By | 10 janvier 2022

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Vincent Masse
Dalhousie University [1]

Résumé : En dehors des sources jésuites directes, consacrées à l’ambassade Tenshō, nous sont parvenues, pour les seules années 1585-1586, plus d’une cinquantaine d’éditions de minces imprimés produits et distribués dans toute l’Europe, qui annoncent l’extraordinaire événement : le passage des quatre adolescents japonais au Portugal, en Espagne et en Italie. Seule une dizaine de ces imprimés survivent en langue française, ce qui en fait l’un des événements (l’une des « occasions ») les plus médiatisés depuis la bataille de Lépante (1571). Ces textes très courts, imprimés pour la plupart par des éditeurs laïcs et indépendants, donnent l’image d’un discours précipité, improvisé, truffé de lacunes, d’imprécisions, de coquilles, de digressions parfois surprenantes. Ils s’inscrivent pourtant dans un nouveau contexte médiatique précis.
Mots-clés : occasion, gazettes, paysage médiatique, mode japonaise, 1585-1586, Japon, XVIe siècle

Title : « The coming of the Japanese Princes to Europe » : Ephemeral publications and immediate printed sequelae (1585-1586) of the Tenshō embassy.
Abstract : Apart from Jesuit sources devoted to the embassy Tenshō, we have, for the years 1585-1586 alone, more than fifty editions of thin printed matter which were published in the years 1585-1586, produced and distributed throughout Europe, and heralding this extraordinary event : the passage of the four Japanese teenagers to Portugal, Spain and Italy. In French, ten of these prints survived, making it one of the events with the most media coverage since the battle of Lepanto (1571). These very short texts, mostly printed by lay and independent publishers, convey the image of a hasty, improvised speech, full of gaps, inaccuracies, typos, and sometimes surprising digressions. Yet they are part of a new and precise media context.
Keywords : opportunity, gazettes, media landscape, Japanese fashion, 1585-1586, Japan, 16th century

Título : «La llegada de los príncipes japoneses a Europa» : Publicaciones efímeras y huellas inmediatas impresas (1585-1586) de la embajada Tenshō.
Resumen: Aparte de las fuentes jesuitas directas dedicadas a la embajada Tenshō –y en comparación con estas que suelen ser reflexivas, detalladas y controladas–, nos han llegado, solo para los años 1585-1586, más de cincuenta ediciones de impresos finos que se publicaron en los años 1585-1586, producidas y distribuidas en toda Europa, y que anunciaban un extraordinario acontecimiento : la venida de los cuatro adolescentes japoneses a Portugal, España e Italia. Solo una decena de estas impresiones en francés ha llegado hasta nosotros, convirtiendo esta ocasión en uno de los acontecimientos con mayor cobertura mediática desde la batalla de Lepanto (1571). Estos textos muy breves, imprimidos en su mayor parte por editores laicos e independientes, ofrecen la imagen de un discurso precipitado e improvisado, lleno de lagunas, inexactitudes, erratas y digresiones a veces sorprendentes. Sin embargo, se inscriben dentro de un nuevo y preciso contexto mediático.
Palabras clave : relaciones, gacetas, paisaje mediático, moda japonesa, Japón, s. XVI, 1585-1586

Pour citer cet article – To cite this article : Masse, Vincent, 2022, « “La venue des Princes Japponnois en Europe“. Publications éphémères et séquelles imprimées immédiates (1585-1586) de l’ambassade Tenshō », Numéro thématique L’ambassade Tenshō, entre croisements interculturels et entreprise médiatique, coord. par Michel Boeglin, Marie-Pierre Noël & Gérard Siary, CECIL – Cahiers d’études des cultures ibériques et latino-américaines, no 8 (2022), <https://cecil-univ.eu/c8_9> mis en ligne le 2/01/2022, consulté le jj/mm/aaaa, DOI: https://doi.org/10.21409/c8_9.

Reçu – Received : 4/09/2020
Accepté – Accepted : 08/11/2021

Introduction : l’ambassade Tenshō comme spectacle médiatique

  1. Les péninsules ibérique et italienne servirent de théâtre, d’août 1585 jusqu’en avril 1586, à un événement extraordinaire en soi, dont les conséquences médiatiques furent non moins extraordinaires : le passage en Europe, après deux ans et demi de trajet, de quatre adolescents venus du Japon, Mancio Itō Sukemasu, Miguel (Michel) Chijiwa, Julião (Julien) Nakaura et Martinho (Martin) Hara, envoyés des daimyos convertis Dom Francisco (Ōtomo Yoshishige, ou Ōtomo Sōrin), Dom Barthelemeu (Ōmura Sumitada) et Dom Protasio (Arima Harunobu)[2]. L’événement, connu de l’historiographie japonaise sous les noms de Tenshō shōnen shisetsu [ambassade de garçons de l’ère Tenshō] ou Tenshō ken-Ō shisetsu [ambassade européenne de l’ère Tenshō], fut alors – l’est encore – d’interprétation difficile ; la désignation même d’« ambassade » était par exemple déjà un choix au XVIe siècle – c’est encore le cas[3].
  2. Deux lectures récentes, diamétralement opposées, suffisent à illustrer cette difficulté. « Coup publicitaire (publicity stunt) », d’après J. S. A. Elisonas, « spectacle ambulant » où Mancio Itō et Miguel Chijiwa jouèrent le rôle d’« ambassadeurs », et les deux autres celui de « nobles compagnons », voire de simples « doublures [understudies][4]» ; Ōtomo Sōrin (« Dom Francisco »), à distance, joua le rôle d’un « roi du Japon[5] », représenté sur scène par l’accessoire d’une lettre qu’il n’écrivit pas[6], etc. Le spectacle, destiné dans un premier temps à un public européen, puis (des années plus tard) japonais[7], fut conçu par un metteur en scène talentueux – l’Italien Alessandro Valignano – et encadré par une troupe de professionnels : la Compagnie de Jésus[8].
  3. Marco Musillo, tout en reconnaissant la lourde main de Valignano, signale néanmoins que rien ne prouve que les quatre jeunes japonais ne furent que de simples marionnettes et qu’ils ne contribuèrent pas activement à l’entreprise[9]; il souligne au contraire les contextes précis, complexes, du « langage diplomatique du XVIe siècle » et de la « culture civique de l’Italie », au sein desquels les quatre légats s’étaient de longue date préparés à agir en bons « courtisans[10] ». Leur performance, leurs actes, leurs réactions alertes, leur maîtrise d’une gestuelle symbolique détaillée, convainquirent davantage les spectateurs de leur noblesse, que tous les titres et les lettres dont on les avait munis[11]. Musillo cite (et documente) leur passage dans les villes de Rimini et d’Imola – des escales imprévues et improvisées, où les légats adaptèrent l’œuvre, dans un contexte de réciprocité – comme signalant l’inévitable cassure du « bouclier protecteur » précédemment envisagé par Valignano, mais qui était alors trop distant, dans le temps comme dans l’espace, pour contrôler, au final, « l’espace civique » réel[12].
  4. Il est tentant de rattacher l’interprétation d’Elisonas et celle de Musillo, respectivement, aux deux principales séquelles imprimées de l’ambassade Tenshō : pour l’un, le De missione legatorum iaponensium, imprimé à Macao en 1590 ; pour l’autre, la cinquantaine d’éditions de minces imprimés – avvisi italiens, newe zeytung allemands, occasionnels français, etc. – produits et distribués à travers toute l’Europe dès 1585-1586, annonçant l’extraordinaire événement[13]. Le De missione – on pourrait dire la même chose du Tratado dos Embaixadores[14] – est détaillé, réfléchi[15], décalé[16] et entièrement sous le contrôle des jésuites[17]. Pourrait-on y voir l’édition définitive, revue et corrigée par l’auteur (Valignano), de la pièce théâtrale de 1585-1586 ? Au contraire, les textes de 1585-1586 – simples transcriptions des discours prononcés, récits succincts rédigés par divers « proto-journalistes » anonymes, voire simples inventaires des cadeaux diplomatiques échangés – furent imprimés pour la plupart par des éditeurs laïcs et indépendants[18]. Ces imprimés donnent l’image d’un discours précipité, improvisé, sans doute truffé de lacunes, d’imprécisions, de coquilles, de digressions parfois surprenantes, mais ce qu’ils illustrent se situe à un autre niveau que celui de la qualité matérielle. Je reprends la belle image d’Antonella Romano, qui commente ainsi ce même corpus :

Toute cette littérature, de médiocre qualité matérielle et au destin éphémère, faite de copies, d’emprunts et de traductions, matérialise la diffusion capillaire des représentations du monde dans cette période, ainsi que la densification des circuits de l’information, dans l’espace européen[19].

  1. Le contraste s’explique en partie par une différence d’approche à un niveau que l’on pourrait qualifier de médiatique. Pour Elionas, l’œuvre écrite – une prise de parole en bonne et due forme – prime sur le geste, sur l’esquisse éphémère. La seule agentivité qu’il reconnaît aux quatre acteurs adolescents de la pièce de Valignano est représentée par une telle prise de parole, a posteriori: tous les quatre entrèrent par la suite dans les ordres, mais Miguel Chijiwa apostasia sa foi chrétienne, et produisit enfin une œuvre personnelle, le Kirishitan kanagaki 喜利志袒仮名書 [Histoire de la chrétienté écrite en kana], « le premier, le plus long, le plus complexe, le mieux informé, mais aussi le plus calomniateur (scurrilous) de tous les ouvrages anti-chrétiens de l’ère Tokugawa », où se « manifeste pleinement le pouvoir subversif d’une imagination libérée de ses chaînes[20] ». Cette œuvre – ce texte – permit à son auteur, vers 1606, de se « dépouiller de l’identité qui avait été son personnage (persona) pour le monde catholique », et de « se reconfigurer en tant que Chijiwa Seizaemon[21] ». Pour Musillo, c’est plutôt l’acte lui-même – l’ambassade de 1585, en tant que performance éphémère – qui garantit l’agentivité des légats japonais. L’exemple le plus concret qu’il donne – le détail m’apparaît crucial – est néanmoins une trace écrite, toute simple, que l’on dira circonstancielle : une calligraphie signée, où les légats remercièrent la ville d’Imola de l’hospitalité de ses citoyens[22]. L’éphémère acte d’écriture devint paradoxalement pérenne en raison même de son caractère entièrement circonstanciel, localisé : la note s’y trouve encore, nous dit Musillo, et les élèves d’Imola, quatre cents ans plus tard, pour mieux connaître l’histoire de leur ville, apprennent encore le passage des légats du Japon[23].
  2. Il faut sans doute un peu d’Elisonas, un peu de Musillo, pour saisir avec toutes les nuances nécessaires le rôle et la fonction des publications éphémères qui suivirent, voire complétèrent l’ambassade Tenshō. Il est vrai qu’on y reprend ou recycle, au-delà des péninsules ibérique et italienne, un matériel préparé soigneusement et longtemps d’avance. Les trois lettres des trois daimyos sont ainsi reproduites par une majorité des imprimés, par ailleurs souvent complétées par les discours officiels de Gaspar Gonçalves (représentant la Compagnie de Jésus) et d’Antonio Boccapaduli (représentant le Saint-Siège). D’une certaine façon, la « campagne de presse », orchestrée par la Compagnie pour démontrer le succès de l’aventure missionnaire au Japon, se poursuit en « publications légères […] distribuées en de nombreux exemplaires dans toute l’Europe, en diverses langues, pour redoubler dans l’opinion l’effet produit sur les spectateurs par la tournée triomphale des “ambassadeurs”[24]».
  3. Dans les pages qui suivent, je m’intéresserai moins à l’ambassade elle-même qu’à ses séquelles imprimées à distance et au contexte médiatique et stylistique de ces dernières – le contexte propre à un mode de transmission des nouvelles que l’on dira « pré-périodique », précédant les premières gazettes, en particulier les Gazettes hebdomadaires de Théophraste Renaudot ou de Jean Epstein (1631-…), dont j’esquisserai d’abord quelques traits. Je proposerai ensuite un survol des détails de la diffusion, via les imprimés occasionnels, de « l’occasion » de l’ambassade Tenshō, diffusion qu’il me semble tout particulièrement intéressant de contraster avec l’itinéraire réel des adolescents japonais. L’étude de cette diffusion permet notamment d’observer un curieux phénomène éditorial d’additions concentriques, mais aussi plus simplement de relever que les retraductions, et donc les variantes, abondent. Pourtant, ces lettres et discours, reformulés rapidement, indépendamment, parfois approximativement, complétés par des ajouts très variables, pour la plupart anonymes, constituent une performance d’un autre ordre : celle des producteurs de littérature éphémère, dont les soucis, les raisons, les choix, correspondent à des préoccupations que nous n’avons aucune raison de réduire à celles d’Alessandro Valignano. Les forces à l’œuvre ne se réduisent pas aux seuls intérêts jésuites ; s’y superposent, voire s’y substituent, d’autres couches discursives. Je tenterai enfin de définir quelques aspects propres aux nouveaux médias d’information de l’époque, qu’éclaire et qui éclairent « l’occasion » de 1585. Cette occasion – à rebours, c’est-à-dire après plus de 400 ans – nous paraît bien étonnante tout autant pour son caractère exceptionnel que, paradoxalement, pour la surprenante aisance avec laquelle elle s’insère dans un paysage médiatique en pleine effervescence.

