Josep M. Figueres1 Universitat Autònoma de Barcelona
Résumé : Aperçu de l’édition de presse en langue française publiée à Barcelone durant la Guerre civile espagnole, cet article analyse le contexte qui permit l’éclosion de treize types de publications à la typologie et aux contenus divers. Ce chiffre élevé est le résultat de l’impact social de la présence de volontaires français, de l’importance de la France dans la politique internationale de l’époque et de la volonté des Républicains de donner une projection européenne au conflit. Les bulletins sont publiés à l’attention de la Brigade,-L’avant-garde–, des journalistes – Communiqués de Presse – et des leaders d’opinion –Nova Iberia; leur contenu est défini idéologiquement par le gouvernement catalan et par les partis politiques en charge de l’édition. Le travail journalistique en français est principalement le fait de la Commission pour la Propagande de la Généralité de Catalogne (CPGC) et du POUM (Parti Ouvrier d’Unification Marxiste) communistes indépendants de la tutelle soviétique. À eux deux, ils publient sept des titres parus. Ces publications témoignent de la fragilité du journalisme de guerre, qui ne possède ni périodicité ni continuité. La qualité de conservation de ces fonds dans les bibliothèques est pauvre : on ne trouve que la moitié des sept cents numéros publiés.
Mots-clés : 1936-1938, Barcelone, Catalogne, Espagne, journalisme, communication, Commission pour la Propagande de la Généralité de Catalogne, CNT, Parti Ouvrier d’Unification Marxiste (POUM), propagande, éditionAbstract: Overview of the little known French press edition published in Barcelona during the Spanish Civil War. The text discusses a very specific context : the existence of thirteen publications of different types and diverse content. The high number is the result of the social impact of the presence of French volunteers, of the importance of France in the politics at that moment and the Republic’s wish to project the conflict through Europe. Newsletters are published for the brigade, –L’avant-garde– and for journalists –Comunicat de Premsa– and opinion leaders –Nova Iberia-, with content defined ideologically by the Catalan government and political parties editors. The French journalism is mainly due to Comissariat (Commission) de Propagande de la Generalité de Catalogne (CPGC) and POUM (Partido Obrero de Unificación Marxista), heterodox communists from Moscow. They both published seven of the thirteen titles appeared. The publications are examples of the fragility of war journalism, they do not consolidate neither the periodicity nor the continuity. Its preservation is very weak : only half of the seven hundred numbers are kept in libraries.
Keywords : 1936-1938, Barcelona, Catalonia, Spain, journalism, communication, Commission for the Propaganda of the Generalitat of Catalunya, CNT, POUM, propaganda, editionResumen : Panorámica de conjunto sobre la desconocida edición de prensa en francés editada en Barcelona durante la guerra civil española. Se analiza el contexto que permite la existencia de trece publicaciones de tipología y contenido muy diverso. La alta cifra es el resultado del gran impacto social de la presencia de voluntarios franceses, de la importancia de Francia en la política del momento y de la voluntad republicana de proyectar el conflicto en Europa. Se publican boletines para los brigadistas, -L’avant-garde– y para periodistas – Comunicat de Premsa– y líderes de opinión -Nova Ibèria- con contenidos delimitados ideológicamente por el gobierno catalán y los partidos políticos editores. La labor periodística en francés se debe fundamentalmente al Comissariat (Comission) de Propagande de la Generalité de Catalogne (CPGC) y al POUM (Partido Obrero de Unificación Marxista) comunistas heterodoxos con respecto a Moscú. Entre ambos publican siete de los trece títulos aparecidos. Las publicaciones son ejemplo de la fragilidad del periodismo de guerra, no consolidan ni periodicidad ni continuidad. Su preservación es muy débil : solamente la mitad de los setecientos números se conservan en bibliotecas.
Palabras clave : 1936-1938, Barcelona, Cataluña, España, periodismo, comunicación, Commission pour la Propagande de la Généralité de Catalogne, CNT, Partido Obrero de Unificación Marxista (POUM), propaganda, edición
Pour citer cet article : Figueres, Josep M., 2015, « La presse en langue française dans la Barcelone révolutionnaire de l’Espagne en guerre (1936-1938) », Cahiers d’études des cultures ibériques et latino-américaines – CECIL, no 1, <http://cecil-univ.eu/c1_v1/>, mis en ligne le 27/03/2015, consulté le jj/mm/aaaa.
Introduction
Pendant la Guerre civile en Espagne, les belligérants eurent recours aux médias pour gagner la sympathie des opinions publiques, pour obtenir le soutien des chancelleries et pour atteindre leurs objectifs politiques et militaires[2]. Dans le contexte de violence ambiant, le journalisme était devenu une arme de sensibilisation et de mobilisation des opinions à l’étranger. L’objectif d’une part importante des éditions publiées en langue française était de gagner l’appui du gouvernement français qui maintint une politique ambiguë, une attitude dont témoignait le refus de livraison d’armes opposé par le socialiste Léon Blum à son homologue espagnol José Giral, le 8 août 1936[3].
Par l’envoi aux journaux de photographies, de documentaires et de livres, une stratégie de communication puissante s’était établie en vue de recueillir des soutiens internationaux. Les Républicains catalans publiaient à Paris le Journal de Barcelone pendant plus de deux mois, présentaient le film Le Martyre de Catalogne (Laya Films – CPGC), divulguaient l’émission España al día en français, et ainsi de suite. Paris constituait une base active pour León Dalty, commissaire nommé à la tête de la délégation française de la Commission de Propagande de la Generalitat de Catalogne (CPGC). Des affiches, des photos, des illustrations, des dessins, des romans, des poésies et des récits de l’Espagne républicaine étaient envoyés sans cesse aux rédactions. Le journalisme devint activement lié à ce projet de propagande visant à organiser les soutiens à l’étranger, avec des objectifs politiques distincts répondant à la variété idéologique des centres émetteurs. De nombreux correspondants et envoyés spéciaux se rendaient ainsi en Espagne pour rendre compte du conflit. Fontaine parle, à ce propos, d’une armée de journalistes pour voir la guerre de près et la transmettre au moyen d’interviews, d’articles et de reportages[4].
