de algo[18]! », s’exclame en aparté Rodolfo Sancho. La série joue ainsi sur la double identité de l’acteur, qui renvoie, dans ce décor et dans ce contexte historique, au personnage issu d’une autre série (Ferdinand le Catholique) plutôt qu’au sien propre (Julián). Au-delà de l’effet comique produit par la distanciation, on nous montre aussi par là la force de conviction d’Isabel au sein du régime de vérité (et d’historicité) des séries RTVE, qui gagne en autonomie.

1.3. Le personnage comme support de l’identification

  1. Les personnages d’Isabel tirent leur force de conviction de l’empathie qu’ils suscitent auprès du téléspectateur. La fonction de la série est didactique : c’est à travers le point de vue des personnages que les Espagnols doivent revisiter l’histoire nationale. Revisiter, au sens figuré comme au sens propre, puisque de nombreux projets touristiques se greffent sur l’engouement provoqué par la série et les paysages qui y sont remis au goût du jour. Ainsi le Portal Oficial de Turismo de la Junta de Castilla y León propose-t-il une « Ruta de Isabel » à travers les provinces de Ségovie, de Valladolid et d’Ávila[19]. Il n’est pas moins significatif de constater que Teresa Cunillera, conseillère historique de la série et guide de l’Alcázar de Ségovie, est aussi l’auteure d’un récit des voyages d’Isabelle, La España de Isabel, entièrement rédigé à la première personne, à la manière d’un récit autobiographique. Sur la couverture, on trouve bien sûr une photo de Michelle Jenner en Isabelle, signe que c’est la jeune femme de la série, autant que le personnage historique, qui est le support de l’identification[20].
  2. La série a en effet été pensée pour prêter au personnage historique des préoccupations psychologiques susceptibles d’éveiller l’attention du spectateur contemporain. Si c’est bien l’histoire qui fournit la trame principale de la série, de nombreux sous-ensembles narratifs sont motivés par les aventures privées de la reine. Un exemple suffit à l’illustrer : l’histoire conjugale d’Isabelle et de Ferdinand, traitée sur le mode psychologique. La nuit de noce (épisode 10) donne lieu à une scène amoureuse et érotique. C’est le cas aussi pour celles de leurs enfants, à l’exception de la consommation du mariage de Jeanne de Trastamare, présentée à travers une scène de sexe violente, suggérant le viol et soulignant l’évidente minorité de l’épouse. L’adultère de Ferdinand (épisode 15) est lui aussi traité sur le mode psychologique, puisque l’on fait coïncider l’annonce de l’infidélité de Ferdinand et de la naissance de sa fille illégitime, Juana María de Aragón, avec l’avortement que souffrit Isabelle la Catholique lors de sa seconde grossesse, comme si le choc psychologique de la nouvelle avait provoqué la perte du fœtus. Or, la fille adultère de Ferdinand le Catholique naquit en 1471, alors que l’avortement d’Isabelle eut lieu en 1475. La juxtaposition artificielle des deux événements est pensée pour forcer l’interprétation psychologique des infortunes souffertes par une reine qui suscite ainsi la compassion des téléspectateurs.
  3. La fiction fait ainsi d’Isabelle, plus qu’une reine, un personnage qui s’ajuste à l’idée que les spectateurs du XXIe siècle se font d’une femme de pouvoir. Le storytelling autour de l’image royale excède ainsi largement les seules productions orchestrées par la Maison royale. RTVE y joue un rôle majeur qui s’étend bien au-delà du domaine télévisuel.