1. « Paysages » médiatiques

  1. Le contexte médiatique de nos minces imprimés ne se limite ni aux objectifs – réussites ou échecs – de la Compagnie de Jésus, ni même à la performance des délégués eux-mêmes. Pour notre propos, il est donc une troisième couche d’acteurs, qui s’éloignent des préoccupations des uns comme des autres : proto-journalistes, traducteurs indépendants, imprimeurs profitant du scoop ; lecteurs, devrait-on peut-être même ajouter, à Paris, à Louvain, à Prague, à Cracovie, à Vilnius, pour qui tout cela fut un événement entièrement discursif, auquel ils participèrent d’une autre façon. Collectivité au niveau de la création, mais également à celui de la réception : une différence tout autant cruciale, du point de vue de l’Europe pour le moins, en particulier au-delà des péninsules ibériques et italiennes, sépare le De missione – ou a fortiori le Tratado dos Embaixadores resté manuscrit – des plaquettes imprimées en 1585-1586 : ces dernières connurent une diffusion importante, extraordinaire même, puisqu’elles essaimèrent au minimum de 24 villes européennes – si on ne prend en compte que les éditions survivantes d’un format tout particulièrement éphémère[25].
  2. Le contexte dans lequel ces occasionnels se diffusent est cependant malaisé à esquisser : le « paysage » médiatique n’en est pas un, en ce sens qu’il n’existe pas d’arrière-plan fixe au devant duquel évolueraient les imprimés occasionnels consacrés à l’ambassade Tenshō. Le mode de transmission périodique d’informations jugées nouvelles, dont le siècle suivant développera lentement les us et coutumes, avec les premières gazettes et premiers journaux, n’existe pas au moment de l’ambassade Tenshō, ne sera pas même en place à temps pour l’ambassade Keichō trente ans plus tard. S’il existe, à l’international, un « “âge de l’improvisation” […] durant lequel les acteurs s’efforcèrent d’“ajuster leurs façons d’agir et de penser afin de négocier les différences culturelles auxquelles ils étaient confrontés” »[26], il existe de même, à un autre niveau, un « âge de l’improvisation » des nouvelles de l’international. L’ambassade Tenshō est indicielle de cet âge également à ce niveau-ci : les acteurs du monde des nouvelles imprimées du monde (c’est-à-dire les producteurs d’avvisi, de newe zeytung, d’éphémères occasionnels), s’ils n’occupent pas le devant de la scène, improvisent néanmoins, eux-aussi, en coulisses[27]. Les nouvelles de l’événement de 1585-1586 s’inscrivent dans les cadres mal délimités de ce Wild West médiatique, mais également les testent, les secouent, les repoussent.
  3. À ce « non-paysage » médiatique, il faudrait encore ajouter d’autres complications, celles-ci d’ordre épistémique (au sens foucaldien). Valignano, dit Romano, « entend construire un rapport de commensurabilité entre élites catholiques et japonaises », par un travail sur le vêtement, sur le don, etc[28]. La commensurabilité est également ce que tentent les auteurs, les imprimeurs publiant ces nouvelles, avec la difficulté supplémentaire qu’à leur niveau, ces vêtements, ces dons – dont l’énumération constitue une grande part de notre corpus – n’étaient déjà plus que des évocations entièrement textuelles. Comment traduire le Japon, visuellement, à l’aide d’étoffes ? Comment ensuite coucher sur papier ces étoffes entrevues dans les rues d’Italie ? Comment enfin traduire de l’italien – à Paris, Louvain ou Augsburg – ces mêmes étoffes, sans même les avoir vues[29]?
  4. De ces points de vue – médiatique, épistémique – l’événement de 1585 est d’une grande importance : un premier sommet de la « mode japonaise » éditoriale des années 1570-1650, qu’il ne faut pas limiter aux seules lettres missionnaires jésuites. Il y aura d’autres sommets – les nouvelles des martyrs chrétiens au Japon (1597-1632) laisseront leurs propres séquelles médiatiques – mais l’ambassade Tenshō est incontournable pour deux raisons. Premièrement, elle fait du Japon, pour l’Europe, un lieu bien mieux connu[30], bien davantage reconnaissable[31]. Deuxièmement, elle signale que cette « mode japonaise » est au moins partiellement indépendante de la diffusion des lettres jésuites, en ceci que plusieurs de ses moments forts sont signalés par l’intérêt d’éditeurs indépendants, et par la diffusion de textes d’autre nature, d’autres genres que les « lettres missionnaires ».
  5. Si l’on se fie du moins aux exemplaires qui survivent, les lettres missionnaires jésuites n’intégrèrent d’abord en effet que prudemment, isolément, la production d’imprimés de langue française. Les premières collections sont rares, irrégulières : 1545, 1551, 1556[32]. Quelques titres paraissent en 1571, dont l’un promet en page de titre « certaines epistres notables, & concernant l’estat des affaires du pays de Japon »[33]. Ce n’est qu’à partir de 1578, avec des Lettres du Jappon, Peru, et Brasil imprimées à Paris par Thomas Brumen, que la production de « nouvelles missionnaires » se fait régulière ; Brumen publiera à nouveau des lettres en 1579, 1580, 1581, 1582, 1584. L’explosion soudaine de 1585 intensifie soudain considérablement, décuple presque, la présence médiatique du Japon en Europe francophone. Divers facteurs informent la suite – la mort de Brumen en 1588, par exemple[34] – mais la diversification subséquente est remarquable : pour les années 1586-1635, il faut compter un minimum de 51 éditions de « Lettres du Japon » en langue française, imprimées à Anvers, Arras, Bordeaux, Dole, Douai, Liège, Lille, Louvain, Lyon, Pont-à-Mousson, Rouen[35]. Cette flambée de popularité des lettres missionnaires japonaises, imprimées il est vrai par une industrie de mieux en mieux rodée, est-elle directement attribuable au boom éditorial des années 1585-1586 ? Une chose est sûre : si ce boom est quantitativement inférieur – par exemple – à celui qui accompagne la bataille de Lépante (1571)[36], il n’en demeure pas moins que l’ambassade Tenshō appartient indubitablement au palmarès des événements médiatiques majeurs de l’Europe de la seconde moitié du XVIesiècle.

2. Itinéraire des envoyés (Nagasaki-Rome) ; essaimage des imprimés (Rome-Vilnius)

  1. Suivons tout d’abord deux itinéraires croisés : celui des envoyés (un long cheminement, sur plusieurs années) et celui des imprimés (une brève explosion, principalement sur quelques mois).
  2. Les quatre envoyés quittent Nagasaki le 20 février 1582, s’arrêtent neuf mois à Macao, une semaine à Malacca, près d’un an à Cochin, puis contournent l’Afrique et débarquent à Lisbonne le 11 août 1584. Ils traversent ensuite le Portugal et l’Espagne : Évora, Vila Viçosa, Elvas, Guadalupe, Talavera, Tolède. À Madrid, le 14 novembre 1584, ils sont introduits à Philippe II. Ils rejoignent ensuite la Méditerranée (Alcalá, Valarejo, Belmonte, Murcie, Orihuela, Elche, Alicante), s’arrêtent quelques jours à l’île Majorque en route pour l’Italie, où ils abordent par Livourne. À Pise, puis à Florence, ils côtoient Francesco I de’ Medici [François Ier de Médicis], grand-duc de Toscane. Ensuite ce sont Sienne, Viterbe, Caprarola, puis Rome, où ils arrivent de nuit le 22 mars 1585[37].
  3. Jusqu’alors, après trois ans de trajet, dont sept mois en Europe, pas un seul imprimé éphémère – qui nous soit parvenu – n’a paru. Et même lorsque la déferlante s’abattra sur l’Europe, les segments asiatique et ibérique de l’itinéraire y feront piètre figure. De plus, ils n’apparaîtront qu’à rebours : la publication de maigres évocations de l’itinéraire pré-romain, du 20 février 1582 au 22 mars 1585, ne se fera qu’à la suite de l’annonce et de la diffusion massive des minutieux détails de la journée romaine du 23 mars.
  4. Ce 23 mars, trois des quatre envoyés, après avoir traversé la ville en cortège, rencontrent solennellement le pape Grégoire XIII – Julião Nakaura est trop malade pour participer à la cérémonie. Lors d’un consistoire à la Sala Regia du palais apostolique, Mancio Itō et Miguel Chijiwa lisent publiquement trois lettres écrites par les trois daimyos convertis. Le jésuite Gaspar Gonçalves prononce ensuite un long discours, auquel répond Antonio Boccapaduli au nom du pape. C’est à compter d’alors que déferle la vague d’imprimés. Un court récit des événements, écrit la journée même, est rapidement publié en langue italienne à Bologne et à Milan, en français à Lyon (B22), en latin à Prague. Puis viennent les actes officiels de la journée (Acta consitorii publice exhibiti a S.D.N. Gregoria Papa XIII. Regum Japoniorum legatis Romae, die XXIII. Martii M.D.LXXXV), c’est-à-dire les textes des lettres et des discours, imprimés et réimprimés en latin à Rome, mais aussi à Bologne, Padoue, Milan, Ingolstadt, Dillingen, Prague, Paris, Düsseldorf, Louvain, Cracovie, Vilnius. En traduction italienne, les Acta paraissent à Rome, Crémone, Venise, Vicence ; en traduction française, à Lyon (B24), Liège (B25), Paris (deux éditions : B26 et B26a), Louvain (B27) ; en traduction allemande, à Augsburg. Autour de ce centre massif que sont les Acta et leurs traductions, orbiteront d’autres imprimés éphémères, par exemple trois placards illustrés, représentant les quatre envoyés et leur chaperon jésuite, Diego de Mesquita : un Newe Zeyttung allemand, une pièce italienne et une pièce française (B47a).

2.1. Occasionnels de langue française : procédés d’addition

  1. La production sur le territoire français, à elle seule, illustre admirablement l’enthousiasme précipité avec lequel fut diffusée la nouvelle de la journée du 23 mars 1585, mais également le caractère proprement incrémentiel de ce nouveau médiaqui en assure la diffusion. Il n’est pas inhabituel que les copies s’impriment rapidement, avant que certaines informations, parfois cruciales, ne soient disponibles. Benoît Rigaud – responsable de nos pièces B22, B24, B47 – publia ainsi sur la « bataille des Trois Rois » (Maroc, 4 août 1578) un premier Advis[38] de la defaicte de l’armée Portuguese en Faez, daté du 13 août 1578, où les détails sont encore bien incertains : « on ne sait autre particularité des morts, […] & n’a on aucun advis de la personne du Roy s’il est mort ou vif : toutesfois l’opinion est, que s’il n’est mort, qu’il est prisonnier »[39]. Une pièce légèrement plus tardive, le Vray discours de la cruelle bataille donnée par le serenissime Roy de Portugal [Sebastião Ier] & le roi Xarife, au Roy de Fees Maluc [Abd al-Malik] annoncera enfin la mort d’iceux Roys, avant de lister minutieusement les « gentils-hommes […] lesquels on tient au nombre des morts », puis « Ceux que l’on sçait qui sont vifs & captifs »[40].
  2. Or, ce qui est particulier, dans le cas de l’ambassade Tenshō, est le caractère concentrique des additions : ce n’est que peu à peu, à coup de précisions et d’ajouts brefs, que les événements du 23 mars seront étoffés de détails, enveloppés en amont par divers retours en arrière narratifs, en aval par diverses mises à jour ou annonces des projets de la délégation. La toute première pièce française, les Advis venus nouvellement de Rome (B22), imprimée par le même, l’empressé Benoît Rigaud – un éditeur lyonnais spécialisé dans la production d’occasionnels – est un court récit de 5 pages rapportant les événements de la journée du 23 mars : depuis « ce matin on a tenu le consistoire public en la sale royale » (fo2 ro) jusqu’à « [les] Ambassadeurs […] ont esté retenuz à disner, par l’Illustre Cardinal sainct Siste » (f4 ro). Les détails contextuels, notamment géographiques, y sont minimaux (« Le Giapon est une province tresgrande contenant soixante six royaumes, beaucoup par dela les isles Orientales », fo 2 vo). Les lettres des trois daimyos y sont brièvement résumées, mais le discours de Gonçalves n’est qu’annoncé : « Lors un pere Jesuite Portugoys fit une belle harengue en Latin sur ce faict laquelle s’imprimera & en envoyera on plusieurs copies » (fo 4 ro)[41].
  3. La belle harangue ne se fait pas attendre : Rigaud publie bientôt Les Actes du consistoire public (B24), comprenant le texte des discours prononcés, qu’il présente comme une suite directe, un complément à l’imprimé précédant :

Amys lecteurs, ces jours passez je vous fis present de certains advis de deux ambassadeurs du Giapon […] Or depuis ayant receu de Rome en Latin, tout ce qui s’est passé au Consistoire public, qui leur fut exhibé, je le vous ay bien voulu communiquer en nostre langue Françoise[42].