Les publications provenaient d’organismes spécifiques. En dehors du Ministère de Propagande espagnole, dirigé par Carlos Esplá, elles étaient le fruit d’une organisation plus active, la Commission de Propagande de la Generalitat de Catalogne (CPGC) de Jaume Miravitlles. Les contenus sont destinés à différents publics et, en fonction de ceux-ci, les publications sont clairement ciblées : à l’arrière-garde, des journaux d’information, des magazines illustrés, des publications de thématique générale ; pour les soldats du front, des bulletins, qu’on appelle la « presse des tranchées »; pour le public international, des publications conçues pour un lectorat étranger.
Les médias représentaient clairement l’objectif majeur de la propagande républicaine et l’un de ses instruments privilégiés. Miravitlles en est convaincu lorsqu’il invite les journalistes étrangers à visiter la zone républicaine, en mettant à leur disposition un hôtel, deux restaurants, des chauffeurs et des photographes : autant de ressources considérables, en zone de guerre qui plus est. Jaume Miravitlles se rendait régulièrement à Paris où il avait ses réseaux. Plusieurs groupes de journalistes français furent reçus par le CPGC qui organisait les contacts, les visites du front et mettait à leur disposition des documents, des affiches ainsi qu’un laboratoire de développement photographique.
L’importance de la propagande dans la République en guerre était décisive. Au-delà de l’aide internationale, il convenait de recueillir l’adhésion des opinions publiques et de la population, le ralliement de sympathisants et même de provoquer des désertions dans le camp opposé[5]. Tous les moyens de communication étaient employés (affiche, cinéma, radio, photographie, expositions, gadgets, etc.) et, naturellement, les quotidiens et la presse hebdomadaire. Plusieurs journalistes du CPGC s’installèrent à Paris, facilitèrent les démarches pour que les journalistes français aillent à Barcelone et puissent se rendre sur le front.
Dans ce contexte, le français fut la langue d’une part importante des publications destinées à raffermir le soutien à la République assiégée. Or, les interdictions franquistes, la destruction des archives et des documents républicains par les nouvelles autorités, tout comme l’absence de recherches que ne favorisa guère une idéologie étriquée durant des décennies, ont laissé cette presse en langue française dans l’ombre et à l’abandon. Son état de conservation s’en ressent : pour ce qui a trait à la presse illustrée, par exemple, concernant les revues de guerre[6], seules trois d’entre elles sont citées parmi toutes les publications françaises à Barcelone, alors que la moitié des treize revues que nous avons identifiées sont illustrées. Les recherches réalisées par les services des archives catalanes ont permis de localiser seulement la moitié des numéros édités, ce qui reflète les vicissitudes rencontrées par ce fonds de publications au cours de l’histoire. Le nombre de titres révèle toutefois l’extraordinaire vitalité de cette presse en langue étrangère, ultime sursaut de la République assiégée pour gagner les soutiens étrangers et mobiliser les troupes dans la lutte contre le fascisme.
Presse et Guerre civile
Selon les termes de George Orwell, Barcelone, à l’automne-hiver 1936, est une ville qui baigne dans une atmosphère révolutionnaire inhabituelle dans l’Europe de l’époque[7] : l’habillement, les manifestations et les défilés dans les rues, les affiches et les graffitis sur les murs, les rassemblements révolutionnaires dans les salles publiques, les changements dans la programmation des cinémas et des théâtres, mais aussi la mutation du contenu de la presse et la radio, sont autant de signes manifestes de la naissance d’une nouvelle société, où la lutte des classes populaires est omniprésente.
Entre juillet et août 1936, on assiste à une période de persécutions sociales et religieuses, qui écorne sensiblement l’image internationale de la République. Les religieux et les membres de l’extrême droite assassinés, les églises saccagées et dévastées seront un lourd fardeau dont la République ne parviendra jamais à se défaire[8]. Il faudra redorer son blason à l’extérieur et les difficultés pour y parvenir seront énormes.
Le journalisme tentera de consolider la nouvelle situation de juillet 1936. La ville révolutionnaire aura une vie brève et intense. En mai 1937, l’anarcho-syndicalisme de la CNT-FAI (Confédération Nationale du Travail – Fédération Anarchiste Ibérique) sera affaibli par la défaite et la persécution du POUM (Parti Ouvrier d’Unification Marxiste) par le PSUC (Parti Socialiste Unifié de Catalogne), nouvelle formation composée de socialistes et de communistes. Avant juillet 1936, la puissante ERC (Gauche républicaine de Catalogne) n’aura aucune force politique à cause du manque de milices armées ; le nouveau pouvoir dans la ville passera aux mains du peuple en armes jusqu’en mai 1937, date à laquelle le pouvoir reviendra au gouvernement central.
Les événements de mai 1937 se traduiront par l’hégémonie d’un gouvernement central fort, avec le soutien des communistes et l’élimination du pouvoir anarchiste, entraînant la légalisation et le contrôle des collectivisations d’usines, de terres, de journaux…. Le printemps 1937 marque la fin du marxisme hétérodoxe de Moscou. La presse du POUM sera interdite. Simultanément, la Generalitat reconquiert le pouvoir politique sans l’interférence des anarchistes qui étaient devenus les maîtres de la rue durant les dix premiers mois de la guerre.
Les journaux reflèteront les différentes tendances, celles propres au camp républicain et celles plus générales des deux camps en lutte. F. Fontaine parle d’une « guerre idéologique vue par une presse partisane » à travers laquelle les journalistes propagent leur idéologie et diffusent leurs sentiments. En effet, selon cet historien, « le conflit espagnol reflète parfaitement, par le miroir déformant de la presse illustrée française, une société divisée idéologiquement et politiquement[9] ». Or, se pencher sur les catalogues de presse républicaine catalane de l’époque[10], c’est en examiner la diversité et, surtout, la prolifération.