2. Représentation de l’intimité du roi

  1. Ce processus d’identification à la figure du souverain par l’intermédiaire d’une mise en fiction est également mobilisé dans les reportages que RTVE, dans l’émission Informe Semanal, a diffusés tout particulièrement le 27 janvier 2018, à l’occasion du cinquantième anniversaire de Philippe VI : Rey Felipe, 50 años[21].
  2. Le reportage s’ouvre sur une scène du quotidien. Philippe VI, tenant l’infante Leonor par la main, descend l’escalier du palais de la Zarzuela, la résidence des rois d’Espagne depuis 1962. La jeune fille porte un uniforme scolaire. Le roi tient dans sa main gauche le cartable de sa fille. En fond sonore résonnent les premières notes de « Bitter sweet symphony » des Verve. On entend la voix de Philippe VI prononcer les mots suivants : « Me considero como cualquier otro, vamos; con mis defectos, mis cualidades, mis preocupaciones, mis frustraciones, mis alegrías: todo, ¿no? Yo creo que eso es lo que define a una persona. Para ser rey, antes hay que ser persona[22]» Philippe VI et l’infante Leonor arrivent dans le vestibule de la maison. Sofía puis Letizia apparaissent sur le côté gauche. Letizia semble pressée. Elle porte son manteau et quelques dossiers reliés. Dans le plan suivant, l’œil de la caméra nous situe à l’extérieur, sous le porche de la maison. La porte s’ouvre et nous voyons la petite famille sortir pour s’installer dans la voiture qui les attend devant. Tout comme il n’y avait pas de personnel de maison à l’intérieur, il n’y a, à l’extérieur, ni portier ni chauffeur. Letizia ouvre elle-même la porte du véhicule pour y prendre place. Les deux jeunes filles rangent leurs cartables elles-mêmes dans le coffre avant de s’installer à l’intérieur. Philippe VI referme le coffre, se dirige vers la porte par laquelle est entrée l’infante Leonor, princesse des Asturies, héritière de la Couronne. Il ferme lui-même la porte. La voiture quitte le porche d’entrée et disparaît dans les jardins, sans doute en direction de la sortie. En fond, nous entendons encore « Bitter Sweet Symphony » et la voix-off nasillarde commente : « Enero de 2018, sin apenas despuntar el alba, comienza la jornada, cada uno a sus obligaciones. Unos días toca enseñar; todos los días toca aprender[23]» Le mot « jornada » interpelle par sa polysémie puisqu’il désigne à la fois la journée de travail, le voyage, mais aussi l’acte d’une pièce de théâtre. Cette scène d’exposition, qui présente une journée quotidienne de la famille royale – la famille nucléaire – est interrompue par des images d’archives représentant Philippe VI dans son enfance. De retour au XXIe siècle, nous nous trouvons désormais à l’intérieur de la voiture, en caméra embarquée, rappelant les procédés de la télé-réalité. C’est Philippe VI qui conduit. Letizia est sur le siège passager. Les infantes se sont assises à l’arrière. Letizia demande : « ¿Tú tienes un examen, Sofía[24]» La réponse de la jeune fille n’est pas audible. Philippe VI intervient : « ¡Qué suerte[25]» De là, nous comprenons que l’infante n’a pas d’examen. Nous assistons à une scène banale de la vie quotidienne : un père et une mère qui accompagnent leurs filles à l’école avant de se rendre eux-mêmes au travail.
  3. L’entrelacs d’images d’archives et d’images actuelles sert à renforcer l’idée que la vie de Philippe VI est, comme l’insinue la bande-son, une « symphonie douce-amère ». Amère, parce que Philippe VI est né pendant la dictature franquiste. Celle-ci n’est pas encore explicitement évoquée dans le reportage, mais tout le monde a en tête la fin du régime, la Transition et les images célèbres de la tentative du coup d’État du 23 février 1981. Son enfance insouciante a dû être brutalement interrompue, explique la voix-off : « Tendrá que aprender más pronto que tarde lo que es la renuncia. Jugará con un uniforme prematuro para andar el camino de la disciplina[26]» Pendant ce temps, défilent des images d’un petit garçon insouciant qui illustrent l’apparente douceur de son enfance : il joue à la balançoire et sur un tourniquet. Nous le voyons en train d’être placé sur le dos d’un poney par son père ou encore dans un twiner, aux côtés de sa mère. Sur l’image suivante, il suit son père à moto. Une scène de complicité entre parents et enfants fait irruption à l’écran, où s’installe ensuite un gros plan sur le visage angélique d’un petit enfant blond. Le commentateur poursuit :

Aprenderá palabras bellas en distintas lenguas y tendrá que entender aquellas que jamás le hubiera gustado emplear, vivir y sentir: desastre, rencor, atentado, rabia, muerte, resentimiento. Aquel niño hablará con los poderosos, reconocerá al sabio y admirará al poeta. El destino le acompaña. El futuro les espera[27].

  1. Résonne encore, en bande sonore, la mélodie de « The Bitter Sweet Symphony », dont on n’entend jamais les paroles, et pour cause ; elles seraient en complète contradiction avec ce qui nous est montré : « Cause it’s a bitter sweet symphonie this life / Trying to make ends meet, you’re a slave to the money then you die[28] ». Cet intermède se conclut sur la phrase suivante : « El destino le acompaña; el futuro les espera[29] », avec le passage d’un singulier, renvoyant à Philippe VI, à un pluriel, renvoyant, lui, à la famille nucléaire.
  2. La seconde scène d’intimité se situe à l’extrême fin du reportage. Son début est marqué par un retour du thème musical initial. Philippe VI est en train de se préparer pour enregistrer un message télévisuel. Letizia enjoint à ses filles d’aller embrasser leur père. La voix-off commente :

Con trece años, Felipe recibió de manos de su padre el collar de la insigne orden del Toisón de oro. Ahora será él quien imponga el collar a su hija Leonor. Para ello, el rey ha elegido el día de su quincuagésimo cumpleaños, que sellará de manera única y espléndida el espíritu de continuidad de la Corona[30].