  1. Seule une narration minimale accompagne et présente ces discours, narration qui s’ouvre sur Grégoire XIII « seants […] en la sale ordonnnee pour les rois, & pour leurs ambassades, le 23 Mars 1585 es heures du matin » (p. 3), et se termine lorsque les ambassadeurs « le soir furent remenez en leur logis » (p. 28) : le récit B24 commence donc un peu plus tôt que le B22, et s’achève un peu plus tard.
  2. Dès le mois suivant, deux autres éditions des Actes paraissent, B25 et B27, l’une à Liège (le 20 juin, d’après la postface), l’autre à Louvain (privilège du 28 juin), chacune avec quelques pièces ajoutées ; il faut également compter deux éditions parisiennes sans indication de mois (B26 et B26a).
  3. L’édition de Liège (B25) est une nouvelle traduction, refaite d’après l’original, et accompagnée d’un traité de sept feuillets intitulé « Petit recueil du Nouveau Monde, des Indes orientales, & principalement des isles du Jappon » (fo14 ro-20 vo). Ce traité, bien que très court, paraît déjà prolixe comparé aux minces évocations de l’Advis de Rigaud. Le Japon y est replacé dans le contexte des « Nouveaux Mondes » précédents : Afrique subsaharéenne, fo 14 ro ; Inde côtière, fo 14 ro-14 vo ; Amériques, fo 14 vo-15 ro ; Indonésie fo 15 ro. Ensuite y figure la description des « Isles du Jappon » (fo 16 ro-17 ro), « Des habits, maisons, & moeurs des Japponois » (fo 17 vo-18 vo), « De la religion des Japponois » (fo 18 vo-19 vo), « De la police des Japponois, & de leurs Academies & Universitez » (fo 19 vo-20 vo).
  4. L’édition de Louvain (B27), préparée par un imprimeur également responsable d’une première édition latine des Acta, suivie d’une édition augmentée[43], est une troisième traduction en langue française de ces Acta, celle-ci complétée par deux lettres. La première de ces lettres ajoutées, datée du 1eravril, enveloppe de part et d’autre la journée romaine du 23 mars : détails, énumérations, descriptions des célébrations de la veille, le 22 mars, puis celles du jour dit, puis du 25.
  5. Deux autres traductions françaises des Acta survivent, parisiennes et sans indication de date autre que l’année (B26, B26A). Il est difficile d’établir si l’édition de Jean Richer (B26A) contenait des ajouts, puisque les siècles ont au contraire fait subir des coupures à la seule copie connue du texte, qui ne conserve que l’introduction et les lettres de « François Roy de Bungi » (Dom Francisco ; Ōtomo Sōrin) et de « Protasi Roy des Arimans » (Dom Protasio ; Arima Harunobu)[44]. On sait cependant que Richer fait paraître, séparément, un texte complémentaire à ses propres Actes, intitulé Les pompes et magnificences faites par […] Gregoire XIII. du nom à la reception des Roys de Japon, arrivez à Rome le 23. de Mars M.D.LXXXV. (B26b). Cette plaquette est mince en information ; les « nouvelles » y sont inexactes (on y apprend les « quatre Princes » arrivèrent à Rome le 24 mars), voire inventées ou falsifiées : nulle mention d’ambassadeurs, les « quatre Princes » sont confondus aux « Roys estrangers » eux-mêmes[45]. L’imprimé est néanmoins un bel exemple d’addition incrémentielle ou concentrique, quoique factice, et ce à deux titres : typographiquement et rhétoriquement. Un emprunt direct à une source non identifiée se trouve à la p. 14, en petits caractères distincts du reste de l’impression, qui offre – très succinctement – la description énumérative des cérémonies promise en page de titre[46]. Onze pages précèdent cette rare pépite d’information, deux la suivent, toutes treize en caractères amples – on voit bien là, à un niveau même typographique, que les informations réelles sont des plus maigres. Au niveau du contenu de même, l’auteur anonyme – les références qu’il emploie laissent croire qu’il est français, et les informations qu’il fournit, qu’il n’a pas même lu les Actes de l’éditeur chez qui il publie son texte – réussit à faire beaucoup avec peu : son enrobage est un exercice de discours épidictique, où l’on renvoie à Aristote, Homère, Ronsard, à la Genèse et (dans le cadre d’une digression de 13 lignes sur l’étymologie du mot « catholique » !) à l’Apocalypse; on y évoque Romulus, Moïse, Jules César, Charles XIX, Amerigo Vespucci, Nicolas Durand de Villegagnon, Saint Grégoire, Cléopâtre, Tite Live, Salomon, etc. Au sujet du Japon cependant, l’auteur n’apprend qu’une seule chose à son lecteur : qu’il n’en dira rien.
  6. L’autre édition parisienne, celle de Jean Parent (B26) – une cinquième traduction indépendante des Acta– démontre également que l’accumulation de détails supplémentaires se fait tout aussi bien en amont qu’en aval, y compris lorsque le procédé est honnête et appliqué. Les Actes y sont accompagnés d’une « Description de l’Isle de Japon » (pp. 78-86), qui n’est pas la même que celle de Liège, ni ne contient les mêmes éléments. Elle est précédée d’un inventaire, sur deux pages, offert sans le moindre contexte narratif, des « Présents que les Ambassadeurs Royaux de Japon ont faist au Serenissime grand Duc de Thoscane » (p. 76-77). Rappelons que la rencontre avec le duc de Toscane, Francesco I de’ Medici, eut lieu en amont du séjour romain. Cependant, pour connaître les circonstances de cet échange, le lectorat de langue française devra attendre une nouvelle couche d’habillage contextuel : le troisième imprimé lyonnais de Benoît Rigaud sur l’ambassade, Le discours de la venue des Princes Japponois en Europe, tiré d’un advis venu de Rome (B47), dont la dédicace est datée du 1er Ce Discours sera réimprimé à Paris en 1586 (B50), sans la dédicace.
  7. Ce n’est qu’avec ces deux Discours (B47, B50) qu’enfin l’information suit une chronologie stricte : description du Japon (B47, fo4 ro-5 ro) ; arrivée, « l’an 1549 », de François Xavier et premières conversions (fo 5) ; « resolution » des « Seigneurs convertis » d’envoyer des « Ambassadeurs » au Pape, « pour luy rendre de leur part, & à leur nom l’obeissance » (fo 5 vo) ; départ de la « legation » (fo 6) ; descriptions des « Roys » et de leurs délégués (fo 6) ; arrivée à Goa en 1583 (fo 6 vo) ; arrivée au Portugal en 1584, où les Japonnais sont « recuez à grand, & caressez avec une infinité de courtoysies & honneurs » (fo 6 vo) ; arrivée à « Madrit » [Madrid], « pour baiser les mains au Roy Philippe » (fo 6 vo) ; échange de cadeaux diplomatiques (fo 6 vo-7 ro) ; trajet jusqu’à Alicant, alors que « par tout où ils passoient, la noblesse sortoit des citez au-devant d’eux en grande pompe, & les recevoit faisant divers jeux & passetemps » (fo 7 ro) ; Majorque, puis Livorne, où « le grand Duc de Toscane qui estoit lors à Pise, leur envoya promptement une carosse & deux coches » (fo 7 ro) ; longue description de leur accueil à Pise, suivie d’un inventaire des cadeaux échangés (fo 7 vo-8 vo) ; Florence, et cadeaux échangés là (fo 8 vo-9 ro) ; « Scene » [Sienne] (fo 9 ro), et enfin Rome, qui reste l’important noyau de tout le récit (fo 9 vo-13 vo). Surviennent alors des descriptions de « la Pieté, Religion Chrestienne & devotion » des envoyés (fo 13 vo-14 ro), puis de leur physique, de leurs moeurs, de leurs habits (fo 14 ro-15 ro). Puis, dans un dernier sursaut de chronologie, suivent les toutes dernières nouvelles de la réception à Venise, qui s’achève sur un inventaire des riches cadeaux dont « la Seigneurie de ladicte ville leur fit present » (f15 vo– f16 ro). Les lettres des trois daimyos – traduites ici en français pour la sixième fois – s’ajoutent à la fin de l’ouvrage (fo 16 ro-19 ro). Le rôle des lettres est dorénavant renversé : précédemment pièce principale, accompagnée d’annexes, elles se retrouvent maintenant elles-mêmes simple annexe d’un récit bien plus détaillé.

2.2. Note sur la variété et l’autonomie des traductions

  1. Cinq traductions indépendantes survivent donc pour les Actes, six pour les lettres des daimyos : cette diversité de versions, qui s’ajoute à la diversité des textes et des imprimeurs – trois pour Paris seul – signale bien qu’il ne s’agit pas, ou pas encore, d’une production centralisée, ni même concertée, mais plutôt d’un essaimage de publications relativement indépendantes, qui se répandent à travers l’Europe francophone avec une certaine autonomie. Cette autonomie éditoriale paraîtra encore plus remarquable si l’on considère que l’éditeur parisien susmentionné et favori des Jésuites, Thomas Brumen, curieusement ne semble pas avoir participé à notre corpus. En contrepartie, nos éditeurs – à l’exception complexe de Benoît Rigaud – ne s’intéressèrent pas, quant à eux, aux rapports missionnaires ou aux recueils annuels, ni avant 1585, ni après. Cette autonomie s’observe également – on s’apprête à le voir – au niveau des critères de pertinence. Le genre de la lettre missionnaire, notamment au niveau du format, malgré plusieurs similarités à l’origine, s’éloigne alors graduellement de l’imprimé occasionnel. Nos advis, nouvelles, brefs discours, etc., sont quant à eux proprement des occasionnels, à situer par exemple aux côtés des livres d’Entrée, ou des livres de fête. Les lettres japonaises jésuites, proto-périodiques, annoncent plutôt quant à elles les gazettes hebdomadaires du siècle suivant.

2.3. Suite de l’itinéraire des envoyés (Rome-Nagasaki) ; retour au cycle lent des nouvelles

  1. Revenons aux quatre adolescents japonais : pendant que leurs avatars médiatiques circulent en Europe francophone, vers le mois de juin 1585, en Italie non seulement Sixte V a-t-il remplacé Grégoire XIII, mais les envoyés ont depuis quitté Rome, le 3 juin. Ils s’arrêtent notamment à Spolète, Assise, Bologne, Ferrare, Venise (26 juin). À Venise les attendaient les festivités de l’Inventio Sancti Marci [l’Apparition de Saint Marc], d’ordinaire célébrée le 25 juin, mais qui cette année-là est retardée en leur honneur jusqu’au 29. Le jour de leur départ, le 6 juillet, le Sénat et les Japonais s’échangent divers présents : ceux-là mêmes dont l’inventaire constitue l’information la plus récente contenue dans Le discours de la venue des Princes Japponois en Europe (B47). Ensuite viennent Padoue, Mantoue, Crémone et Milan. Leur séjour à Milan est relaté dans un manuscrit d’Urbano Monte, où apparaissent les portraits des quatre envoyés et de leur chaperon jésuite. Si cette série, dont les similitudes sont en effet frappantes, est bien la source des portraits des trois placards illustrés, cités précédemment – y compris Le vray pourtraict prins au naturel des quatre grands Princes Japponnoys (B47a) – c’est après cette date qu’il faut les situer[47]. Le 8 août, à Gênes, ils s’embarquent vers l’Espagne ; ils traversent Barcelone, Montserrat, Saragosse, Alcalà, à nouveau Madrid, retournent à Lisbonne, montent jusqu’à Coïmbre. Ils quittent Lisbonne et l’Europe en avril de l’année suivante. Sur le chemin du retour, ils demeurent coincés près de six mois au comptoir portugais de l’île de Mozambique. Ils retrouvent Goa le 29 mai 1587, et Nagasaki le 21 juillet 1590.
  2. Pendant ce temps, en Europe, c’est le retour au cycle lent des nouvelles. Ce n’est qu’en 1589, en effet, que trois recueils de lettre annoncent en français le retour des Japonais à Goa, d’après une lettre datée du 19 décembre 1587, « receuë […] ce dernier mois d’octobre 1588 », traduite et imprimée à Lyon, Paris et Douai[48]. Le décalage de quelques mois redevient l’habituel décalage de quelques années. Par ailleurs, ce changement de rythme s’accompagne d’un changement de format et de genre : les nouvelles des adolescents ne sont plus des dépêches en tirés-à-part ; elles s’intègrent désormais à des anthologies plus épaisses[49] et – qui plus est – à des recueils de lettres missionnaires ; les ambassadeurs y figurent néanmoins encore en vedettes – c’est-à-dire en page de titre. Cette nouvelle étape avait été devancée par les Relationi della venuta degli ambasciatori Giaponesi à Roma (1586) de Guido Gualtieri, dont l’importance (191 pages pour l’édition de Rome) signalait la fin des premières publications éphémères[50].

3. Quatre catégories d’informations privilégiées

  1. Pour unique qu’ait été l’occasion, les occasionnels européens ou français immédiatement consacrées à l’ambassade Tenshō s’insèrent donc dans un contexte médiatique précis, préexistant, englobant : le monde de l’imprimé éphémère et des brochures d’actualité, donc les us et coutumes assurent, à un autre niveau, l’opération de « commensurabilité » évoquée ci-dessus. Il n’est guère surprenant que ce soit Benoît Rigaud qui ait le mieux, le plus rapidement, le plus systématiquement profité du passage des adolescents japonais, puisque Rigaud est précisément, depuis la fin des années 1550, l’un des plus grands imprimeurs d’occasionnels de cette période. nombreux et largement diffusés soient-ils, les imprimés français décrits ci-dessus ne sont qu’une vague appartement à la vaste mer des « bulletins de nouvelles »[51]. L’importance quantitative des nouvelles japonaises pourra sembler modeste à côté, par exemple, de celles de l’Empire ottoman (70 brochures françaises pour les seules années 1565-1573[52]), mais les nouvelles d’ailleurs – les nouvelles étrangères – ne sont elles-mêmes qu’une sous-catégorie de l’ensemble des nouvelles imprimées et diffusées sur le territoire français et en Europe francophone[53].
  2. Cependant, les imprimés immédiats consacrés à l’ambassade de 1585 combinent, d’une façon tout à fait exceptionnelle, diverses catégories d’information alors favorisées par les occasionnels, mais qui rarement au XVIesiècle se trouvèrent si bien entremêlées. Quatre catégories d’informations privilégiées – de celles qu’emprunta si souvent la littérature éphémère qu’elles devinrent des artères (voies rapides favorisant la communication), ou peut-être des ornières (chemins déjà tracés, d’où l’on s’extrait difficilement) – sont tout particulièrement mises de l’avant dans notre corpus.