En 1938, 53 quotidiens sont édités en Catalogne dont 21 à Barcelone, publiés pour l’essentiel en castillan à Barcelone et en catalan pour les autres. La plupart des journaux sont de tendance anarchiste : CNT, La Noche et Solidaridad Obrera. Cependant, un journal, La Vanguardia, représente le tiers, peut-être plus, du tirage général des journaux de Barcelone. Tiré à plus de 100 000 exemplaires, La Vanguardia deviendra la publication la plus importante de la ville et de la région. Son siège sera occupé par le gouvernement central, installé successivement à Madrid, Valence et Barcelone. La Vanguardia est suivie de près, en nombre de tirages, par Treball – communiste – et Solidaridad Obrera – anarchiste. Barcelone dispose de nombre de journaux à grand tirage : El Diluvio, El Noticiero Universal, Las Noticias, Diari de Catalunya, El Día Gráfico, El Mundo Deportivo… Sur les 21 journaux de Barcelone, sept sont en catalan. Cinq d’entre eux suivent la tradition culturelle de gauche faisant preuve d’une force intellectuelle liée à la liberté de la presse de 1931 lors de la proclamation de la Deuxième République : La Publicitat, La humanitat, La Rambla, Ultima Hora, Full Oficial del Dilluns.
Dans le reste de la Catalogne, on trouve 20 journaux dont quatre de l’ERC (L’Autonomista – Girona-, L’Acció – Manresa-, El Dia – Terrassa- et El Poble – Tortosa-), cinq de la CNT (Llibertat de Mataró…), et six à tendance socialiste et communiste (El Dia de Terrassa, notamment), le reste étant édité par des petits partis. Dans les grandes villes, de nombreux quotidiens reflètent les tendances dominantes communiste, anarchiste et nationaliste. Ce riche panorama ne cessera de diminuer à mesure que la guerre avancera[11]. La presse de droite sera réduite au silence. Dans leurs imprimeries, désormais occupées, ce sera l’apothéose des journaux de gauche. En 1938, on assiste, ainsi, à l’apogée de la presse en langue catalane. Les publications quotidiennes en catalan sont au nombre de 30 contre 23 en espagnol.
Bien que la CNT impose l’espagnol dans la plupart de ses journaux, les organisations ouvrières y introduisent naturellement la langue catalane. C’est le cas du Diari de Reus ou de Llibertat à Tarragone. En Catalogne, toute la presse est républicaine, marquée à gauche, avec des nuances : anarchistes, communistes orthodoxes fidèles à Moscou sous le diktat du PSUC, marxistes indépendants de la tutelle soviétique regroupés dans le POUM (mis sous silence à partir de mai) ou encore nationalistes de l’ERC. Il y a également les entreprises de presse liées au gouvernement central, au gouvernement autonome ou aux syndicats et aux partis minoritaires.
La France en Catalogne : livres et journaux
La France est très présente dans l’imaginaire collectif de la Catalogne. Les guerres de 1793 et de 1808 ont été oubliées et la référence au pays est celle d’une terre de liberté, qui a su consolider une République égalitaire où a été intronisée la liberté. La Marseillaise devient l’hymne catalan de combat des républicains, la référence d’un modèle à suivre. Cette affinité a poussé des volontaires catalans à s’enrôler dans la Première Guerre Mondiale dans les rangs français et la culture française est vue avec sympathie. Les journaux français sont souvent lus à Barcelone. Dans toutes les éditions de livres et de magazines du CPGC, le français sera la première langue étrangère.
Le CPGC est un organisme important dirigé pendant toute la période du conflit par l’homme politique et journaliste Jaume Miratvilles. André Malraux le définira comme « le sourire de la Catalogne ». Il est l’hôte idéal, celui qui reçoit et informe les journalistes et les personnalités en visite à Barcelone, comme Malraux, Jean Giraudoux, Philiph Lamour, Ziromsky, Morizet, Fauré, Simone Weil, Georges Soria, Benjamin Péret, Louis Delaprée et les différents envoyés spéciaux des quotidiens ou hebdomadaires illustrés de l’extrême gauche, comme Ce Soir ou Regards.
L’ensemble des livres et opuscules publiés en français à Barcelone par le Comissariat[12] représente un éventail thématique et formel qui reflète la volonté de montrer la réalité de la Catalogne comme une entité propre avec sa culture, sa langue et son identité. Le CPGC prend l’identité catalane comme argument central de la lutte contre les nationalistes[13]. D’autres titres se réfèrent au moment du combat et offrent la vision d’auteurs français[14]. Enfin, tout un matériau extrêmement hétérogène comme un résumé d’articles de Ll. Nicolau d’Olwer sur « l’équilibre dans la Méditerranée » qui s’adresse aux hommes politiques et journalistes « qui nous ont honoré avec leur visite ».
Le CPGC éditera aussi à Paris. Il publiera même des catalogues d’art religieux pour montrer que les révolutionnaires de juillet et d’août n’ont pas détruit tout le patrimoine symbolique religieux à l’occasion de l’exposition L’art catalan à Paris célébrée au Musée National du Jeu de Paume. Dans d’autres cas, le contenu sera politique : Lettre collective des évêques espagnols à ceux du reste du monde à propos de la guerre en Espagne (1937) ; André Chamson : Rien qu’un témoignage : retour d’Espagne ; Antonio Ruiz Vilaplana : Sous la foi du serment : une année en Espagne nationaliste. Tous ces ouvrages datent de 1937 et l’année suivante voit le jour le livre d’Iñaki de Aberrigoyen : Sept mois et sept jours dans l’Espagne de Franco (1938). La poésie populaire illustrée est également publiée : Le plus petit de tous ; 26 proverbes castillans en action (1937) édition en espagnol, catalan, français et anglais ; Images du bon gamin antifasciste et humain, etc.