  1. L’enregistrement du message royal en est à un moment de pause. Les deux filles viennent embrasser leur père, non sans une certaine complicité. La minute suivante, la caméra nous situe dans une scène de genre : le déjeuner de la famille royale. Il n’y a personne d’autre dans la salle à manger que le roi, la reine et les deux princesses, et quelques photographes que nous ne voyons pas mais dont nous entendons les appareils. Sur un plan, on observe la table qui est de taille modeste : seuls peuvent y tenir quatre personnes. Elle est sobrement dressée et ronde, symbole de l’équité et de l’équidistance. La famille est seule dans la pièce. Aucun personnel de maison n’est présent. Si l’on ne prête pas attention à la disposition de la table, on pourrait penser qu’elle a été dressée par la famille royale elle-même. Pourtant, la disposition des assiettes, des couverts et des verres n’est pas sans rappeler celle d’un restaurant luxueux. Au centre de la table se dresse une carafe d’eau. Seul Philippe VI a, devant lui, un fond de verre de vin blanc. La caméra nous montre ensuite une soupière, posée sur une desserte : c’est le menu du jour. À côté, un plateau sur lequel sont posés des récipients, d’huile et de vinaigre, du sel, du poivre et ce qui semble être de la vinaigrette. Pendant que Letizia assure elle-même le service en posant l’assiette de l’infante Sofía sur la table, Philippe VI caresse la main de sa fille Leonor. Le déjeuner a commencé. Leonor, l’héritière de la Couronne, tient sa cuiller de la main gauche, un aspect que les journaux n’ont pas manqué de souligner, rappelant qu’elle a pourtant l’habitude de saluer de la main droite. La soupe est chaude ; l’héritière se brûle la langue, pendant que sa sœur cadette la regarde en riant. La scène suivante nous replace au moment de l’enregistrement du message de la Couronne. Les deux fillettes jouent avec le micro de leur père. Une image d’archives montre le prince Philippe enfant, en train de souffler les bougies de son gâteau d’anniversaire et de jouer avec ses cadeaux, en compagnie de son père, Juan Carlos. De retour au XXIe siècle, Leonor revient vers son père, fait mine de l’embrasser, de loin, pour ne pas abîmer son maquillage. Puis c’est au tour de sa sœur, Sofía qui glisse une phrase au creux de l’oreille de son père. Nous n’entendons pas ce que l’infante lui dit, mais Philippe VI rit. Le reportage se conclut sur l’image de ce rire du roi-père, comblé de bonheur pour le jour de ses cinquante ans. Tout au long de ces dernières scènes, la voix-off conclut en prononçant ses derniers mots, avant que ne soit envoyé le générique de fin :

50 dividido entre 4, ya no son tantos. Se trata simplemente de compartirlos. La mesa está puesta y el día a la mitad. Queda tiempo para la sonrisa pícara, la mirada cómplice. Son ellas las que hacen posible que 50 pueda dividirse entre 4. Cumpleaños es una palabra inapelable. Al final, la cifra no baja ni con la literatura fantástica ni por mucho que las cuentas las eche un rey. Por eso hay que buscar la compañía. La mejor compañía de la palabra cumpleaños es feliz[31].

  1. Ces deux scènes symétriques, placées en introduction et en conclusion du reportage, sont liées par le thème musical. Elles ont en commun de représenter l’intimité de la famille royale. Dans ces quelques moments d’intimité, seuls apparaissent à l’écran Philippe VI, Letizia et leurs deux filles. Les autres membres de la famille royale sont absents : on ne les voit que dans les images d’archives, c’est-à-dire au passé, comme s’il y avait eu une rupture volontaire, une mise à l’écart. Dévoiler l’intimité du souverain répond à une critique formulée par la société espagnole, nous apprend un article paru pour l’occasion dans El País :

Una de las críticas más recurrentes que reciben los Reyes de España tiene que ver con el hermetismo con el que llevan su vida privada a diferencia de otras casas reales. Pero con motivo del 50 cumpleaños de don Felipe […], el Monarca ha hecho una excepción y ha permitido que un fotógrafo del palacio de la Zarzuela obtenga imágenes de su vida más cotidiana, esa a la que muy pocos tienen acceso. La difusión de esas instantáneas tomadas en su casa son la manera con la que don Felipe ha querido celebrar su aniversario. No con rígidos posados oficiales[32].