3.1. Les entrées cérémonielles

  1. Par cette artère cheminent les entrées des rois de France, ou plus précisément les « livres de fête » qui les décrivent, qui en dépit de quelques exemples célèbres et abondamment illustrés, sont pour la plupart de minces occasionnels[54]. Ces entrées, royales et nationales, ne forment cependant qu’une partie d’un corpus à rattacher aux diverses variantes d’un important rituel politique et diplomatique : récits d’entrées royales et françaises, mais à l’étranger[55], de rois ou de reines étrangères en France[56], voire de monarques étrangers à l’étranger[57]. Appartiennent aussi à ce corpus les entrées ambassadoriales : récits, par exemple, de l’entrée de l’ambassadeur espagnol à Fontainebleau[58], de celle de l’ambassadeur ottoman à Paris[59] ou à Vienne[60], de l’ambassadeur perse à Constantinople[61]. Cette catégorie d’information privilégiée – « le ballet incessant des échanges diplomatiques en Europe », en particulier les ambassades, avec leurs descriptions de cortèges, de trains d’équipage, de la qualité des livrées, de la splendeur de présents – deviendra au siècle suivant l’une des marques de commerce de la Gazette de Théophraste Renaudot[62].
  2. Il ne fait aucun doute que ce « genre » de l’entrée donne une forme précise aux premiers récits sur l’ambassade Tenshō, tant au niveau du thème – ce n’est pas l’existence d’une ambassade japonaise qui crée la nouvelle, ni même l’extraordinaire de son itinéraire, mais précisément la cérémonie de son entrée à Rome – qu’à un niveau stylistique.

3.2. Les annonces de conversions

  1. Cette artère est largement empruntée par les lettres missionnaires imprimées, qui en creusent certainement les ornières, mais ne s’y limitent pas. Les lettres ou recueils de lettres missionnaires qui circulent alors, imprimées, traduites et réimprimées, se rattachent à une logique que l’on dira publicitaire, lié au financement d’entreprises prosélytiques – les lettres japonaises que distribue l’ordre des Jésuites sont peut-être précisément, pour la deuxième moitié du XVIe siècle, le meilleur exemple de ce modus operandi – ; il existe cependant un autre réseau, une autre logique, que l’on dira médiatique(s), qu’illustre peut-être le mieux le laïc Benoît Rigaud (B22, B24, B47), que l’on pourrait sans doute également réduire, au final, à un souci pécuniaire. Parmi les centaines d’occasionnels qu’il imprime, s’en trouve dont l’occasion est une conversion, annoncée dès la page de titre – l’ancêtre de « la une ». Ladite conversion peut être quantitativement extraordinaire (par exemple celles des 50 000 convertis dans les Lettres envoyées des Indes Orientales, Contenans la conversion de cinquante mille personnes à la Religion Chrestienne, és Isles de Solor & de Ende, 1571), ou qualitativement, comme celle de trois grans Roys dans les Nouveaux advertissemes trescertains […] Contenants la conversion de trois grans Roys infideles, 1571.
  2. La désirabilité toute particulière des annonces de la conversion d’un monarque étranger – d’un point de vue médiatique – est bien signalée par l’empressement avec laquelle elles sont publiées, quitte à ce qu’elles soient inventées, comme c’est le cas pour la pièce de Rigaud qui vient d’être citée. [L]a Conversion de trois grans Roys infideles est un assemblage frauduleux – un collage chimérique – de quatre lettres réelles tirées d’un recueil jésuite imprimé la même année[63]. Les détails géographiques de cette chimère sont impossibles (l’Inde côtière s’y confond aux archipels des Moluques et de Madère), mais le procédé permet d’extraire de nouvelles jésuites trop détaillées, trop éparpillées, ce qui en fait l’intérêt médiatique réel : la nouvelle de conversions en quelque sorte sublimées, portées à « la une ». La nouvelle sera ensuite falsifiée à un deuxième niveau – preuve du succès de la première falsification – car quatre éditeurs, au minimum, réimprimeront exactement la même nouvelle, [L]a conversion de trois grands rois infidèles, en 1588, 1608 et 1609, en ne modifiant que les dates, puisqu’il faut bien « rafraîchir » l’annonce[64].
  3. Du point de vue de Benoît Rigaud, l’intérêt d’annoncer en 1585 une ambassade officialisant la conversion de trois nouveaux grands rois « infidèles », cette fois-ci du Japon, s’éloigne, se distingue, des intérêts propres aux Jésuites, à la curie romaine ou aux délégués eux-mêmes.
  4. L’artère médiatique des conversions extraordinaires, quantitativement ou qualitativement, est empruntée à la fois par les vraies nouvelles – comme la conversion au catholicisme du negus d’Éthiopie Susneyos Ier, annoncée à Paris en 1622[65] – et les fausses, comme celles du shah Abbas Ier, annoncée en 1606[66], ou celle du daimyo Date Masamune, annoncée à la suite de l’ambassade Keichō (1613-1620).
  5. J’ajoute quelques détails sur cette dernière fausse nouvelle, qui appartient à un corpus connexe, mais surtout qui illustre la valeur de vente d’une annonce de conversion, quitte à ce qu’elle soit inventée. L’entrée à Rome en 1615 du samouraï Hasekura Tsunenaga (baptisé Felipe Francisco Hasekura, ou « Philippe François Faxicura ») est suivie, tout comme l’entrée de 1585, d’une série de plaquettes, dont quatre imprimées à Toulouse par Jean Boude, en 1615, 1616 et 1618. Celle de 1616, intitulée Relation de l’entrée magnifique qui a esté faicte à Rome, précise – avec justesse, car le daimyo de Sendai, Date Masamune, ne s’était pas converti – que le « Roy Idata Massamune » ne cherchait alors qu’à « contracter aliance avec nostre S. Pere le Pape & le Roy d’Espagne » ; il est vrai que le daimyo est « affectionné aux Chrestiens », et permet aux missionnaires de prosélytiser sur ses terres, mais il s’excuse auprès du Pape de ce qu’« il n’a encore fait profession du Christianisme[67]». Jean Boude imprimait pourtant, l’année précédente, un récit où était déviée la réalité, pour mieux suivre les ornières du genre. Le titre annonçait frauduleusement : Fidelle et notable discours de la conversion du Roy Ydata Macamune, & de l’Edict qu’il à faict publier par tout son Royaume de Boju au Jappon commandant à tous ses vassaux de reçevoir la Foy Chrestienne[68] ; le texte renchérissait : « Ce Roy […] non seulement se resolut de ce faire Chrestien luy mesme, mais encore par un Edict, & commandement expres obliger tous ses vassaux tant grands que petits à faire le semblable ». Les deux éditions de 1618 démontrent ensuite la valeur de vente supérieure d’une annonce de conversion d’un grand monarque, puisque que c’est la nouvelle faussée de 1615 que Boude réimprime alors, en renchérissant même sur sa fausseté : le texte est identique, sauf pour les dates, rajeunies ou « regrattées[69] ». La malhonnêteté rapporte : deux éditions survivent donc pour cette année-là[70]. La conversion de « Idate Masamune », de même que le passage à Rome de « François de Faxicure », seront à nouveau annoncé en 1643, encore une fois en falsifiant les dates[71].
  6. Il est de même indubitable que nos imprimés de 1585-1586 appartiennent à ce corpus d’annonces publiques de conversion au christianisme. En contrepartie, les annonces en 1585-1586 constituent peut-être l’apothéose, quantitativement pour le moins, d’un corpus qui se ramifie à partir de cette artère[72].

3.3. Nouvelles extraordinaires

  1. Les deux premières artères, en plus de correspondre à un corpus relativement aisé à délimiter – ou peut-être à un motif relativement aisé à identifier à l’intérieur d’un corpus donné – sont également des procédés de pertinence, comme on l’a vu avec l’entrée des adolescents à Rome. Ce n’est ni l’ambassade elle-même, ni son itinéraire, qui crée la nouvelle (c’est-à-dire qui la rend pertinente à énoncer), ou qui l’oriente, mais cette simple cérémonie. C’est également le cas pour ce qui est de l’annonce de la conversion des daimyos : voilà l’autre élément clé, qui transforme l’événement en nouvelle, comme si l’identification d’entrées, de conversions, ou d’autres motifs, était le principal procédé d’enquête, ou procédé d’extraction, dont disposaient alors les réseaux de proto-journalistes. Il en va de mêmepour la troisième et la quatrième artères, mais c’est alors largement le procédé lui-même qui prime, sans véritablement correspondre ni à un corpus limité, ni à un motif précis. Le premier de ces deux procédés – notre troisième artère – est la présentation des nouvelles comme extraordinaires, c’est-à-dire inouïes, inédites. Ces nouvelles rapportent ce qui sort des normes : naissances monstrueuses, crimes tout particulièrement sanglants, phénomènes météorologiques inexplicables, ambassades extraordinaires, etc. Plus qu’une simple artère de pertinence, on pourrait même affirmer que l’extraordinaire est une spécificité proprement existentielle. Plus tard, pour les gazettes et autres périodiques des XVIIe-XVIIIe siècles, la nouveauté sera un attribut récurrent, régulier – hebdomadaire, précisément, dans le cas d’une publication hebdomadaire. Pour l’occasionnel cependant, la nouveauté est avant tout hors normes; la pertinence s’y justifie au cas par cas, impression par impression[73] ; d’où une recherche, un culte de l’extraordinaire, que souligne souvent une préface, un paratexte, un ajout de l’imprimeur.
  2. Dans le discours reproduit du jésuite Gaspar Gonçalves, l’ambassade Tenshō, véritablement inouïe (« ce que par tous les siecles passés ne fut oncques ouy », B27, p. 9), suivant une liste de critères de comparaison, est déclarée plus extraordinaire que toutes les ambassades du passé. Voici un exemple du procédé :

Jadis au temps de l’Empereur Cesar Auguste[,] Romme s’estima bien heureuse, que durant le gouvernement d’iceluy, le nom & la renommée de l’Empire se trouvast de si grande estendue, que quelques peuples Indois incités de sa grandeur & Maiesté, & desirans de se joindre par acointance & amitié à eulx, eussent envoié leurs Ambassadeurs à Cesar. Le peuple de Romme couroit lors de tous endroictz pour veoir une sorte de gens non plus veue, des visages incongneus aux Rommains & des vestements inusitez, finalement tant par les yeulx que par les oreilles ils puysoient leur langage non plus ouy. Or comparons s’il vous plaist maintenant, ladicte Ambassade des Indois, avec ceste cy des Japonnois. Celle la estoit certes de pays tresdistans & esloingez, mais ceste-ci de combien plus loingz pays est elle ? Premierement il leur a esté besoing d’employer beaucoup de temps, à passer de Japon au port de Scina, & de la passer aupres du fleuve Gangez […] ; puis descendre aux Indes, à fin que d’icelles ilz navigassent à Portugal, ilz ont tra-passé toute l’Espaigne […], & finalement ilz ont voiagé trois ans entiers, partie par mer, partie par terre, pour parvenir à Romme, & à Gregoire souverain pasteur de l’Eglise.

  1. La distance parcourue surpasse celle des ambassades mêmes les plus prodigieuses des siècles passés. L’extraordinaire, ou alternativement l’étrange, est par ailleurs ici directement proportionnel à l’étranger, c’est-à-dire au lointain ; la conjonction est commune dans les occasionnels d’alors, parfois même falsifiée.
  2. La suite de l’extrait indique que la distance n’est cependant pas la seule marque de l’inouï, car cette nouvelle ambassade d’Asie, au contraire de l’ancienne, signale une éclatante – et nouvelle – suprématie politique et religieuse de Rome sur les terres lointaines :

Or au temps d’Auguste Cesar, le nom de l’empire de Romme, fut bien ouy voir aux Indes : mais leurs armes n’y furent oncques veues, leurs enseignes & estendartz n’y furent jamais despliés. Les Indois comme egaulx requeroient les Romains de leur acointance & societé, mais ils ne leur offroient point obeissance. Ilz demandoient de s’allier & joindre avec eulx, comme compaignons, non pas de recevoir leurs commandemens, leurs loix, leurs costumes & manieres de vivre comme de Superieurs. Mais ce jourdhuy que voyons nous à Romme, en cest excellent theatre du monde ? Ces Seigneurs yssus de tresnoble sang, ces adolescens de maison Royale, jectez par terre, devant les piedz de Gregoire souverain pasteur ; & au nom de leurs Seigneurs & Roys luy demander humblement, non amitié comme egaulx : (s’asseurantz toutesfois comme enfans de sa bien veillance paternelle) mais luy offrir obeissance & fidelité comme subjectz (B27, pp. 9-10).