La presse française à Barcelone
Titre | Editeur | Année | Dernier num. | Num. conservés | Bibliothèque |
À l’assaut : journal de la XII Brigade internationale | s/d | 1937 | 3 | 1 | CEHI |
L’avant-garde | CPGC | 1937 | 33 | 151 | AHCB – BNC |
Boletín de Información Católica | CPGC | 1937 | 1 | 1 | AHCB |
Boletín de Información Religiosa[15][éd. en fr.] | CPGC | s/d | s/d | s/d | s/d |
Boletin Orgánico | SIA | 1938 | 16 | 35 | IISG – CEHI |
Comunicat de Premsa (éd. fr.) | CPGC | 1936-37 | 130 | 2921 | AHCB – CEHI |
Comunicat de Premsa. Nouvelle série | CPGC | 1938 | 273 | 1166 | CEHI – AHCB |
L’Espagne antifasciste[16] | CNT | 1936 | 31 | 6 | IISG |
Généralité de Catalogne. Conselleria de Defensa. Section d’Information et de Propagande | Generalitat | 1936 | 128 | 72 | AHCB |
Hispano Press | S/d | 1936 | 8 | 1 | IISG |
Juillet | POUM | 1937 | 1 | 1 | CEHI |
Nova Ibèria | CPGC | 1937 | 3-4 | 3-4 | BNC |
La Revolution espagnole | POUM | 1936-1937 | 15 | 331 | AHCB – IISG – BUL |
Service d’Information de la CNT et de la FAI | CNT-FAI | 1936 | 1 | 1 | BPC |
AHCB : Archivo de Historia de la Ciudad de Barcelona – BPC : Biblioteca del Parlamento de Cataluña. Barcelona. – BNC : Biblioteca Nacional de Cataluña. Barcelona – CEHI : Centro de Estudios Históricos Internacionales de la Universidad de Barcelona (Pavelló de la República) – IISG : Internationaal Instituut voor Sociale Geschiedenis. Amsterdam – BUL : Branders Universtity Library – s/d. : Sans données.
C’est au total plus de trente titres qui sont publiés. En mars 1937 avec la présentation du pavillon de la République espagnole à l’Exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne plusieurs ouvrages sont encore édités, comme celui de Christian Zervos : L’Art de la Catalogne et de Joan Torrent : La presse catalane depuis 1641 jusqu’à 1937. Essai d’index, etc.
Presse pour la brigade
La France est à l’origine de la coordination, elle recrute les volontaires des Brigades Internationales et contribue à en augmenter le nombre. On dénombre 15 348 personnes[17], dont des étudiants, des syndicalistes de la CGT, des intellectuels, des ouvriers des ports… Certains sont détachés comme André Malraux ou André Marty. Cette forte présence fait que la langue des brigades soit le français et que ses chansons –La Madelon, Marianne, Quel Plaisir, La Jeune Garde– soient reprises par tous les soldats.
Il y a une presse éditée à Paris, spécifiquement destinée à la brigade, c’est le cas de Ce Soir, Le Volontaire de la liberté : Organe des Brigades internationales[18] ou Le soldat de la République[19]. Fondamentalement, chaque brigade a son propre titre. On connaît À l’Assaut. Journal de la XII Brigade internationale et L’avant-garde. Journal du front dont on ne conserve qu’un seul exemplaire, le nº 3 (1937). Il s’agit d’une publication à caractère informatif avec le contenu habituel de cette presse de combat fait de notes, d’articles variés sur le conflit, sur les causes et les répercussions sociales, idéologiques et politiques de la guerre. Presse d’analyse et de propagande simultanément, le numéro s’ouvre avec « Les conséquences de la Bataille du Jarama » de Mario Nicoletti, commissaire politique de la XIIe Brigade, pseudonyme de l’ancien député communiste italien Giuseppe de Vitorio qui assumera un grand rôle idéologique au sein de ce corps. Il est l’auteur, par exemple, du « Madrid, tombeau du fascisme », slogan à la tonalité épique dont Vitorio est un parfait maître :
En luttant et travaillant dans cet esprit, où la combativité et l’ardeur des volontaires de la liberté se combinent avec l’habileté de la défense, nous sommes absolument sûrs d’écraser bientôt le fascisme, et de répondre dignement à l’espoir de libération que tous les peuples ont placé en nous[20].
L’avant-garde, un journal de combat
La Generalitat avait créé le Foyer des Français Antifascistes comme lieu de rencontre et de repos des volontaires francophones en Catalogne. En 1937, on y publie l’article « Ce qu’est la Catalogne » qui évoque les liens culturels unissant cette région avec la France. Le foyer disposera d’un édifice avec d’importants moyens, pour la production d’émissions radiophoniques, un imposant panneau d’affichage et publiera L’avant-garde.
C’est une publication de grand format, quatre pages à quatre colonnes, illustrée, résultat d’une rédaction structurée et efficace. On compte des rubriques délimitées où sont publiés des travaux de qualité. Sur la première page, des images, des caricatures politiques, des photographies de qualité et des textes sur l’omniprésence de la guerre. Des reproductions d’articles abondent dans la presse française pour informer la brigade. Des journalistes et écrivains – G. Peri, G. Soria, J. Arnaud… – font du journal une tribune d’information ainsi qu’un rempart idéologique pour servir la République.
Édité sous les auspices du CPGC, ses locaux se situent dans un grand bâtiment situé sur les hauteurs de Barcelone et, en 1937, le siège du journal est déplacé vers le centre-ville. Le dernier numéro (nº 33 du 12 Novembre 1938) est publié au siège même du CPGC sur l’avenue « 14 de abril », grande artère centrale de Barcelone, et propose en monographie une douzaine de pages de photographies du centre. Dans ces pages, on peut voir
des images de salles de séjour, salles de jeux, bibliothèque, salles de bains, jardins, etc. Le siège sera ainsi un espace social pour les Français de passage et, à la fois, un point de rencontre et un lieu de contact. La politique d’information du Foyer est dynamique : on note la présence du panneau d’affichage le Journal Mural du Foyer du Français Antifasciste qui occupe un énorme mur avec des reproductions d’articles de la presse française[21], des affiches, etc. : il s’agit d’une presse éphémère de grand impact (voir image ci-contre).