  1. Le terme « intimité » n’est pas sans poser problème. D’une part, parce que les scènes qui nous sont montrées ne représentent pas l’intimité du souverain et de sa famille, mais leur quotidien. Tout au plus pourrions-nous dire qu’elles représentent, par instant, le souverain dans des scènes de complicité avec ses filles, comme par exemple lorsque Philippe VI caresse la main de Leonor à table. D’autre part, parce que ces images sont une marque déposée de la Maison Royale comme l’indique, en haut à droite de l’écran, la mention « © Casa de S.M. el Rey ». Enfin, parce que la notion d’intimité du roi n’existe pas d’un point de vue juridique. Un commentaire de l’article 62 de la Constitution de 1978 stipule en effet que « […] a nadie se le oculta que todos los actos del Rey, incluso los relativos a su más estricta vida privada, tienen relevancia política[33]. » En d’autres termes, le roi et la famille royale sont constamment en représentation. Aussi, toute publication d’une représentation du roi a un sens politique et participe à la construction d’une fiction qui place le roi au centre d’une mystification, qui en fait, pour reprendre l’expression d’Ernst Kantorowicz, une « persona ficta [qui est] le résultat d’une fiction à l’intérieur d’une fiction[34] » apparente. Ainsi, malgré sa trivialité, cette mise en scène a-t-elle une fonction politique dont la clé de voûte se situerait, en partie, dans cette représentation de l’intimité du souverain. Le caractère volontiers inédit de ces images, autorisées par le souverain lui-même pour rompre, selon des termes qui lui ont été prêtés par la presse, avec la tradition « rigide » des poses officielles, participe déjà de cette mystification. Elle en est, pour ainsi dire, le point de départ.
  2. Les pistes qu’offre l’étude de cette mystification politique sont nombreuses et il ne sera pas ici question de prétendre à l’exhaustivité, mais davantage de se concentrer sur un aspect précis et central, à savoir la façon dont la mise en scène de l’intimité du souverain constitue un moyen de raviver le lien entre le roi et ses sujets d’une part et, d’autre part, d’assurer la pérennité et la suprématie de la Couronne.

2.1. Raviver le lien entre le roi et ses sujets

  1. La légitimité et l’autorité du souverain puisent leurs racines à la fois dans le respect qu’impose la Couronne, maiestas, et dans le lien d’« amour » et d’affection qui unit le prince à ses sujets. Dans la pensée politique de l’époque moderne, l’admiration suscitée par le prince est au fondement de ce lien d’amour. L’un des moyens envisagés par les penseurs pour conserver ce lien est, justement, la représentation, le gouvernement en personne, c’est-à-dire, la mise en scène du souverain. L’arbitrista Baltasar Álamos de Barrientos, dans son Discurso político de 1598, conseille en effet au jeune Philippe III de se présenter face à ses sujets pour entretenir leur fidélité et, ainsi, éviter toute tentative de rébellion de leur part :

Ante todas cosas, Vuestra Magestad debe visitar todos sus reinos, empezando de los de Aragón y parando en el de Portugal. Y dando luego muestra de que lo de hacer así, para que se entretengan en la esperanza con la visita muy necesaria, y confesada por tal en los principios por los príncipes nuevos, confirmará los ánimos de sus pueblos, y con esta presencia, digna verdaderamente de la dignidad real, los inclinará a sí[35].

  1. Si ce principe semble encore d’actualité, les modalités discursives ont, quant à elles, évolué. Elles sont soumises aux structures idéologiques de la société dans laquelle elles se développent et évoluent. Dès lors, l’étude de cette mise en scène suggère, dans un premier temps, de discerner les structures sociétales sur lesquelles se fonde cette mystification politique.
  2. Cette mise en scène est, avant tout, à replacer dans le contexte des critiques formulées à l’encontre de l’institution et, plus encore, à l’adresse de Juan Carlos : ses supposées relations extraconjugales, ses dépenses, son safari, au plus fort de la crise, qui l’avaient contraint à présenter publiquement ses excuses : « Lo siento, me he equivocado, no volverá a ocurrir[36]. » Il convient également de mentionner le scandale financier au cœur duquel se trouvaient l’infante Cristina et son époux Urdangarín. En accédant à la charge de chef d’État, Philippe VI rompt avec le passé récent de sa famille. Dans les différents reportages consacrés au monarque et aux premiers temps de son règne, l’accent est mis sur la question de la transparence de la Maison Royale, la réduction de ses dépenses, mais aussi sur la révocation du titre de duchesse de Palma de Mallorca à l’infante Cristina. Quand on regarde les images de la proclamation de Philippe VI devant les Cortès en 2014, celle-ci est d’ailleurs absente.
  3. Dans la mise en scène de l’intimité du roi, on insiste sur la sobriété de son train de vie. Aucun personnel de maison. C’est lui qui accompagne ses filles à l’école. Au déjeuner, c’est Letizia qui assure le service. Une seule soupe semble inscrite au menu. L’eau de la carafe posée au centre de la table paraît avoir été tirée du robinet. Un seul verre à vin, modestement rempli. Aucun luxe ; aucune ostentation. Sur une des images, on remarque un contraste flagrant : la famille royale a délaissé la grande table rectangulaire luxueuse au profit d’une autre, plus petite et ronde. La symbolique de la table ronde et celle de la soupière sont également fortes : personne ne préside à la table – la notion de chef de famille / chef de l’État est gommée – et tous se servent au pot commun. La hiérarchie semble effacée au profit d’une équidistance parfaite, symbole d’équité, entre les différents membres de la famille. La juste distance ainsi prêtée au roi par rapport aux membres de sa famille fonctionne aussi comme une allégorie politique, qui rappelle la supposée neutralité du souverain face aux partis politiques. Philippe VI y prétendait dans son discours de proclamation aux Cortes, en 2014:

La independencia de la Corona, su neutralidad política y su vocación integradora ante las diferentes opciones ideológicas, le permiten contribuir a la estabilidad de nuestro sistema político, facilitar el equilibrio con los demás órganos constitucionales y territoriales, favorecer el ordenado funcionamiento del Estado y ser cauce para la cohesión entre los españoles[37].