  1. Le motif en jeu, sous-jacent à sa présentation via une rhétorique de l’extraordinaire, semble ainsi être celui de la conversion de monarques, et le rituel d’obédience qui l’accompagne. Se rejoignent ainsi nos deuxième et troisième artères. Si l’on convient de plus des similarités, explicites pour les contemporains, entre les entrées royales et/ou ambassadoriales et les triomphes antiques suivant une victoire militaire, on y verra la conjonction des trois artères : une conversion extraordinaire et triomphale.
  2. Le superlatif – l’étrangeté suprême, signalée par la distance spatiale – est aussi implicitement admis comme argument de pertinence dans certaines pièces d’accompagnement, par exemple dans le premier « extraict d’une lettre » qui fait suite, dans l’édition de Louvain (B27), aux discours pronconcés dans la Sala Regia:

[D]epuys la creation du monde, & la naissance des hommes, n’y eust jamais Ambassade, qui meüe de piété & devotion, ou de la grandeur de l’Empire Romain[,] soit venue de si loing, & de gens tans esloingnées, à [quelque] Pape ou Empereur qu’il soit (B27, p. 20).

  1. L’intérêt que suscite encore l’ambassade Tenshō, quelques 435 plus tard, indique que notre perception des événements, à rebours, correspond pour le moins partiellement à celle des contemporains : l’ambassade fut extraordinaire, pour les uns comme pour les autres. L’apparente coïncidence de ce point d’arrivée ne signifie pas pour autant que le trajet fut le même : notre propre artère de l’échange culturel ne s’aligne qu’imparfaitement aux leurs, voire s’étendrait en sens inverse si l’on se fie à l’interprétation de J. S. A. Elisonas, qui minimise l’importance des événements (aux yeux de l’Histoire, c’est-à-dire aux nôtres) précisément parce qu’il s’agit d’un spectacle. Pour les contemporains au contraire, le spectacle de Rome est exactement ce qui enclenche la diffusion des Acta, distribuées comme le serait un programme ou un libretto. À cela s’ajoute que l’extraordinaire d’alors nous est de même étranger, partiellement du moins, qui servait alors de marque aux diverses nouvelles distribuées sous le format de l’occasionnel – y compris celles qui, à quatre siècles de distance, nous paraissent incompréhensibles[74], voire loufoques[75]. D’un point de vue historique – c’est-à-dire à rebours – les cérémonies du 23 mars soulignent à juste titre le caractère exceptionnel de ce premier contact officiel, en grande pompe, entre l’Europe et le Japon. D’un point de vue médiatique, immédiat, ces cérémonies sont cependant rituelles – la sala regia était précisément employée pour les discours d’obédience – et les marques de l’extraordinaire qui en accompagne le récit sont discursivement, et paradoxalement, des plus ordinaires. Pour paraphraser Marshal McLuhan, l’extraordinaire est ici un symptôme du médium lui-même, plutôt que de son « message » ; une conséquence discursive inévitable, plutôt qu’une cause inhabituelle.

3.4. « Nouvelles nouvelles » et « nouvelles fraîches »

  1. Il convient de distinguer les marques de l’extraordinaire et celles de la nouveauté, qui est en soi un argument de pertinence alors de plus en plus souvent récupéré par les milieux de l’imprimé[76], et qui s’exprime notamment à travers une autre constellation d’adjectifs, de qualificatifs prêtés à l’« advis » ou à la nouvelle : fraisches lettres, nouveaux advis, derniers advis, nouveaux advertissements, dernieres nouvelles[77], nouvelle conversion[78], prodiges nouvellement apparus[79], enfant monstrueux nay depuis peu[80], accident arrivé naguieres[81], nouvelles venues nouvellement (!)[82]… ou plus simplement nouvelle[83]. Cet argument, cependant, n’est pas entièrement compatible avec celui de l’étrangeté, du moins lorsque ce dernier s’exprime par le biais de la distance spatiale. Les réseaux de communication étaient lents ; les nouvelles de pays éloignés ne parvenaient en Europe qu’avec plusieurs mois, voire quelques années de retard. Les préparatifs liés à l’ambassade Tenshō offrent une exceptionnelle illustration de ce décalage, de cette lenteur qui sert alors de gage d’étrangeté : au début de l’année 1586, alors que la quasi totalité des pièces sus-mentionnées circulent déjà, une lettre de Gaspar Coelho du 13 février 1582 est enfin imprimée en France, où l’on annonce… le projet de l’ambassade[84]!
  2. Une explication purement médiatique du succès de la nouvelle de l’ambassade Tenshō pourrait ainsi être que deux arguments de pertinence d’ordinaire quasi-opposés se trouvèrent en 1585 soudainement combinés : l’étrangeté étrangère, à laquelle la distance spatiale sert de gage, et la nouveauté, voire la fraîcheur ou l’immédiateté de la nouvelle, cautionnée plutôt par la contiguïté temporelle. Renversement inouï : en 1585, les nouvelles des « extremes parties de toute la terre » (B27, p. 9) sont également les nouvelles du mois dernier !

4. Deux ambivalences discursives

  1. La non-coïncidence des critères d’extraordinaire et de nouveauté, qui pour les nouvelles « étrangères » s’exacerbe parfois en quasi-opposition, est la première des deux ambivalences – ou deux tiraillements, ou indécisions – qui parcourent le discours occasionnel au XVIesiècle, et que le cas de l’ambassade Tenshō semble soudainement mettre à nu. Car s’il me semble important de bien concevoir le paysage médiatique européen qui informe les récits de l’ambassade Tenshō – c’est la principale raison d’être d’un article consacré aux médias européens dans la présente collection d’article –, en contrepartie l’événement historique, c’est-à-dire la venue réelle en Europe d’une délégation japonaise, sert de révélateur à l’historien des média qui en étudie les séquelles discursives, et lui permet de développer – au sens photographique – des détails autrement peu aisés à percevoir.

4.1. Éloignement (ou étrangeté) versus immédiateté

  1. Le décalage des lettres ou actualités japonaises, qui ne parviennent en Europe qu’avec des années de retard, n’est en effet exceptionnel qu’à un niveau quantitatif : les nouvelles étrangères – c’est-à-dire les nouvelles d’ailleurs, qui cependant se distinguent mal des nouvelles étrangères au simple sens d’extraordinaires – connaissent toutes alors un décalage proportionnel à leur éloignement d’origine. Puisque la distance spatiale augmente la distance temporelle, un tel décalage renforce, nourrit l’artère de l’extraordinaire. Pourtant, le medium exige la nouveauté, la fraîcheur, quitte à ce qu’elle soit falsifiée par le biais de dates « regrattées », et l’artère correspondante, que distingue au contraire un souci d’impression rapide, circule pour ainsi dire à sens inverse. Ce rapport – il s’agit presque de forces centripètes et centrifuges – s’observe numériquement jusque dans certains longs titres d’occasionnels d’alors : la nouveauté, ou contiguïté temporelle, est garantie par le rapprochement des dates de rédaction des nouvelles (souvent indiquées) et de leur impression (toujours indiquées) ; l’étrangeté l’est par leur écart.
  2. Deux arguments mélioratifs contradictoires se déploient de même dans les textes : celui de l’éloignement – du lointain spatial et temporel – et celui du rapprochement, de l’immédiat. Ainsi le discours de Gonçalves rappelle maintes fois l’origine superlativement lointaine des ambassadeurs venus « ex Iaponensium insulis, hoc est, ex ultimis omnium terrarum finibus», propos sur lesquelles les traductions françaises renchérissent :
      • « des Isles du Giapon, c’est, des dernieres fins de toutes les terres » (B24)
      • « des isles Japponoises, c’est-à-dire du bout de tout le monde » (B25)
      • « és Isles des Japons, qui sont aux derniers bouts de la terre » (B26)
      • « des Isles de Japon, c’est-à-dire, des extremes parties de toute la terre » (B27)
  1. Inversement, est également revendiquée l’immédiateté, notamment par le biais d’un paratexte insistant sur la contiguïté de la date de l’événement et de celle de sa diffusion. Une exceptionnelle quasi-instantanéité est alors atteinte : après plus de dix ans d’imprimés européens décalés sur le Japon, les imprimeurs sont enfin à même d’offrir, en 1585, des nouvelles de 1585 – portant sur quelques Japonais du moins. Le texte principal du Discours de la venue des Princes Japponois (B47) se termine ainsi avec une perspective d’avenir immédiat (« L’on dit qu’ilz s’achemineront à Naples, puis à nostre Dame de Laurette, de là à Venise », f15ro), suivie d’une ultime mise à jour (« Nous avons depuis entendu que les susdicts Seigneurs Japponois ont esté receus en la noble ville de Venise avec grands honneurs & magnificences », fo15 vo). Une telle dépêche, présentée comme ajoutée au moment même de l’impression, signale l’éphémère renversement des forces « centrifuge » et « centripète », leur rééquilibrage auparavant – et bientôt à nouveau – inconcevable. Le boom éditorial accompagnant l’ambassade Tenshō – celui de l’ambassade Keichō s’en fera l’écho – célèbre en quelque sorte la coïncidence momentanée, le fugitif instant où l’altérité japonaise ne fut plus ni temporelle, ni spatiale.

4.2. Altérité versus familiarité

  1. Dans le corpus des séquelles imprimées immédiates de l’ambassade Tenshō, à l’altérité s’oppose plus spécifiquement le rituel familier, la cérémonie coutumière. Voilà une autre ambivalence – un tiraillement entre deux forces, ou deux modes de pertinences quasi-contraires – qui travaille une grande part du discours occasionnel au XVIesiècle, et qu’exemplifie de même, remarquablement bien, notre microcosme de neuf brochures et un placard. Il s’y déploie – ou plus précisément s’y développe[85] – la familiarité d’un rituel diplomatique, qu’accompagnent à l’écrit une centaine d’imprimés de langue française, y compris ceux rapportant, en traits stylistiques non moins ritualisés, les entrées cérémonielles évoquées ci-dessus. Pourtant, il s’y manifeste également un discours contraire, celui de la bizarrerie, de l’extraordinaire, où règnent les mondes extra-européens – ces « Nouveaux Mondes » exotiques pour l’Europe, dont le Japon est alors l’exemple le plus récent – et qu’exprime alors également une panoplie d’imprimés, bien plus hétéroclites[86]. On retrouve les ornières cérémonielles, de même que les conversions (à soi, au même), décrites dans les sections 1 et 3.2 ci-dessus, mais elles se combinent à ces autres ornières, paradoxales celles-ci, qui exigent que les choses soient nouvelles, extraordinaires (3.3 et 3.4) – différentes.
  2. Deux anecdotes rapportées dans le Discours de la venue des princes Japponnois (B47, B50) semblent tout particulièrement indicielles de cette valse, elle-même quasi-cérémonielle, du Même et de l’Autre. Convient-il de faire montre des divergences, ou souligner au contraire les rapprochements culturels ? À l’arrivée des adolescents sur le continent européen, le Duc de Bragance « pour leur faire honneur fit vestir son premier-né à la Japponoise, & voulut qu’il les accompaignast [jusqu’à Madrid] en tel habit » (B47, fo6 vo). Voilà un bel exemple de célébration de la différence – littéralement superficielle, il est vrai. Cependant à Rome, pour leur conversion de même littérale, ce sont les Japonais que l’on habille à l’européenne : « peu apres leur arrivée en Rome [Grégoire XIII] leur envoya plusieurs pieces de drap de soye, à ce qu’ils choisissent ce que leur plairoit le plus pour s’habiller à l’Italienne » (fo 13 ro).
  3. C’est cependant au niveau discursif – y compris pictural – que le décalage ou la tension, voire l’hésitation, entre l’ouverture vers l’Autre et la conversion au Même, est le plus remarquable. Dans les Acta – par exemple dans l’édition B24 – les trois lettres des daimyos sont courtes et maigres en informations (pp. 4-9) ; la pièce maîtresse est la reproduction du discours de Gaspar Gonçalves (pp. 10-26), suivi de la courte réponse d’Antonio Boccapaduli (pp. 27-28). D’une certaine façon, le discours sur l’autre prime sur le discours de l’autre, au risque de n’offrir qu’une « image banalisée, immédiatement assimilable d’un peuple lointain presque totalement dépourvu d’étrangeté »[87]. Pourtant, quelques choix éditoriaux indiquent une certaine gêne : alors que l’édition B27 annonce – comme le faisaient les éditions latines que j’ai pu consulter – le nom de Gonçalves en gros caractères pour présenter son discours, les trois autres traductions, bien qu’elles mentionnent le nom du jésuite dans le corps du texte précédent, l’excluent du titre, qui offre alors un discours curieusement désincarné, à la formulation passive, comme pour gommer ce Même qui parle, et laisser sa place à l’Autre :
      • « Oraison prononcée à l’entrée des ambassadeurs du Giapon » (B24)
      • « Harangue faite à l’entrée des Ambassadeurs Japponois » (B25)
      • « S’ensuit l’oraison qui fust prononcée à l’arrivée des Ambassadeurs pour les Roys & Princes des Japonois » (B26)[88].
  1. Une coïncidence qui n’étonnera guère : l’édition B27 est la seule du lot où l’on trouve quelques traces explicites d’implication jésuite au niveau de la production[89]. À l’opposé, Le discours de la venue des princes Japponnois (B47, B50), préparé par notre éditeur le plus expérimenté dans le format de l’occasionnel, reprend les lettres des daimyos, mais supprime Gonçalves et Boccapaduli. Le discours de la venue est par ailleurs du texte le plus narratif, le moins ritualisé du corpus, en cela que les discours prononcés servent d’annexe à la nouvelle de l’ambassade, plutôt qu’ils n’en constituent la totalité. C’est qu’en contrepartie au discours cérémoniel, une autre logique – celle de l’extraordinaire – entre en jeu. Les lettres et autres pièces ajoutées décrivent ainsi les habits, les mœurs étranges des Japonais, alors que la figure de leur chaperon jésuite, Diego de Mesquita, est à peine évoqué. Pourtant – il s’agit bien d’une valse – la seule gravure d’un occasionnel français qui survive présente les quatre adolescents vêtus à l’européenne pour l’occasion, avec le portrait du « Pere Mesquita » en place centrale… (B47a).
  2. L’imprimé B26b – ces Pompes et magnificences largement vides d’informations réelles ou exactes – serait une reductio ad absurdum de ce rapport, un cas où seule la force centrifuge, vers le Même, entre en jeu : l’œuvre d’un orateur pratiquant son métier en autarcie. Lors du seul renvoi réel aux événements eux-mêmes, à la p. 14, les Japonais semblent n’être qu’une variable x, que l’on remplacerait au besoin par quiconque mériterait une pompe semblable :

Les Cardinaux marchoient d’ordre en leur rang.