Dans l’adresse au lecteur, en date du 27 mars 1937, on peut lire :
L’AVANT-GARDE, que nous créons aujourd’hui, sera envoyée gratuitement à ceux de nos amis français qui, n’importe où en Espagne, nous en feront la demande. Par ce journal, il sera possible de lire en français les principales nouvelles de leur pays et de la Péninsule ; les commentaires relatifs aux péripéties importantes de la guerre et de la Révolution, mais aussi, quelques notes gaies destinées à distraire un instant des soucis de l’heure présente [27 mars 1937].
Journal de combat et de référence pour le monde français en Catalogne, l’éditorial termine par une phrase choc : « Mais assez de présentation et au travail ! » qui est le reflet de la volonté active, constamment mobilisatrice, du GPGC comme centre producteur d’affiches, de films, de livres, de journaux et comme centre dynamique d’activités (hommages, réceptions, manifestations, festivals…). Les rédacteurs de l’hebdomadaire incluent des dessins d’Apa, le grand caricaturiste sympathisant des Alliés durant la Première guerre mondiale, des articles, des déclarations, des commentaires de personnalités (Victor Hugo, Romain Rolland…), des rubriques régulières telles que « Nouvelles de France », des résumés de discours (Jacques Duclos…). Et on y trouve même une pincée de frivolité, à la rubrique joyeuse « Il faut aussi sourire » pour les blessés sur le front, les convalescents. Dans son n° 2, sur la couverture, des extraits du discours de Léon Blum à la Chambre seront reproduits dans le vibrant article « La Catalogne et France. Deux peuples frères » du directeur du CPGC, J. Miravitlles :
Vous voyez ainsi deux peuples, la Catalogne et la France, qui n’ont jamais été officiellement alliés, qui n’ont jamais lié leur sort ni leur vie par le truchement de leurs organismes de Gouvernement ; deux peuples cependant qui, dans la communion du sang, en 1914-1918 comme en 1936, ont scellé une alliance plus forte que les pactes et les chiffons de papier! Frères de France! Pour la mémoire des Catalans disparus en terre française, pour la mémoire des Français disparus en terre catalane! Jurons de rester unis jusqu’à la défaite totale et définitive du fascisme.
Effet des difficultés sur la ligne de front, le journal devient bimensuel le 15 mai et mensuel le 17 juillet. L’Avant-garde disparaîtra le 16 octobre, quand les Brigades internationales quitteront l’Espagne. On remarque le soin apporté aux détails, reflet de l’intérêt de la rédaction pour la qualité de la ligne éditoriale. Le 16 septembre, fête nationale du Mexique, grand allié de l’Espagne, est évoqué par la couverture du n° 14 en date du 25 septembre avec la photographie du Général Président Lázaro Cárdenas publiée à côté de l’éditorial. La publication disparaîtra avec le déclin du CPGC.
Bulletins à l’attention des journalistes
Il existe à Barcelone plusieurs publications destinées à un public de journalistes. Les premières publications de ce type, sont le Boletín de Información Católica (BIC) et le Boletín de Información Religiosa (BIR), tous deux publiés par le CPGC. Elles sont éditées dans plusieurs langues, en français avec un tirage de 850 exemplaires et en anglais avec un tirage de 3 700. Le BIC dispose d’une édition en latin de 500 exemplaires adressée principalement au Vatican. Le BIR, pour le monde protestant, maintient une vie régulière, d’avril 1937 à août 1938. Plus brève sera la vie du BIC en langue française dont nous connaissons le premier numéro (1er mai 1937) avec, en image centrale de couverture, la reproduction d’une peinture romane catalane du Christ datant du moyen âge, dans le but de montrer la « vive démonstration de notre vrai sens de la liberté de culte » selon les déclarations de Miravitlles[22].
L’intention était de lier art et tradition par la religion afin d’atténuer les effets dommageables, en termes d’image pour la République, causés par les meurtres de membres du clergé et les incendies d’église. Le Boletín était rédigé par le prêtre Joan Vilar Costa et le CPGC disposait de plusieurs traducteurs pour toutes ses publications, Enric d’Aoust et Louis Gras pour le français. Des exemplaires de 1937 et 1938 ont été repérés en espagnol et en anglais, mais le seul exemplaire en français retrouvé est celui de 1937 (voir repoduction). Le travail typographique est correct pour une publication d’une dizaine de pages, à colonne simple et imprimée sur une seule face en format folio. Ce bulletin entend être un contrepouvoir à la puissance de la hiérarchie religieuse liée au franquisme. L’éditorial du premier numéro reflète clairement cette aspiration :
En publiant le Bulletin d’Information Catholique, nous nous proposons d’offrir aux Catholiques, notamment à ceux de l’étranger, et à la presse en général, en guise d’archives, une série de considérations doctrinales ou apologétiques et d’informations ou nouvelles historiques et bibliographiques, qui nous fassent mieux connaître la vérité au sujet de la situation réelle de l’Eglise Catholique et de ses intérêts dans la lutte espagnole aussi bien fasciste qu’antifasciste.
Le contenu est élaboré avec des extraits de discours politiques et diplomatiques sur la question de la religion en Espagne, avec des listes des livres publiés dans les deux camps en lutte, avec des nouvelles sur des événements dont le clergé est acteur et avec la reproduction des conversations radiophoniques de l’ex-jésuite J. Vilar, etc.
Le Service d’information de la CNT et de la FAI est une publication qui retrace les mouvements de guerre et le développement des événements militaires du point de vue des anarchistes. Un exemplaire unique est conservé (24 juillet 1936). On ignore si d’autres exemplaires ont été conservés. Il s’agit d’un supplément du journal anarchiste de la CNT Solidaridad Obrera et dans ses quatre pages, on y trouve des extraits traduits. Il est intitulé « Édition spéciale en langue française[23] ».