2.2. Réaffirmer la pérennité et la suprématie de la couronne

  1. Outre la sobriété, cette mise en scène suggère le bonheur familial le plus complet. Philippe VI est représenté en bon père de famille. Les scènes d’intimité proprement dite – ou plutôt celles de complicité – le représentent avec ses filles. Toutefois, il convient de souligner que c’est avec sa fille aînée, Leonor, que le souverain entretient la plus grande complicité. C’est elle qu’il tient par la main en descendant les marches de l’escalier au début du reportage. C’est sa porte à elle qu’il referme avant de prendre place au volant. Letizia, pour sa part, s’occupe davantage de la cadette, Sofía. L’un des commentaires finaux nous renseigne. Cette complicité avec sa fille aînée n’a rien de fortuit. C’est à elle qu’il remettra la Toison d’Or le jour de son cinquantième anniversaire, pour assurer la permanence de la Couronne. Cette complicité a donc bien une valeur politique qui consiste à propulser et à promouvoir la jeune fille non plus simplement en tant que fille aînée du couple royal mais en tant qu’héritière de la Couronne. L’ordre de la Toison d’Or est lui aussi symbolique, puisqu’il inscrit la dynastie des Bourbons dans un continuum avec la maison des Habsbourg, l’ordre ayant été introduit en Espagne par Charles Quint.
  2. Cette complicité entre Leonor et Philippe VI constitue un point d’articulation entre la sphère privée et la sphère publique. En effet, au sujet de la Couronne, les constitutionnalistes affirment que :

Porque la Corona no muere jamás, simboliza más fuertemente el cuerpo político y es su mejor factor de integración. De ahí también que su supremacía de posición (maiestas) sea mayor que la de una jefatura de Estado republicana, que precisamente se diferencia de la monarquía por su carácter temporal[38].

  1. On comprend ici que l’intimité devient synonyme de majesté. Le concept de maiestas désigne l’ensemble des attributs par lesquels la royauté impose au peuple respect, admiration et soumission. Le choix de Philippe VI de rompre avec le côté rigide des photos officielles pour offrir aux Espagnols des images inédites le représentant dans son intimité constitue, par conséquent, une redéfinition des modalités d’expression de la maiestas. La monarchie ne cherche plus à s’imposer par son caractère majestueux et ostentatoire, comme cela est encore le cas de la Couronne britannique, avec des cérémonies telles que l’ouverture de la session parlementaire. Au contraire, Philippe VI opte davantage pour la simplicité, la sobriété et renvoie l’image d’une famille modèle et, dès lors, exemplaire en ces temps de crise et de changement, où il est de moins en moins acceptable qu’une famille vive dans l’opulence alors que le chômage touchait environ 17 % de la population active[39], que le salaire minimum était de 735,90 euros mensuels[40] et que nombreuses ont été les familles expulsées de leur logement et à qui l’on a imposé des mesures d’austérité. Il y a donc bien une tension dans ce système de représentation dans l’image de Philippe VI qui est d’une part conditionnée par les exigences des Espagnols et, d’autre part, par les exigences de la Couronne, dont il faut assurer la pérennité.