Les Evesques & officiers.

Les Chanoines en leur ordre.

Les Gentils hommes. Les Chevalier. Suisses. Trompettes & tambours. Deux compagnies de chevaux legers en fort bon equipage. Ces Rois de Japon marchoient au milieu des Suisses, un peu devant la Sainteté. Mais premier marchoient XXIIII haquenées blanches, leur harnois tout de broderie d’or & d’argent, avec houppes de soye, lesquelles on menoit en main : Et apres marchoient neuf mulets d’inestimable valeur. Deux litieres soustenues de quatre mulets enrichis comme dessus. La Sainteté du Pape monté sus une mule, se comportant si bien, qu’à le voir ne monstroit avoir la moitié des quatre-vingts six ans qu’elle portoit sur le chef. (B26b, p. 14)

  1. On pourrait aisément récupérer la même énumération, en regrattant au besoin l’âge du pape et la nationalité des invités de marque – pourvu du moins que les chevaux conservent les mêmes harnois houppés !
  2. Tout comme celui de l’éloignement & l’immédiateté, le duo altérité & familiarité est un conflit de pertinences : d’un côté, on insiste sur les éléments étrangers, différentiels ; de l’autre, sur le familier, l’identique, l’orthodoxe, la conversion. De même, les séquelles imprimées de l’ambassade Tenshō copient en partie la rhétorique énumérative des livres de fêtes imprimés au même moment, qui laisse une part minimale à la narration, au profit des descriptions, voire des listes : énumérations d’étapes, de participants, d’habits, de gestes répétés, de discours préparés, de dons échangés, etc.[90]. Mais l’emprunt est jugé insuffisant, puisque plusieurs des imprimés ajoutent des détails ou annexes proto-ethnographiques, dans lesquels s’exprime un culte des singularités alors davantage associé à la littérature des voyages. Par exemple, dans le Discours de la venue (B47), entre les entrées au Portugal, à Madrid, à Alicante, à Pise, à Florence, à Sienne, à Rome, accompagnées de leurs divers inventaires (fo6 ro-13 vo), et l’entrée à Venise (fo 15 vo-16 ro), s’insèrent quelques pages de descriptions non-cérémonielles, consacrées à l’aspect physique des envoyés, à leurs mœurs, leurs habits communs, à certains détails comparativement privés, le tout au présent de l’indicatif (plutôt qu’au passé, usuel pour les nouvelles) :

Quand ils mangent entre eux, ils ont certaines petites verges blanches comme yvoire, de la longueur d’un arpent [sic], qu’ils tiennent entre les doigts de la main droitte, & d’iceux prennent fort dextrement toute sorte de viandes, encor qu’elles ne soient gueres solides […]. Ils portent des bottines ou brodequins de certaines peau si deliée qu’on les tiendroit dans un poing, colorés & reluisants, si qu’ils semblent estre de soye, tous d’une piece, n’ayans qu’une seule ouverture qu’ils affeublent avecques des cordelettes : le pied de ces bottines est fait à la façon des moufles, qui ont le gros doigt separé, & les autres conjoints, leurs souliers sont comme ceux des Capuchins, sans talon, aiguz à la pointe, n’ayants autre empeigne qu’un cordon, lequel à grand peine couvre la pointe des doits du pied, de sorte que ceux qui n’ent [sic] ont l’usage, estiment chose impossible de marcher avecqu’iceux (fo 14)

  1. Dans les deux mince traités susmentionnés – le « Petit recueil » de l’édition B25 et la « Description de l’Isle de Japon », B26 – le pronom « ils » désigne désormais l’ensemble des Japonais, et certains passages y cultivent la différence au point où l’on croirait voir poindre la logique du renversement que l’on retrouvera dans le « Traité des contradictions et différences » de Luís Fróis[91]:

Ils ne boivent point de vin, n’ayant la nature produit telles plantes en si estranges, & si esloignez pays. D’où il advient que la plus grande partie d’iceux usent en leur boysson d’eau pure, chaude ou tiede toutefois [;] les autres ont de coustume de faire un certain vin d’orge, duquel ils se servent grandement à façon de la cervoyse, tout ainsi que les Flamends & Alemands ont accoustumé d’user (B26, pp. 80-81).

  1. En somme, les détails choisis, la rhétorique déployée, les motifs empruntés à deux genres ou catégories distinctes, semblent alternativement dominés par deux logiques opposées, et les élans soudains vers la familiarisation – géographique, culturelle, religieuse – se trouvent entrecoupés d’impulsions inverses toutes aussi brèves et soudaines. Aux fo 3 vo – 6 ro des Actes de Liège (B25), on trouvera les discours d’obédiences des trois daimyos convertis, dont les références sont bien connues (« la Passion precieuse de nostre Seigneur », etc.) ; aux fo 18 vo – 19 vo, dans une section du « Petit Recueil » intitulée « De la religion des Japponois », sans nulle mention de ce nouveau christianisme, on découvrira l’altérité d’une prière « en leur jargon : Namu Amida ambut, c’est-à-dire, sauve nous ô Amida ».

5. Conclusion

  1. Si l’ambivalence altérité versus familiarité – tout comme éloignement (ou étrangeté d’un autre ordre) versus immédiateté – est certainement exacerbée dans le corpus des récits français immédiats de l’ambassade Tenshō, de tels tiraillements parcourent néanmoins une grande part de la production d’imprimés occasionnels d’alors. D’un côté se met en place une industrie et un discours, avec ses pratiques, ses normes, ses stéréotypes, qui se perfectionneront au siècle suivant, lequel développera une obsession plus grande encore, véritablement exceptionnelle, pour les cérémonies publiques et ostentatoires ; de l’autre, une quête déjà ancienne se poursuit, et tout un vocabulaire se développe, de même qu’une logique de pertinence, qui insistent sur le merveilleux, l’étrange, le singulier, le non-reproduisible.
  2. Une troisième ambivalence – Occasion versus Sérialité – mériterait d’être développée, en particulier dans ses rapports tangentiels avec les déploiements des deux premières ambivalences. La démonstration nous éloignerait cependant trop de l’ambassade Tenshō. Il n’en demeure pas moins que le corpus lié à cet événement serait là aussi un exemple spectaculaire, voire spéculaire, à la fois des grandes similitudes qui existent au XVIesiècle entre le format de l’occasionnel et celui des lettres missionnaires, mais aussi de leur inévitable scission, ou peut-être de leurs incompatibilités fondamentales, inévitables. À la veille de la naissance des premiers hebdomadaires, l’industrie de l’occasionnel devient alors chaque année plus spécialisée, plus productive, plus rattachée aux artères 3 et 3.4 ; les impressions de recueils de lettres jésuites évoluent au contraire – en grande partie grâce aux lettres japonaises – vers une proto-périodicité, où se suivent les années, où reviennent les mêmes daimyos et autres personnages récurrents, plutôt que d’exceptionnels et éphémères visiteurs de passage. Ce ne sera alors plus des occasions, mais des séries…
  3. L’ambassade Tenshō, cruciale pour l’histoire des croisements interculturels et des contacts entre le Japon et l’Europe, est donc aussi tout particulièrement utile en tant que phénomène médiatique exemplaire, permettant ainsi de saisir certaines orientations, certaines contradictions propres aux nouveaux médias d’alors – à l’usage desquels, par ailleurs, l’ordre jésuite se montrera tout particulièrement apte.

Références bibliographiques

 

Sources

Imprimés de langue française (1585-1586), consacrés à l’ambassade Tenshō[92]

Les autres imprimés éphémères des XVIe-XVIIe siècles cités, trop nombreux et pour la plupart anonymes, ne se retrouvent qu’en notes de bas de page.

[B22] ADVIS VENUS NOUVELLEMENT DE ROME, touchant l’entrée au consistoire public, de deux Ambassadeurs envoyez de la part de trois Rois puissans du Giapon, de nouveau convertis à la S. Foy Chrestienne, pour rendre obeïssance à sa saincteté, Lyon, Benoit Rigaud, 1585.

[B24] LES ACTES DU CONSISTOIRE PUBLIC EXHIBÉ PAR NOSTRE S.P. LE PAPE Gregoire XIII. Aux ambassadeurs des Rois du Giapon, à Rome le XXIII. Mars, M.D.LXXXV., Lyon, Benoist Rigaud, 1585.

[B25] ACTES EXHIBEZ PUBLIQUEMENT AU CONSISTOIRE PAR NOSTRE SAINCT pere Gregoire Pape XIII. aus Ambassadeurs des Rois du Jappon à Rome, le XXIII. Mars. 1585. Avec un petit Recueil des Japponois, & de leur pais, mis en François par M. George Thourin Chanoine de S. Piere au Liege, Liège, Gualtier Morberius, 1585.

[B26] LES ACTES DU CONSISTOIRE TENU PUBLIQUEMENT À ROME, PAR nostre sainct Pere le Pape Gregoire 13. pour recevoir les Ambassades des trespuissans Roys des Japonois : Ce qui fut le 23 jour de Mars en l’an 1585. Avec une briefve description des moeurs, loix, religion, & façons de vivre desdits Japonois. Le tout fidelement traduit en François de l’exemplaire Latin & Italien imprimé à Rome, par François Zanit[93], avec privilege & octroy special, Paris, Jean Parant, 1585.

[B26a] ACTES DU CONSISTOIRE DE ROME PAR PERMISSION DE nostre sainct Pere le Pape Gregoire XIII. pour les ambassadeurs des Roys des Japons, suyvant les lettres d’iceux Roys. Envoyées à Rome en langage Japon, & depuis traduittes en Italien & en Latin, & nouvellement en François, Paris, Jean Richer, 1585.

[B26b] LES POMPES ET MAGNIFICENCES FAITES PAR NOSTRE S. Pere le Pape Gregoire XIII. du nom, à la reception des Roys de Japon, arrivez à Rome le 23. de Mars M.D.LXXXV. Avec les Ceremonies tenues à l’observation du Jubilé, & procession generale, faite par le commandement de sa saincteté où elle assistoit, avec grande alegresse du peuple Romain. PLUS, L’ordre tenu par les Cardinaux & suitte d’iceux. Les Evesques & Officiers : Les Chanoynes : Les Gentils-hommes : Les Chevalliers : Les Suisses : Les trompettes & tambours : Deux compagnies de chevaux legers en armes : Les Chambaretz, &c., Paris, Jean Richer « Et pour Jean Boudin Imprimeur », 1585.

[B27] CHOSES DIVERSES DES AMBASSADEURS DE TROIS ROYS DE JAPON, QUI n’agueires venuz à Romme, rendirent obeissance au nom de leurs Maistres & Seigneurs, à Gregoire XIII. souverain Pasteur de l’Eglise : Qui peuvent grandement recreer le Lecteur, & merveilleusement exciter les cueurs des bons, à rendre grandes graces à Dieu, Louvain, Jehan Maes, 1585.

[B47] LE DISCOURS DE LA VENUE DES Princes Japponois en Europe, tiré d’un advis venu de Rome : En laquelle est contenue la description de leur pays, coustumes & manieres de vivre, avec ce qui leur est advenu en chemin dés qu’ils sont departis de leurs Royaumes jusques à leur arrivée en Europe, & à Rome : Ensemble de l’obeissance prestée à nostre S. Pere, & la copie des lettres presentées à sa saincteté, de la part de leurs Roys & Seigneurs, c’est année M.D.LXXXV. Translaté de l’Italien en François, par Jaques Gaultier d’Annonay, Maistre és Arts de l’Université de Tournon, Lyon, Benoist Rigaud, 1585.

[B47a] Le vray pourtraict prins au naturel des quatre grands Princes Japponnoys venus dernierement à Rome, [s.l.], [s.n.], 1585.