De présentation simple, le polycopié Boletín Orgánico de la Solidaridad Internacional Antifascista (SIA) constitue une autre publication paraissant également en français. De l’édition espagnole du n° 1 (9 mars 1938) au nº 19 (sans date) tous les numéros sont conservés sauf le quatorzième. Le n° 18, daté du 8 décembre, rend compte de la périodicité intense dudit bulletin. De l’édition française, seul nous est parvenu le n° 16 contenant des informations sur la SIA en Espagne et à l’étranger, et des notes sur l’activité de guerre et la politique internationale. On y trouve quelques articles théoriques mais le Bulletin de la SIA demeure humble dans la présentation, un polycopié sans illustrations, et avec un slogan : « Prière de reproduire dans toute la presse sympathisante avec l’œuvre de SIA toutes les nouvelles d’intérêt général, que nous publions dans ce bulletin ».
L’en-tête d’impression est la même que dans l’édition espagnole. L’édition française est conservée à Amsterdam et à Barcelone avec 7 numéros sur les 16 vraisemblablement édités. Dans le dernier numéro, l’accent est mis sur la nécessité de poursuivre la lutte malgré le temps écoulé sans une brèche dans la résistance :
Nous insistons parce que rien ne nous paraît plus important ni plus urgent que de préparer dès maintenant une aide effective et efficace aux frères espagnols pour qu’ils puissent résister avec succès à ce troisième hiver qui comme on le dit sera cruel et difficile.
On trouve en outre un bulletin informatif, journal dactylographié et polycopié intitulé, Generalitat de Catalogne Département régional de la Défense. Section d’Information et de Propagande. Il est publié en catalan, espagnol, français, allemand et espéranto, et offre un aperçu des nouvelles de guerre, du front en particulier, avec des rubriques, des commentaires, etc. Y sont également reproduits les éditos de Solidaridad Obrera et autres journaux barcelonais. Une grande partie de la collection est conservée à l’Árchivo Historico de la Ciudad de Barcelona (du n °4 du 27 août au n °128 du 29 décembre 1936). Ce bulletin de la Generalitat ouvrira la voie aux Comunicats de Premsa (communiqués de Presse), la tentative la plus ambitieuse et aboutie d’une publication de référence en matière d’information telle que Nova Iberia (Nouvelle Ibérie) domaine général et culturel. Les deux publications disposent de leur propre rédaction. Tant dans sa première phase en 1936-1937 que dans la seconde en 1938, c’est la voix du gouvernement catalan qui s’adresse au monde dans des éditions séparées en anglais, en espagnol, en français et en catalan. La rédaction reproduit les textes de la presse officielle (« Du Journal Officiel ») et des quotidiens (« Presse et les éditos de radio », présente des informations générales (« La vie en Catalogne »), l’activité de Companys (« le Président de la Catalogne ») et cette publication est suivie avec intérêt. Sa pagination est variable mais compte une moyenne de seize pages de texte sur l’évolution des positions du conflit politique, militaire et social dans la péninsule et à l’extérieur.
Après avoir été édité par la Défense, le bulletin le sera par le CPGC, en deux étapes. Tout d’abord sous l’en-tête « Generalitat de Catalunya. Présidence. Commissariat de la Propagande. Communiqués de Presse. Édition Française », imprimé en polycopié. A compter du numéro 300 (21 septembre 1937), l’édition catalane entamera une nouvelle étape, avec une nouvelle numérotation ainsi qu’une amélioration sensible de la mise en page et de la qualité des graphismes. La fréquence de parution devient hebdomadaire, bimensuelle en février 1938 puis mensuelle par la suite. Il contient la reproduction de discours de Companys, des déclarations politiques de dirigeants, des notes et des informations diverses, des articles politiques de poids tels que « Après le bombardement de Barcelone par des unités de la flotte italienne. L’étrange attitude de la presse française de gauche ». Il s’agit d’une critique sous-jacente de la politique du comité de non-intervention face à l’aide militaire des puissances totalitaires européennes qui cessent de soutenir le gouvernement légitime espagnol :
Il est des attitudes, des silences troublants… Le bombardement de samedi, consommé par des unités de la flotte italienne, ainsi que nous l’avons prouvé (…) Le silence sur l’identité de nos agresseurs est trop général pour n’être pas voulu. Ce silence serait justifié s’il s’agissait d’un bombardement effectivement réalisé par un navire fasciste espagnol : il est toujours bon de dissimuler ses revers. (…) Pourquoi la presse de gauche française s’est-elle donc unanimement tue ?
Pendant la seconde étape, le journal dépendra directement du président de la Generalitat, le Service d’Information Internationale. A cette dernière époque, on constate une amélioration de la présentation et de l’en-tête mais le bulletin de la Generalitat poursuit la même lignée politique : on y souligne les nouvelles françaises venant de Barcelone, la mort dans un attentat du vice-consul A. Lecouteux, la visite du député socialiste Roger Lefèvre, etc. Le Comunicat a une réelle influence. On a connaissance du tirage dans les différentes langues par une interview de Miravitlles dans Mi Revista (4 250 en français, 4 400 en anglais, 1 450 en espagnol, 765 en espéranto, 680 en suédois, 500 en allemand et 580 en catalan,). Il s’agit sans doute du bulletin d’information professionnel en français le plus abouti et marqué par la continuité.
À plus petite échelle, on trouve le bulletin d’Hispano-Presse tapé et édité en allemand et en français, dont on ne conserve qu’un exemplaire (n° 8 du 8 septembre 1938) comprenant des notes d’informations de guerre assez générales (« Alcazar de Tolède ») ou bien de solidarité (« Un Foyer pour les enfants des combattants »).
Publications à caractère politique
Par ailleurs, trois titres témoignent de la volonté d’approcher le public français et de le sensibiliser à la situation espagnole. La révolution espagnole (1936), Juillet (1937) et L’Espagne Antifasciste (1936) ont en commun cette diffusion plus politique qu’informative. Les deux premiers appartiennent au POUM et le troisième à la CNT-FAI-AIT et tous ont en commun une présentation typographique correcte et une pagination simple.