Conclusion : la juste distance

  1. Ernst Kantorowicz a montré que, dans la pensée de Dante, il existe une distinction entre la personne du roi et la dignité royale. Ainsi l’auteur a-t-il séparé, dans la Divine Comédie, le pape en tant qu’individu, Benedetto Gaetani, et la dignité papale, Boniface VIII[41]. On observe, a priori, dans le reportage cette même distinction, bien qu’il faille apporter d’importantes nuances. L’entrelacs d’images d’archives et de scènes de genre dans lesquelles Philippe VI est représenté dans son intimité, illustre cette distinction. Il y a, d’un côté, le « roi constitutionnel » – expression abondamment employée dans l’ensemble des reportages sur Philippe VI – et de l’autre, Philippe de Bourbon Grèce. Si le premier est mesuré à l’aune de son respect scrupuleux de la Constitution, dont il tire sa légitimité en tant que souverain, le second est, lui, mesuré d’après la norme humaine. Il s’agit donc de montrer que la personne est digne de la Couronne. Mais, simultanément, la représentation de son quotidien, à laquelle on donne volontairement le nom d’intimité, a pour but de le montrer dans toute son humanité, terme qu’il convient de saisir, ici, dans toute sa polysémie. Qualitativement d’abord : son comportement véritablement humain mis en scène grâce à des procédés proches de ceux de la télé-réalité (caméra embarquée, discussion banale dans la voiture, scène de déjeuner, etc.). Quantitativement ensuite : malgré sa dignité souveraine, il n’en reste pas moins un homme comme les autres, qui contribue, à l’instar des autres Espagnols, à la vitalité de la nation. À un détail près : la redéfinition d’une maiestas construite sur la simplicité du train de vie du monarque contribue à lui conférer une humanité supra-humaine, dans laquelle prend tout son sens la fiction du primus inter pares. Le spectateur est donc face à un double processus visant à affirmer l’humanité du prince pour réaffirmer sa supériorité et consolider son statut de tête de l’État, à la fois dans sa dignité et dans son humanité, comme nous le rappelle encore ce commentaire de la Constitution de 1978 : « El carácter “soberano” del monarca reside en el hecho de que se encuentre en el vértice de la organización estatal[42]. »
  2. Tout comme son respect de la Constitution le rehausse au-dessus de cette dernière en consacrant les principes d’inviolabilité et d’irresponsabilité décrits dans l’article 56.3, sa conformité aux codes sociétaux tend à le transformer en modèle à suivre, posant ainsi les jalons d’un soft power de la monarchie sur les standards sociétaux. Dans le même temps, la série Isabel reproduit le même processus dans un sens exactement inverse, dotant le roi d’un ancêtre rendu à la fois modélique par l’histoire et familier par la fictionnalisation. En dernière instance, Philippe de Bourbon se fait le garant de cette fiction qui contribue, en retour et en amont, à sa propre légitimation. L’ensemble de ces réflexions étaie l’hypothèse, voire le sentiment populaire, d’une partialité des médias publics (en l’occurrence RTVE) vis-à-vis de la Maison royale, comme l’a récemment rappelé la polémique autour des vœux royaux de Noël 2019.

Références bibliographiques

Sources textuelles, audiovisuelles, touristiques, de presse

abc.es, 2014, « Los Príncipes asisten a la muerte de la Reina en el rodaje de la serie “Isabel” », 20 février, <https://www.abc.es/espana/20140219/abci-isabel-fernando-serie-201402191348.html>, consulté le 29/06/2020.

elpais.es, 2014, « Los príncipes visitan el plató de “Isabel” », 14 février, <https://elpais.com/cultura/2014/02/19/television/1392832768_215906.html>, consulté le 29/06/2020.

Cunillera, Teresa, 2013, La España de Isabel: un viaje por los lugares que marcaron la vida de la reina, Barcelona, Lunwerg, <https://www.planetadelibros.com/libro-la-espana-de-isabel/114928#soporte/114928>, consulté le 29/06/2020.

Galaz, Mábel, 2018, « La intimidad de Felipe VI », El País, 29 janvier, <https://elpais.com/politica/2018/01/27/actualidad/1517053094_829030.html>, consulté le 16/04/2019.

Junta de Castilla y León, « Ruta de Isabel », <https://www.turismocastillayleon.com/es/arte-cultura-patrimonio/grandes-rutas/ruta-isabel>, consulté le 15/10/2019.

RTVE 1, 2014, « Los príncipes de Asturias, en el rodaje de Isabel », 19 février, <http://www.rtve.es/alacarta/videos/isabel/td1-principes-asturias-rodaje-isabel/2406308/>, consulté le 16/09/2019.

RTVE 1, 2014, « ¿Es verdad que Carlos I nació en una letrina? », Curiosidades históricas, diffusée le 27 octobre, <http://www.rtve.es/alacarta/videos/isabel/isabel-verdad-carlos-nacio-letrina/2809241/>, consulté le 30/09/2019.

RTVE 1, 2014, « Programa 12. Pablo Serqui y William Miller », Tanto Monta, diffusée le 18 novembre, <http://www.rtve.es/alacarta/videos/tanto-monta/tanto-monta-programa-12-pablo-derqui-william-miller/2865227/>, consulté le 30/09/2019.

RTVE 1, 2018, Informe Semanal, 27 janvier, <http://www.rtve.es/alacarta/videos/informe-semanal/informe-semanal-rey-felipe-50-anos/4441325/>, consulté le 16/04/2019.

Appareil critique

Abellá Matesanz, María, 2003, « Sinopsis artículo 56 [de la Constitución de 1978] », publié sur le site du Congreso de los diputados, <http://www.congreso.es/consti/constitucion/indice/sinopsis/sinopsis.jsp?art=56&tipo=2>, consulté le 16/04/2019.

Álamos de Barrientos, Baltasar, 1990, « División de los reinos de la monarquía española », Discurso político al rey Felipe III al comienzo de su reinado , édition de Modesto Santos, Barcelone, Anthropos [1598].

Botero, Giovanni, 2014, De la raison d’État, traduction et présentation de Pierre Benedittini et de Romain Descendre, Paris, Gallimard [1589].

Cros, Edmond, 2016, « La notion de totalité. Structures binaires et morphogénèse. Le sujet en tant que Tout », <https://www.sociocritique.fr/?La-notion-de-Totalite-Structures-binaires-et-morphogenese>, consulté le 15/10/2019.