[B50] LE DISCOURS DE LA VENUE DES Princes Japponnois en Europe, tiré d’un advis venu de Rome. Auquel est contenue la description de leur pays, coustumes & manieres de vivre, avec ce qui leur est advenu en chemin dés qu’ils sont departis de leurs Royaumes, jusques à leur arrivée en Europe, & à Rome : Ensemble de l’obeyssance prestée à nostre S. Pere, & la copie des lettres presentées à sa Saincteté, de la part de leurs Roys & Seigneurs, l’année M.D.LXXXV. Traduict nouvellement d’Italien en François, Paris, Frederic Morel, 1586.

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Séguin, Jean-Pierre, 1956-1957, « L’information à la fin du XVe siècle en France – Pièces d’actualité imprimées sous le règne de Charles VIII », Arts et traditions populaires, IV.4 & V.1, 1956-1957, p. 309-330 & 46-74.

Séguin, Jean-Pierre, 1959, « Notes sur des feuilles d’information relatant des combats apparus dans le ciel », Arts et traditions populaires, VII, pp. 51-62.

Séguin, Jean-Pierre, 1961, L’information en France, de Louis XII à Henri II, Genève, Droz.

Séguin, Jean-Pierre, 1964, L’information en France avant le périodique – 517 canards imprimés entre 1529 et 1631, Paris, Maisonneuve & Larose.

Vu Thanh, Hélène, 2017, « Impression Soleil Levant. Les ambassades japonaises en Europe (1582-1620) », Le Verger – bouquet XII, pp. 1-21.

[1] Je tiens à remercier Katherine Stratton, Anas Atakora et Joseph Palakyem Aziwa pour leur aide à parcourir les nombreux occasionnels ici cités.

[2] Il faut également signaler la présence de quatre autres Japonais : deux serviteurs, deux frères jésuites : Musillo 2012, p. 166.

[3] L’approche d’Antonella Romano se marie bien à mon propos ; l’identification à une ambassade serait en quelque sorte le résultat d’une volonté performative : « Une des grandes idées de Valignano est d’avoir monté le voyage comme une “ambassade” » (2016, ch. 3).

[4] Elisonas 2007, pp. 27-28, 35.

[5] Ōtomo Sōrin n’était alors ni « roi » (Bungo n’étant pas un royaume), ni même encore daimyo, remplacé par son fils Yoshimune en 1576. (Elisonas 2007, p. 31).

[6] Selon Elisonas, qui suit le témoignage du jésuite Pero Ramón, Ōtomo Sōrin n’aurait été informé de tout cela qu’après le départ de son envoyé, et « sa » lettre est une contrefaçon (Elisonas 2007, p. 33) ; cf. D. Massarella, qui commente ainsi Elisonas : « the evidence of forgery is not conclusive » (Massarella & Moran 2012, p. 11).

[7] «Used in a tableau vivant to represent Japan in Europe, [the boys] would then be reused to present a grandiose picture of Europe to Japan.» (Elisonas 2007, p. 37).

[8] Elisonas 2007, pp. 32, 37.

[9] Musillo 2012, pp. 168-169.

[10] Ibid., p. 168-170.

[11] Ibid., p. 170.

[12] Ibid., p. 179.

[13] L’indispensable ouvrage d’Adriana Boscaro (Boscaro 1973) n’est cependant pas complet. Je renvoie à la bibliographie de Boscaro à l’aide des sigles B22, B24, etc., en la complétant au besoin (B26A, etc.)

[14] Édition : Pinto, Yoshitomo & Bernard 1942.

[15] « Réfléchi » dans le sens de mûri (le De missione est rédigé sur près de deux ans), mais également dans celui de réverbéré (le Tratado, rédigé encore plus tardivement, l’est à partir des notes des adolescents, des lettres et d’entretiens avec Diogo da Mesquita – le seul jésuite qui les ait constamment accompagnés – et de plusieurs sources imprimées, y compris certaines plaquettes italiennes ; Pinto, Yoshitomo & Bernard, pp. xxv-xxx).

[16] Le Tratado l’est encore bien davantage ; il restera manuscrit jusqu’en 1942.

[17] Elisonas présente le De missione comme une œuvre de fiction, entièrement composée par Valignano, qui n’attendit pas même le retour réel de ses « personnages » (2007, p. 41).

[18] Seules traces explicites d’implication jésuite de notre corpus (les dix pièces listées en annexe) : les Choses diverses des ambassadeurs (B27) – l’une des cinq traductions identifiées – mentionnent « ex Italicao & Latino Gallice translata per O.M. Societatis IESV » (p. 27 ; monogramme IHS au verso de l’ouvrage) ; le traducteur du Discours de la venue des Princes Japponois (B47) mentionne un intermédiaire jésuite.

[19] Romano 2016, chap. 3, §33..

[20] Elisonas 2007, p. 48.

[21] Ibid., pp. 47-49. Martin Nogueira Ramos signale cependant que «none of the evidence Elisonas provides is decisive, and there remains no consensus among scholars about the authorship [of the Kirishitan kanagaki]» (2020, pp. 75-76).

[22] «The text reads: “The eighteenth of June 1585. Ito don Mancio. Cigiua don Michele. Hara don Martino. Nacaura don Juliano. We are passing by Imola, in exchange for the caresses and consideration received from the aristocrats and inhabitants of this city we leave this script as memory.”» (Musillo 2012, p. 177).

[23] Ibid., pp. 177-180

[24] Proust 1998, p. 151 ; c’est moi qui souligne.

[25] La fortune européenne du De missione est minimale ; il n’en subsiste qu’une seule édition vernaculaire, partielle et tardive, incorporée à la deuxième édition des Principal Navigations (1599) de Richard Hakluyt.

[26] Bertrand 2011, p. 17 ; comme l’indiquent les doubles guillemets, Romain Bertrand reprend lui-même l’expression de Timothy Brook.

[27] Sur ces improvisations, ou sur la lente « invention des nouvelles », voir en particulier Pettegree 2014.

[28] Romano 2016, ch. 3.

[29] Mon propos s’inscrit moins dans le cadre d’une histoire partagée – d’une « histoire à parts égales », pour reprendre la formule de Romain Bertrand – où l’on fera la place aux Japon, que d’une histoire en quelque sorte mal contrôlée, improvisée, collective, à plusieurs acteurs, qui correspond davantage à la perspective d’« englobement du monde » d’Antonella Romano : un « processus de déstabilisation des savoirs anciens », où travaillent une multitude d’« acteurs aux prises avec des espaces lointains », où se mêlent acteurs locaux et « savoirs de cabinet » (Romano 2017).

[30] Il faut nuancer l’affirmation de Vu Thanh, pour qui « [l]es ambassades participent à la constitution d’un savoir direct sur le Japon, pays bien connu en Europe depuis plusieurs années grâce au truchement des missionnaires » (p. 1), d’abord car ce savoir fut bien sûr médiatisé, mais également car les connaissances préalables sur le Japon étaient limitées. Marie-Christine Gomez-Géraud dit au contraire : « le Japon, en 1585, n’est guère connu de l’Europe : seules les lettres de missions, largement diffusées par le biais de traductions, et qui rapportent chaque année les progrès de la foi, en livrent la fade image d’un pays idolâtre et ruiné par les luttes entre les clans. Ainsi la sommaire description que Valignan brosse des territoires nippons dans les Lettres nouvelles par exemple, montre combien les observations ethnographiques cèdent le pas aux péripéties des aventures de la Compagnie de Jésus sur la terre “des ennemis de nostre Sainte Loy” » (Gomez-Géraud 1993, p. 249).

[31] Succinctement : « That the [1584-1586] legates put Japan on the map for most Europeans is beyond doubt » (Lach 1965, I.2, p. 705). Judith C. Brown – qui compare l’ambassade Tenshō avec le non-événement du passage à Rome, en 1555, du Japonais Bernard (ou Bernardo) de Kagoshima, de même qu’avec la réception mitigée de l’ambassade Keichō – n’est pas convaincue par l’affirmation de D. Lach ; elle signale au contraire que les ambassadeurs de 1585 suscitèrent relativement peu d’intérêt à Lisbonne, et que l’engouement romain s’explique sans doute davantage par un intérêt des foules pour la pompe et les célébrations grandioses qui firent de leur passage un spectacle, plutôt que par un intérêt réel, même superficiel et « exotique », pour le Japon (Brown 1994, p. 885). L’argument de Lach, cependant, reposait moins sur la splendeur de l’accueil romain que sur la diffusion médiatisée de l’événements ailleurs en Europe (Lach, pp. 701-702) ; de ce point de vue, l’enthousiasme des spectateurs lisbonnais est sans grande importance, comparé à celui des lecteurs (ou du moins des imprimeurs) à travers l’Europe.

[32] Atkinson 1936, nos 76 et 106 ; Nouvelles d’Indie et de la Terre Neusve (Anvers : Jean Laet, 1551) [on y apprend que « Francoys Savier […] partit la dimenche de Pasques fleuries Anno. M.D.XLIX. present, tirant vers l’Isle de Giapan, & debvoit arriver là au mois d’Aoust : mais vray est que en moins d’ung an ne se peuvent esperer aulcunes lettres de luy » (f 1vo-2ro)].

[33] Atkinson 1936, no 216, pp. 173-174.

[34] Balsamo 1996, pp. 166-170 ; Renouard 1984, pp. 31-40.

[35] Je me fie à la bibliographie établie par le groupe de recheche « Lettres du Japon » (Guy Poirier et Marie-Christine Gomez-Géraud), disponible en ligne : https://uwaterloo.ca/lettres-japon/.

[36] La bataille de Lépante est suivie de quinze brochures françaises en quelques mois (Rouillard 1941, pp. 71, 646-665).

[37] Cet itinéraire et sa suite, infra, est établi d’après Pinto, Okamoto & Bernard 1942, Cooper 2005 et Massarella & Moran 2012.

[38] « Advis » est un italianisme alors courant, calque de avvisi (sing. avviso).

[39] Advis de la defaicte de l’armée Portuguese en Faez : escrit du destroict de Gilbaltar, à un Seigneur principal, le treziesme Aoust 1578, Lyon, Benoît Rigaud, 1578.

[40] Vray discours de la cruelle bataille donnée par le serenissime Roy de Portugal [Sebastião Ier] & le roi Xarife, au Roy de Fees Maluc […], Paris, Nicolas Bonfons, 1578.

[41] Son Advis de la defaicte de l’armée Portuguese s’achevait également sur la promesse d’une suite : « vous serez advisé de ce que surviendra ».

[42] Postface « Aux Lecteurs Catholiques », datée du 1er mai.

[43] Boscaro 1976, no 12, 13 ; l’imprimeur est Jehan Maes.

[44] Médiathèque municipale de Poitiers, cote RP 12-32 (pièce 1). Il manquerait donc, au minimum, la lettre du troisième daimyo, de même que les discours de Gaspar Gonçalves et d’Antonio Boccapaduli. L’indication « LETTRE », au bas de la p. 8, signifie que le cahier suivant (pp. 9-16) commençait par ce mot.

[45] La confusion repose en partie sur l’ambiguïté du mot « prince » : on apprend à la p. 10 que des quatre princes arrivés à Rome, « L’un d’eux estoit le fils d’un Roy du Japon, les trois autres, ses neveus » ; ailleurs cependant, les mots « Princes », « Rois » et « Roys » sont interchangeables. À la p. 14, « Sa sainteté » le Pape, « accompagnée desdits trois Rois de la terre du Japon », se rendent à « S. Pierre pour ouyr la Messe ».

[46] Le titre de la plaquette – qu’on trouvera entier en bibliographie – s’achève ainsi : PLUS, L’ordre tenu par les Cardinaux & suitte d’iceux. Les Evesques & Officiers : Les Chanoynes : Les Gentils-hommes : Les Chevalliers : Les Suisses : Les trompettes & tambours : Deux compagnies de chevaux legers en armes : Les Chambaretz, &c.

[47] L’hypothèse est celle de Boscaro, qui ne connaissait cependant que la version allemande du placard, datée de 1586. Dans tous les cas, dans Le vray pourtraict (sans date), le séjour italien est présenté comme dorénavant accompli : « Ils ont esté receuz en toutes les principales villes d’Italie avec fort grand honneur, pompe, & resjouissance de tous estats, & s’en retournent fort contents & consolez d’avoir veu les belles façons & devotions de la Chrestienté » (B47a) ; cela signifie, au niveau du contenu pour le moins, que cette pièce se situe vers la toute fin de notre série.

[48] Boscaro 1976, nos 66, 67, 69 : Advertissemens nouveaux, des roiaumes de la Chine et du Giapon, Escris sur la fin de l’an 1586. Avec le retour des Princes Giaponnois aux lndes. Le tout extraict des lettres des Peres de la Compagnie de Jesus : receuës ce dernier mois d’Octobre 1588, Lion [sic], J. Veyrat, 1589 ; Advertissement de la Chine, et Japon, de l’an 1585.86. et 87. Avec l’Arrivée & venuë des Seigneurs Japonnois aux Indes. Tirez des lettres de la Compagnie de Jesus. Receuz le moys d’Octobre 1588, Paris, N. Nivelle, 1589 ; Nouveaux advertissementz des choses qui se sont passées en la Chine, et au Japon, et du retour des Princes Japonois, qui l’an 1585. vindrent à Rome, & de leur arrivée aus Indes, Douay, J. Bogart, 1589.

[49] Respectivement : 112 pages, 44 feuillets et 61 pages.