L’Espagne Antifasciste est illustrée et contient des interviews (le capitaine Medrano sur le front d’Aragon), des articles d’opinion (Federica Montseny)… Édité en grand format, le premier exemplaire date du 22 août 1936 et le dernier numéro, le nº 31, du mois de janvier 1937. Du point de vue journalistique, il s’agit de l’édition qui présente la meilleure continuité et ce, malgré les circonstances difficiles. Au CEHI (Centro de Estudios Históricos Internacionales, de l’Université de Barcelone) 15 numéros sont conservés sur les 31 publiés. L’Espagne Antifasciste est l’édition française de Solidaridad Obrera avec une profusion d’articles sur le conflit du point de vue idéologique et politico-théorique et de reportages comme celui de M. Buenacasa pointant l’apport révolutionnaire dans le domaine de l’éducation ou bien du cinéma. L’image est forte et le ton anarcho-syndicaliste coïncide avec l’idéologie des éditeurs.
De Juillet (POUM) un seul numéro a été conservé, celui de juin 1937, (voir illustration ci-contre) au contenu varié. Le POUM édite, en outre, La Révolution Espagnole : sur les 17 numéros, 7 sont conservés dans trois bibliothèques différentes. Le sous-titre indique qu’il s’agit de « l’édition française hebdomadaire du Parti Ouvrier d’Unification marxiste d’Espagne (POUM) ». Cette publication contient des textes théoriques, des informations et des textes d’opinion politiques. Le siège est à Barcelone, l’administration à Paris. La phrase « Prière de Reproduire » est éloquente. Dans le premier numéro, un discours de Léon Blum est commenté et on y relève la reproduction de textes de journaux de Barcelone. Notons la série « La question agraire en Catalogne » et la créativité de certains articles (« La Révolution dans une petite ville » en référence à la situation prévalant à Vilanova i la Geltrú). Le journal s’adresse aux ouvriers français et les documents politiques y abondent : résolutions du Comité Central du POUM, analyses politiques et militaires, notes sur la situation révolutionnaire du point de vue du parti, qui sera interdit et sa presse mise sous silence en mai 1937. Dans « l’Appel au lecteur ! » il est écrit :
Cet organe, édité par le Parti Ouvrier d’Unification Marxiste, est destiné à tous ceux qui se sentent solidaires de la lutte menée par les ouvriers et les paysans de toute l’Espagne, contre le fascisme, contre le capitalisme oppresseur et pour l’émancipation totale des travailleurs (…) Prolétaires de France, notre lutte est la vôtre. Soutenez-nous! [n ° 3 du 17 septembre 1936].
Une exception de qualité : Nova Iberia
Dès son apparition en janvier 1937, on parle de Nova Iberia en des termes élogieux en se référant à la valeur plastique de sa présentation, presque luxueuse, et au contenu de grande valeur de cette publication[24] (voir illustration ci-dessous). En janvier 1937 il y est écrit :
Un magazine qui se veut le porte-parole efficace, à l’étranger, de la nouvelle structure de toutes les activités politiques, sociales et éducatives! Les étrangers n’ont qu’à feuilleter cette publication pour déduire un équilibre rare dans les États en guerre, après un renversement des institutions comme celui que nous venons de connaître en Catalogne. Ce magazine est très convaincant pour réfuter toute notion de barbarie et de désorganisation industrielle qui ont pu lui être attribuées, car sa forme représente la sérénité d’une foule de collaborateurs intellectuels, des artistes et des ouvriers qui travaillent normalement et à la perfection, ce qui n’est pas possible dans un pays désorienté.
Nova Iberia, l’une des meilleures publications de l’époque de la guerre mais aussi de toute la première moitié du XXe siècle, est publiée dans un papier de qualité, de grand format (360×260) avec une profusion d’images et un contenu intéressant aussi bien sur le plan culturel que social.
L’édition du même contenu est déclinée dans différentes éditions en catalan, en espagnol, en anglais et en français. La revue compte trois numéros, le dernier étant un numéro double et spécial. L’objectif de Nova Iberia était clair : devenir le porte-parole international de la Catalogne en guerre. Le style est élégant et raffiné, la typographie soignée. On y parle du moment présent, avec des contenus monographiques. Ainsi, le premier numéro aborde la culture et l’économie, le deuxième l’aide sociale et la santé, et les nº 3 et 4 parlent de la vie culturelle. Le n° 5 devait être consacré à la guerre mais il ne vit jamais le jour. Des écrivains et des hommes politiques de la relève apportèrent leur participation, Companys, Miravitlles, le recteur de l’Université de Barcelone Pere Bosch Gimpera, Carles Riba, Pompeu Fabra…
Ce contenu remarquable est primordial pour la transmission d’une image de normalité et montre la vitalité et l’importance de cette culture catalane niée par Franco. Pere Corominas dans un article sur l’art catalan médiéval insère quatre photographies, reflétant toutes une dimension religieuse. Le thème sert à tisser un lien avec l’Eglise, hier persécutée puis tolérée, mais dont les membres du clergé demeurent reclus et les fidèles effrayés, à juste titre.
De la couverture du premier numéro, une affiche promotionnelle est éditée (voir illustration ci-dessus). Clavé, son auteur, y peint un jeune homme avec un marteau dans la main droite, et un livre dans la main gauche, qui regarde l’étoile représentant l’idéal, le symbole de la révolution sociale et de l’idéal patriotique catalan. Au fond, la mer, le ciel, une montagne stylisée et un bateau à voile, symbole de liberté. Cette publication est la mieux éditée et son contenu est des plus pertinents. Elle aspire à être mensuelle et suit le rythme durant deux numéros – janvier et février 1937. La crise ne permettra d’éditer qu’un seul et dernier numéro, également en 1937, le numéro double 3/4 non daté.
On reste surpris par la qualité textuelle, au-delà de la conception moderne et d’une présentation soignée avec un contenu élaboré. Consciente de son importance, la rédaction affirme dans son éditorial :
Dans un moment où le monde civilisé se préoccupe du problème ibérique parce qu’il représente un danger pour le statu quo du fragile problème international ; dans un moment où il n’est plus permis de douter de l’impuissance des fascistes espagnols ni de l’échec qui les attend, malgré l’aide étrangère ; lorsque l’aube de la Victoire commence à poindre et que l’horizon se teint des vives couleurs de la démocratie et tandis que le capitalisme espagnol dépense son argent dans la propagation de nouvelles fausses et tendancieuses, la Catalogne qui travaille et qui lutte entreprend la publication de cette revue pour répandre la voix honnête de la vérité et de la justice.