Kantorowicz, Ersnt, 2000, Les deux corps du roi [1957], dans Œuvres, Paris, Gallimard.

Merino Merchán, José Fernando, 2003, « Sinopsis artículo 62 [de la Constitución de 1978] », publié sur le site du Congreso de los diputados, <http://www.congreso.es/consti/constitucion/indice/sinopsis/sinopsis.jsp?art=62&tipo=2>, consulté le 16/04/2019.

 

Notes

[1] Mathias Ledroit est maître de conférences en civilisation de l’Espagne moderne et contemporaine à l’Université Paris-Est Gustave Eiffel. Spécialisé en histoire et en littérature catalanes des XVIe et XVIIe siècles, ses recherches portent principalement sur les relations entre la Catalogne et le gouvernement royal de la Monarchie Catholique par l’étude, notamment, de la diplomatie de la ville de Barcelone.

[2] Aude Plagnard est maîtresse de conférences en littératures comparées à l’Université Paul-Valéry de Montpellier. Ses recherches portent sur le genre épique à l’époque moderne et sur les étroites relations littéraires et politiques qui lièrent alors l’Espagne et le Portugal. Elle coordonne aussi la publication numérique pour le projet d’édition de la polémique suscitée par la nouvelle poésie de Luis de Góngora développé par Mercedes Blanco au sein du Labex OBVIL. Signature institutionnelle : Univ Paul Valéry Montpellier 3, IRIEC EA 740, F34000, Montpellier, France.

[3] Nos remerciements vont à Guillaume Videlier pour ses conseils et sa relecture attentive de l’article.

[4] Botero 2014, pp. 82-83.

[5] Il s’agit d’un épisode anticipé, une prolepse, qui ouvre la saison par son point d’arrivée, de même que le couronnement d’Isabel ouvre et ferme la première saison, et la mort d’Isabel la troisième, selon une rhétorique manifestement et intentionnellement répétitive.

[6] RTVE 1, « Los príncipes de Asturias, en el rodaje de Isabel », reportage diffusé le 19 février 2014.

[7] « Ma foi, il était temps, j’avais hâte de voir mon ancêtre ! »

[8] RTVE 1, « Los príncipes de Asturias, en el rodaje de Isabel ».

[9] elpais.es, « Los príncipes visitan el plató de “Isabel” », 14 février 2014.

[10] abc.es, « Los Príncipes asisten a la muerte de la Reina en el rodaje de la serie “Isabel” », 20 février 2014 : « [Philippe et Letizia] ont été surpris par le soin qui a été apporté à la reconstitution de l’Alhambra de Grenade. Comme le prince et la princesse avaient visité très récemment le vrai palais de l’Alhambra, ils ont pu constater le soin et la délicatesse avec lesquels a été reconstitué l’ensemble. »

[11] « le soin et la délicatesse avec lesquels a été reconstitué l’ensemble »

[12] La section « curiosidades históricas », disponible sur la page web de la série, est composée de 43 épisodes.

[13] « Le Prince Jean est-il mort à cause du sexe », « De quoi Miguel de la Paz est-il décédé ? », « Philippe le Beau souhaitait-il la disparition de Miguel de la Paz ? ».

[14] « Comment fut le coup de foudre de Jeanne et Philippe ? », « Philippe le Beau maltraitait-il Jeanne la Folle ? ».

[15] C’est le cas, par exemple, dans l’épisode intitulé « ¿Es verdad que Carlos I nació en una letrina? » (RTVE 1, Curiosidades históricas, 27/10/2014.

[16] RTVE 1, « Programa 12. Pablo Serqui y William Miller », Tanto Monta, 18/11/2014 : « Penses-tu qu’Henri IV de Castille a vraiment pu être homosexuel ? Beaucoup d’historiens le pensent, mais toi, quelle est ton opinion ? » Nous adaptons l’orthographe et la ponctuation.

[17] Ibid. (39’) : « Il est intéressant de le penser… »

[18] « Je jurerais la connaître de quelque part ! »

[19] Junta de Castilla y León, « Ruta de Isabel ».

[20] Cunillera 2013.

[21] Dans l’émission Informe Semanal de Radio Televisión Española, diffusée le 27/01/2018.

[22] « Disons que je suis comme tout le monde ; avec mes défauts, mes qualités, mes soucis, mes frustrations, mes joies : tout, n’est-ce pas ? Je pense que c’est ce qui définit une personne. Pour être un roi, il faut d’abord être une personne. »

[23] « En janvier 2018, avant même que l’aube ne se lève, la journée de travail commence, chacun vaque à ses occupations. Certains jours, il faut enseigner ; tous les jours, apprendre. »

[24] « Toi, tu as un contrôle, Sofía ? »

[25] « Quelle chance ! »

[26] « Il devra apprendre au plus tôt ce qu’est le renoncement. Enfant, il jouera avec un uniforme pour arpenter le chemin de la discipline. »

[27] « Il apprendra de beaux mots dans différentes langues et devra comprendre ceux qu’il n’aurait jamais aimé utiliser, vivre ni ressentir : désastre, rancœur, attaque, rage, mort, ressentiment. Cet enfant parlera avec les puissants, reconnaîtra les sages et admirera les poètes. Le destin l’accompagne. L’avenir les attend. »

[28] « Parce que cette vie est une symphonie douce-amère / En essayant de joindre les deux bouts, tu es un esclave de l’argent, puis tu meurs ».