[50] Boscaro 1976, p. xxv. Cas hybride : en 1593, les Actes seront imprimés à nouveau, abondamment complétés par diverses lettres rédigées depuis, mais en conservant tout de même, en page de titre, la tête d’affiche (Boscaro 75 : Recueil de tout ce qui s’est faict au consistoire assemblé à Rome par N.S.P. le Pape Gregoire XIII. où furent receus les Ambassadeurs de trois Rois du Jappon […] le XXIII. Mars L’an 1585. Auquel nouvellement est cy joinct un brief discours d’aucunes missions tant d’Orient, que d’Occident, tiré de certaines lettres escrites les ans 1590. & 91 […], Douay, Vefve I. Boscard, 1593).

[51] Industrie dont les pratiques et évolutions sont détaillées dans les travaux fondateurs de Jean-Pierre Séguin : Séguin 1956-1957, 1961, 1964 ; voir également Pettegree 2014.

[52] Période qui s’étend du siège de Malte en 1565 (« which seems first to have thoroughly aroused French interest in Turkish expansion ») à la bataille de Lépante en 1571 (Rouillard 1941, p. 66).

[53] Les nouvelles proprement européennes ou françaises, distribuées en France, forment ainsi un ensemble important ; il est vrai cependant qu’avec les guerres religieuses, le bulletin d’informations se confond souvent au pamphlet, mais on peut tout de même signaler qu’un événement comme l’assassinat de François de Lorraine (1563) donne lieu à une « trentaine de plaquettes et d’épitaphes » (Rouget 2019).

[54] Pascal Lardellier distingue les « grandes relations » des « petites brochures de type occasionnels » (Lardellier 2003, pp. 189-193) ; idem chez Benoît Bolduc, qui quantifie : « La très grande majorité [des livres de fêtes] consiste en relations imprimées en petites plaquettes d’une ou de deux feuilles pliées en huit pour former des octavo de seize ou trente-deux pages » ; les livres de fêtes « exécutés avec beaucoup plus de soins » sont bien moins nombreux (Bolduc 2016, p. 16).

[55] Un seul exemple : Discours des triomphes et resjouissances faicts par la Serenissime Seigneurie de Venise, à l’entrée heureuse de Henry de Valois, troisième de ce nom, Treschrestien Roy de France & de Pologne, Lyon, M. Jove, 1574.

[56] Un seul exemple : L’arrivée de la Royne d’Espaigne [Élisabeth de France] à S. Jehan de Lus, de son entrée à Bayonne, Lyon, B. Rigaud, 1565.

[57] Un seul exemple : Nouvelle de la venue de la Roine d’Algier à Rome, et du baptesme d’icelle, & de ses six enfans, & des Dames de sa compagnie, Paris, G. Buon, 1587 ; cet exemple appartient également à la catégorie des « annonces de conversion », infra.

[58] Copie d’une lettre contenant la description de l’entrée triomphale de Don Pedro de Tholedo faicte à Fontainebleau, Venise, C. le Caillier, 1609.

[59] Discours sur le subject de l’Ambassade du Grand Turc, envoyé au Tres-Chrestien Roy de France & de Navarre, Paris, I. Mesnier, 1618.

[60] L’ambassade du Grand Turc à l’Empereur Romain pour la paix, Lyon, J. Anard, 1623.

[61] Copie d’une lettre envoyée de Constantinople […]. Contenant l’ordre tenu à la magnifique & tresriche entrée & reception, faicte à l’Ambassadeur du Roy de Perse dict le Sophy, Lyon, B. Rigaud, 1580.

[62] Haffemayer 2002, pp. 364-375.

[63] Nuovi avisi dell’India de reverendi padri della Compagnia di Giesv ricevuti quest’anno MDLXX, Rome, héritiers d’Antonio Blado, c.1570 ; traduction française : Recueil des plus fraisches lettres, escrittes des Indes Orientales, par ceux de la Compagnie du nom de Jesus, qui y font residence, & envoiées l’an 1568. 69. & 70., Paris, Michel SOnnius, 1571.

[64] Pour une analyse de ce texte, à la fois un exemple de « nouvelle faulse » et de « nouvelle reschauffée », voir Masse 2021, pp. 30-41.

[65] La conversion du Prete-Jan empereur des Ethiopiens et Abyssins, et de tous les sujets de son Royaume, à la foy Catholique, Apostolique, & Romaine, Paris, Joseph Guerreau, 1622.

[66] La nouvelle conversion du roy de Perse. Avec la deffette de deux cents mil Turcs apres sa Conversion, Paris, François Hyby, 1606 ; sur ce texte, voir Masse 2021, pp. 24-29.

[67] Relation de l’entrée magnifique qui a esté faicte à Rome, à Dom Philippe François Faxicura, & au Reverent P. Louys Sotello Religieux de l’ordre des Deschaussez de l’Observance de S. François, Ambassadeurs d’Idate Massamune Roy de Vochu du Japon, Toulouse, J. Boude, 1616. Une brochure parisienne spécifiait, en 1615, que l’absence d’une profession de foi réelle de la part de Data Masamune avait gâché le rituel d’entrée de son ambassadeur : « parce que le Roy du Jappon ne s’est encor declaré Chrestien, quoy qu’il soit converty, & que pour cest effect il a envoyé ledit Ambassadeur, le train & famille de sa Saincteté n’intervient point, & n’assisterent à ladite entrée. » (L’arrivée et entrée publique de l’ambassadeur du roy du Jappon dans la ville de Rome, le 2. Novembre 1615. Envoyé par son roy pour rendre obeyssance au Pape, Paris, J. Guerteau, 1615).

[68] […], & de l’Ambassade que pour c’est effect il à envoyé vers nostre S. Pere le Pape, & le Roy d’Espaigne, Toulouse, J. Boude, 1615.

[69] « Ceste mesme année 1615 », de l’édition de 1615, devient en 1618 « ceste presente année » ; l’incipit de même est révisé : « L’An 1599 partit de Seville […] » (1616) devient « L’an 1606 partit de Seville […] » (1618). Sur les nouvelles « regrattées », voir Chartier 2005, ch. 4 ; Pouspin 2016, pp. 190, 276-281 ; Masse 2021.

[70] Fidelle et notable discours de la conversion du Roy Ydata Macamune, & de l’Edict qu’il à faict publier par tout son Royaume de Boju au Jappon commandant à tous ses vassaux de reçevoir la Foy Chrestienne, 14 pages ; Conversion du Roy Ydata Macamune, et de l’Edict qu’il a faict publier par tout son Royaume de Boju au Jappon, 8 pages.

[71] L’heureuse conversion de trois ministres de la Religion Pretenduë & Reformée […] Avec la lettre du Roy de Jappon escrite à N.S.P. le Pape Urbain VIII. pour sa conversion. Ensemble l’entrée solemnelle à Rome de ses Ambassadeurs, le 29. d’Octobre 1643, Paris, s.l.n.d. [«  Sur la coppie imprimée à Lyon. Par Leon Savine »].

[72] Masse 2021.

[73] Il est tout particulièrement remarquable, pour illustrer cette distinction entre le régulier (la nouveauté « ordinaire ») et l’hors normes (la nouveauté « extraordinaire »), de l’observer jusque dans la Gazette de Théophraste Renaudot : « De novembre 1631 à décembre 1682, la Gazette est chaque semaine accompagnée d’un cahier annexe intitulé Nouvelles ordinaires. À côté de ces numéros ordinaires sont publiés des Relations et des Extraordinaires, très nombreux jusqu’au milieu des années 1670, époque où ils disparaissent presque complètement » (Feyel 1992, p. 443).

[74] Ainsi la série des « combats apparus dans le ciel », dont Rigaud publie quelques exemples, y compris celui-ci : « à la Chappelle Hodon au Mayne, & és environs de la Chartre sur le Loyr, ont esté veues [dans le ciel] deux bandes d’hommes armez tout en feu, combatans les uns contre les autres avec extreme furie par l’espace de pres d’une heure » (Prodiges merveilleux apparuz au pays d’Anjou, & du Mayne, les xiii. & xiiii. du moys de Mars année presente 1575, Lyon, Benoist Rigaud, 1575, fo 5 vo). Sur ce corpus, voir Séguin 1959.

[75] Un seul exemple, dont le titre suffit : Discours miraculeux[,] inouy et epouventable, avenu à Envers […] d’une jeune Fille Flamende, qui par la Vanité, & trop grande curiosité de ses habits & collez à Fraize Goderonnez à la nouvelle mode, Fut etranglée du Diable, & son corps apres telle punition Divine estant au Cerceuil, transformé en un Chat Noyr en presence de tout le Peuple assemblé, Paris, B. Chauchet, [1582].

[76] J’ai développé cet argument dans Masse 2011b.

[77] Dernieres Nouvelles de Constantinople, Poitiers, P. Boizateau, 1575

[78] La nouvelle conversion du roy de Perse, Paris, F. Hyby, 1606.

[79] Histoire memorable sur les Prodiges nouvelle apparus en l’air, Paris, G. Binet, 1602.

[80] Prodige d’un enfant monstrueux nay depuis peu, [s.l., s.é.], 1615.

[81] L’accident espouventable de l’embrazement arrivé naguieres, Paris, Adam Saugrain, 1617.

[82] Nouvelles venues nouvellement de Pera, Anvers, J. Mollijns, c.1560.

[83] Nouvelle tres-agreable pour la chrestienté de la mort d’Amet Empereur des Turcs, Toulouse, J. Denis, 1618.

[84] « Le P. visiteur estime qu’il seroit bon pour l’avancement du service de Dieu, que les Roys du Jappon envoyassent quelques uns vers sa saincteté pour luy rendre obeissance en leur nom : car par ce moyen ils traverseroyent une bonne partie de l’Europe, & beaucoup de biens s’en ensuyvroit, voyans principalement la grandeur & splendeur de l’Eglise, & des princes Chrestiens : & en particulier les saincts lieux, & les sainctes reliques de Rome, de quoy ils recevroyent beaucoup de contentement & d’edification : & estant de retour seroient envers les autres, tesmoings de veue & prescheurs de la verité. […] Ce sont les occasions qui font que le P. Visiteur solicite ce Roy d’envoyer quatre jeunes hommes des plus nobles, un desquels se nomme Dom Mancio, […] [l]’autre Dom Michel […] : les autres deux […] Dom Julien & Dom Martin, qui sont pour tenir compagnie aux deux princes dessus dits » (Lettre du Jappon de l’an M.D.LXXXII. envoyée au R.P., general de la compaignie de Jesus, par le P. Gaspar Caelio Vice provincial audict lieu, Paris, T. Brumen, 1586. pp. 5-6).

[85] Le monde diplomatique et des ambassadeurs connaît simultanément un essor remarquable en Europe, dont les développements complexes – pour lesquels Rome et l’Italie jouent un rôle primordial – s’accompagnent d’une réflexion normative, qui s’exprime notamment par le biais de manuels imprimés.

[86] Voir Masse 2009, où je suis l’intégration dans un large corpus d’imprimés français des lieux de l’Atlantique nordique, de l’Afrique subsaharienne, de l’Inde côtière, de l’Asie du Sud-Est, jusqu’au début des années 1550, où s’ajoute alors le Japon.

[87] C’est là la conclusion de l’article que Marie-Christine Gomez-Géraud consacre à ce corpus, qu’elle juge avec sévérité ; le Japon y est, dit-elle, « banalisé, occidentalisé à l’extrême », une « négation de l’altérité ». Elle signale notamment « L’accent porté sur l’aptitude à la dévotion d’un peuple », qui en effet est un leitmotiv dans ce corpus, et qui « constitue la manœuvre finale d’une entreprise d’assimilation, totalement assumée par une littérature qui utilise l’événement à des fins de propagande. » (Gomez-Géraud 1993).

[88] Je rappelle que le seul exemplaire survivant connu de l’édition B26a, qui contenait vraisemblablement le discours de Gonçalves, est incomplet.

[89] Voir note 17 supra.

[90] Sur le style propre à ce corpus, voir surtout Lardellier 2003 et Bolduc 2016.

[91] Tratado em que se contém […] contradições & diferenças de custumes antre a gente de Europa & esta província de Japão (1585) ; sur cette logique, voir Masse 2014.

[92] Les sigles B22, B24, etc., renvoient à la bibliographie publiée dans Boscaro 1973, à laquelle j’ajoute trois titres qu’elle ne répertorie pas : B26a, B26b, B47a. L’ordre qu’adopte Boscaro est chronologique, quoique souvent approximatif : les pièces se suivirent rapidement, le plus souvent sans indications explicites. Les quelques indices qui pourraient servir à établir une chronologie précise sont donnés lors de la présentation des textes, à la section 2, supra. J’insère B26a dans la série B24B27 (les Acta en traduction française), à la suite de l’autre édition parisienne, et B26b ensuite, qui est un imprimé produit par le même éditeur. Ce choix n’indique pas que ces ajouts furent publiés dans cet ordre. Boscaro n’inclut pas les placards dans sa bibliographie ; le seul exemplaire qu’elle identifie est relégué en troisième appendice. J’insère quant à moi B47a à la suite de B47, pour les raisons données ci-dessus.

[93] Zanit n’est pas le nom du traducteur, mais celui de l’imprimeur romain Francesco Zannetti, responsable de quelques éditions latines et italiennes (Boscaro 1976, no 2, 2a, 10, 15, 48).