Un article sur la nouvelle propagande de Pere Català, auteur de la grande affiche « écrasons le fascisme » avec une croix gammée brisée par une espadrille paysanne, serait un exemple de la modernité thématique et de design de la nouvelle revue. Le CPGC a pour objectif également la projection de la culture catalane et il le fera avec différents moyens. Dans les publications, on insiste sur la modernisation de l’éducation ou de la santé pour une population spécifique dans le but de fournir une image d’innovation, détails au-delà des thématiques répétitives. Ce magazine rappelle D’Ací, D’Allà (qui suit le ton de L’Illustration) par la taille exceptionnelle de l’image avec un texte prudent. Il fut rapidement reconnu par le public pour sa qualité hors-norme.
Conclusion
Signe de l’attrait de la culture française en Catalogne et de l’importante communauté française ainsi que de l’importance allouée à la langue du pays voisin dans la diffusion de la propagande à l’étranger, la présence des publications en langue française est remarquable durant la Guerre civile. La qualité technique de plusieurs de ces éditions illustrées et la qualité journalistique du contenu témoignent de la priorité donnée à cet instrument de propagande et l’importance du français transparaît aussi bien dans les journaux du gouvernement catalan que celui des partis centraux et syndicaux, tout particulièrement du POUM et de la CNT.
Références bibliographiques
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Solé, Josep M. et Villarroya, Joan, 2006, Guerra i propaganda. Fotografies del Comissariat de Propaganda, Barcelone, Arxiu Nacional de Catalunya – Viena.
Notes
[1] Docteur en Histoire Contemporaine. Historien, professeur d’Histoire du Journalisme à l’UAB. A publié, entre autres : Diari català (1999), Premsa i nacionalisme (2002), Madrid en guerra (2004) et plus récemment en 2010: Cròniques de guerra de Lluís Capdevila, Periodisme a la guerra civil et Pau Casals... Editeur des oeuvres complètes de Valentí Almirall. Directeur de Gazeta, du Journal d’histoire de la presse et du Groupe de recherches d’Histoire du Journalisme (HISPER-UAB). Co-directeur de la Chaire UNESCO sur la protection du patrimoine journalistique.
[2] Nous remercions la collaboration pour la consultation et reproduction des images aux bibliothèques de Barcelone : Arxiu d’Història de la Ciutat de Barcelona de l’Ajuntament de Barcelona (AHCB), Biblioteca del CEHI Pavelló de la República de la Universitat de Barcelona (CEHI) , Biblioteca Nacional de Catalunya (BNC), Biblioteca del Parlament de Catalunya (BPC) et d’Amsterdam : Internationaal Instituut voor Sociale Geschiedenis (IISG).
[3] Avilés Farré 1992; Borras Llop 1981.
[4] Fontaine 2003.
[5] Moradiellos 2001; Caucanas – Sagnes 1990.
[6] Martí – Ortega 2011.
[7] Orwell 1938.
[8] Godicheau 2004 ; Solé et Villarroya 2006.
[9] Fontaine 2003, p. 232.
[10] Campillo-Centelles 1979.
[11] Figueres 2010. Figueres 1997, pp. 85-123.
[12] Figueres 2003, II, pp. 631-653, Pascuet – Pujol 2006.
[13] La dessinatrice Lola Anglada dans Le Plus Petit montre une vision idyllique tandis qu’enseignants et écrivains reflètent des aspects d’intérêt : Josep Lleonart : Comment je fais un cours, commentant l’histoire de la civilisation ; Rafael Tasis : La littérature catalane moderne ; Sebastià Gasch : La peinture catalane contemporaine ; J. G. Martin : La transformation politique et sociale de la Catalogne durant la Révolution ; Lluís Bertran : La Littérature catalane à l’étranger et aussi : Quelques chiffres sur l´économie de Catalogne, L’œuvre culturelle des gouvernements de gauche à la Generalitat de Catalogne, Le sauvetage du patrimoine historique et artistique de la Catalogne, Pau Vila : Le visage géographique de la Catalogne, etc. Tous datent de 1937. D’autres n’ont aucune date de sortie : Ramon Ramon Xuriguera : Goya, peintre du peuple, etc. En 1938 l’activité éditoriale est paralysée à cause de la crise économique, des difficultés d’approvisionnement de papier et des bombardements.
[14] André Jean : Les étrangers chez nous : transformations économiques en Catalogne (1936) ; Jean Alloucherie : Nuits de Sevilla. Une autre partie sera la traduction des discours prononcés par le président Companys : Troisième anniversaire de la mort de F. Macia (1936) ; Discours prononcé… à la session du 1er mars du Parlement catalan (1938). Anthologies de dessins ou partitions avec la présentation en plusieurs langues comme de Sim : Douze scènes de guerre ou Chansonier populaire international, etc.
[15] Titre en espagnol, contenu en français.
[16] Le soldat à partir du numéro 6 est publié à Paris : cf. Berry 1990, pp. 73-88.
[17] Castells 1974, p. 65.
[18] À Barcelone sont conservés au CEHI les numéros 33-34 et 37 des années 1937 et 1938 respectivement.
[19] La copie 53 (1937) est conservé au CEHI. Castells reproduit la couverture du num. 51.
[20] L’avant-garde. Journal du front nº 3 (1937).
[21] Il y a un cahier des photographies de la Maison édité a Barcelone : Le Foyer antifasciste français patroné (sic) par le Comissariat de Propaganda (sic) de la Generalitat de Catalunya. Barcelone, 1937.
[22] Pascuet – Pujol 2006, p. 70.
[23] Ibid. L’existence de cette presse est signalée dans Bellanger – Godechot – Guiral 1972; Núñez Díaz-Balart 1992.
[24] Guillem Valls, « Edicions », Ràdio Barcelona, 659 (29 Mai 1937), Cf. Batalla 2010, p. 489.