[29] « Le destin l’accompagne ; l’avenir les attend. »

[30] « À treize ans, Philippe reçoit de son père le collier de l’ordre prestigieux de la Toison d’or. Il lui revient maintenant de le remettre à sa fille Leonor. Pour ce faire, le roi a choisi le jour de son cinquantième anniversaire, ce qui scellera, d’une manière unique et remarquable, l’esprit de continuité de la Couronne. »

[31] « 50 ans divisés par 4, c’est moins lourd à porter. Il s’agit juste de partager. La table est dressée ; c’est la mi-journée. Rien ne presse les sourires espiègles, les regards complices. Voilà ce qui permet de diviser 50 par 4. Anniversaire, mot inéluctable. En définitive, le chiffre ne s’amenuise point, ni au prisme de la littérature fantastique, quand bien même le décompte serait fait par un roi. Il convient donc d’être accompagné. Le mot “anniversaire” s’accompagne si bien de “joyeux”. »

[32] Galaz, Mabel, « La intimidad de Felipe VI », El País, 29/01/2018 : « Une des critiques les plus récurrentes adressées au roi et à la reine d’Espagne porte sur la confidentialité de leur vie privée, à la différence d’autres maisons royales. Mais à l’occasion du 50e anniversaire de don Felipe […], le monarque a fait une exception en permettant à un photographe du palais de la Zarzuela de saisir des images de sa vie la plus quotidienne, à laquelle rares sont ceux qui ont accès. La diffusion de ces clichés, pris chez lui, participe de la manière dont le roi Felipe a voulu célébrer son anniversaire. Sans tenir la pose officielle et rigide. »

[33] Commentaire de l’article 62 de la Constitution de 1978 réalisé par José Fernando Merino Merchán, juriste aux Cortes Generales, décembre 2003 : « […] il convient de ne dissimuler à personne que tous les actes du roi ont une signification politique, y compris ceux qui relèvent de la vie la plus strictement privée. » Sauf indication contraire, les commentaires cités dans l’article sont extraits des commentaires juridiques du titre II de la Constitution de 1978, disponibles à l’URL suivant : <http://www.congreso.es/consti/constitucion/indice/index.htm>.

[34] Kantorowicz 2000, p. 654.

[35] Álamos de Barrientos 1598 : « Avant toute chose, Votre Majesté doit visiter tous ses royaumes, depuis la couronne d’Aragon jusqu’au Portugal. Elle fera connaître sans tarder ce dessein, afin d’entretenir ces derniers dans l’espérance d’une visite si nécessaire, et tenue ostensiblement pour telle par les princes nouveaux, à leurs débuts. Ainsi, Votre Majesté s’assurera la bonne volonté de ses sujets. Par cette présence qui sied singulièrement à la dignité royale, elle gagnera l’affection de ceux-ci. »

[36] « Je le regrette, j’ai commis une faute, cela ne se reproduira plus. »

[37] Felipe VI de España, « Discurso de proclamación del Rey Felipe VI », El Mundo, transcription et vidéo publiées le 19/06/2014 : « L’indépendance de la Couronne, sa neutralité politique et sa vocation intégratrice à l’égard des différentes options idéologiques lui permettent de contribuer à la stabilité de notre système politique, de faciliter l’équilibre avec les autres organes constitutionnels et territoriaux, de favoriser le bon fonctionnement de l’État et d’agir comme un vecteur de cohésion des Espagnols. »

[38] Commentaire de l’article 56 de la Constitution de 1978, rédigé par María Abellá Matesanz, letrada aux Cortes Generales, décembre 2003 : « Parce qu’elle ne meurt jamais, la Couronne symbolise plus vigoureusement le corps politique et constitue le facteur d’intégration le plus pertinent. De ce fait, la primauté liée à son rang (maiestas) est supérieure à celle d’un chef d’État républicain, qui se distingue de la monarchie précisément par sa nature temporaire. »

[39] Voir taux de chômage calculé par l’Instituto Nacional de Estadística au premier trimestre 2018, <https://www.ine.es/jaxiT3/Datos.htm?t=4247#!tabs-tabla>, consulté le 29/06/2020.

[40] Voir le Real Decreto 1077/2017 du 29/12/2017, <https://www.boe.es/buscar/doc.php?id=BOE-A-2017-15848>, consulté le 29/06/2020.

[41] Kantorowicz 2000, pp. 962 et suivantes.

[42] « La “souveraineté” du monarque réside dans le fait que celui-ci se trouve au sommet de l’organisation de l’État. »