By | 30 juin 2019

CECIL#5 PDF de l'article

Véronique Pitois Pallares [1]
Université Paul-Valéry Montpellier 3
IRIEC EA 740

Résumé : Quelques-uns des auteurs les plus remarqués et prolifiques sur le devant de la scène mexicaine de ces dernières années, comme Mario Bellatin, Cristina Rivera Garza et Jorge Volpi, interrogent dans leurs récits les rapports complexes qui articulent le je avec l’altérité. Dans El Gran Vidrio (2007), La muerte me da (2007) et El jardín devastado (2008) respectivement, l’introspection du narrateur homodiégétique mène à une exploration sans complaisance de la place de l’autre dans les processus de construction de l’identité subjective. Il en ressort une vision désabusée des relations humaines, mais aussi et surtout, une grande effervescence créative qui emporte le sujet narrateur dans un devenir-autre permanent.
Mots-clés : roman mexicain contemporain, identité subjective, altérité, devenir-autre, Mario Bellatin, Jorge Volpi, Cristina Rivera Garza.

Título: Préstamos y metamorfosis: la identidad por la alteridad
Resumen: Algunos de los escritores más notables y prolíficos en el escenario literario mexicano de los últimos años, como Mario Bellatin, Cristina Rivera Garza y Jorge Volpi, cuestionan en sus relatos las complejas relaciones que articulan al yo con la alteridad. En El Gran Vidrio (2007), La muerte me da (2007) y El jardín devastado (2008) respectivamente, la introspección del narrador homodiegético conduce a una exploración poco indulgente de la importancia del otro en los procesos de construcción de la identidad subjetiva. De ahí resultan una visión desilusionada de las relaciones humanas, pero también y sobre todo, una marcada efervescencia creativa que guía al sujeto narrador hacia un devenir-otro permanente.
Palabras claves: novela mexicana contemporánea, identidad subjetiva, alteridad, devenir-otro, Mario Bellatin, Jorge Volpi, Cristina Rivera Garza.

Title: Borrowings and Metamorphosis: Identity through Alterity
Abstract: Some of the most outstanding and prolific writers on the contemporary Mexican literature stage, like Mario Bellatin, Cristina Rivera Garza and Jorge Volpi, wonder in their narrative about the complex connections between the self and alterity. In El Gran Vidrio (2007), La muerte me da (2007) and El jardín devastado (2008) respectively, the homodiegetic narrator’s introspection leads to an uncompromising exploration of the place of the other in subjective identity construct processes. It results in a disillusioned vision of human relationships, but also and most importantly an unrestrained creativity that brings the first person narrator to a permanent becoming-other.
Keywords: contemporary Mexican novel, identity of the self, alterity, becoming-other, Mario Bellatin, Jorge Volpi, Cristina Rivera Garza.

Pour citer cet article : Pitois Pallares, Véronique, 2019, « Emprunts et métamorphoses : l’identité par l’altérité », Dossier thématique : Voix et identités d’ici et d’ailleurs dans la littérature mexicaine contemporaine, coord. par Véronique Pitois Pallares, Cahiers d’études des cultures ibériques et latino-américaines – CECIL, no 5, <https://cecil-univ.eu/C5_8>, mis en ligne le 30/06/2019, consulté le jj/mm/aaaa.

Introduction

  1. Dans la littérature mexicaine de ce début de XXIe siècle, de nombreux récits introspectifs, autofictionnels, fictionnels ou autobiographiques, accordent à l’altérité un rôle déterminant. L’autre devient un ingrédient essentiel de la recherche et de l’invention de soi et ce de diverses manières. Dans les romans qui nous occuperont, cet « autre social » ou altérité extérieure se manifeste rarement sous un jour positif et constructif et, plus qu’un soutien ou un moteur dans la construction subjective du je, il se dresse tel un obstacle ou un mirage, particulièrement dans les romans La muerte me da (2007) de Cristina Rivera Garza et El jardín devastado (2008) de Jorge Volpi. L’altérité, ou les promesses et espoirs qu’elle suscite, y demeure inaccessible. C’est également le cas dans l’œuvre narrative de Mario Bellatin, où l’autre émerge en outre dans le motif récurrent de la métamorphose, à tel point que la démarche introspective repose essentiellement sur l’exploration de l’altérité intérieure, intime ou intrinsèque à l’individu, celle qui naît en lui-même et qui le constitue en partie, celle qui le conduit à s’interroger, à se lamenter ou à s’exclamer après Rimbaud : « Je est un autre » ! Nous interrogerons dans ce travail les mécanismes par lesquels l’altérité prend une part active dans le processus mouvant et foisonnant de (dé-/re-)construction identitaire dans la fiction chez ces trois écrivains mexicains contemporains.

1. El Gran Vidrio de Mario Bellatin : la métamorphose pour principe

  1. Le terme « métamorphose » regroupe plusieurs phénomènes assez différents les uns des autres. Il constitue, à lui seul, le titre de deux œuvres majeures de la littérature universelle, Les métamorphoses d’Ovide et la nouvelle de Kafka, qui ont inspiré de très nombreux hypertextes. Pour le Trésor de la Langue Française, c’est en premier lieu un « changement de forme, de nature ou de structure si importante que l’être ou la chose qui en est l’objet n’est plus reconnaissable[2] ». Par analogie et au figuré, c’est tout à la fois un « changement important dans l’apparence extérieure de quelqu’un ou de quelque chose » et une « transformation lente, progressive et profonde d’une personne ou d’un groupe de personnes[3] ». Une métamorphose peut ainsi être partielle ou totale, superficielle quand elle concerne l’apparence de l’objet ou de l’individu dans la configuration qui nous intéresse, ou profonde et immatérielle lorsqu’elle touche à sa dimension psychique, intérieure. En ce sens, il est probable que bien des écritures du moi retracent des métamorphoses ; à certains égards, tout écrit rétrospectif portant sur un objet soumis au passage du temps fait état d’une métamorphose. L’autobiographie consiste même d’ailleurs en un récit de cette métamorphose de l’auteur, souvent depuis sa petite enfance et jusqu’au présent de l’écriture, ou bien jusqu’à une date butoir qui marque le terme de cette transformation : entrée dans l’âge adulte, perte des illusions ou toute autre révélation qui modifie substantiellement son être, comme la découverte de l’écriture, point d’origine de la métamorphose du petit garçon en écrivain dans Les Mots (1963) de Jean-Paul Sartre.
  2. Les cas de métamorphoses identitaires sont nombreux dans l’œuvre de Bellatin, mais dans El Gran Vidrio (2007), cela apparaît implicitement dès le sous-titre Tres autobiografías signées par un seul auteur, qui aurait alors plusieurs vies à raconter. Le tout est composé de trois chapitres qui se présentent d’abord comme des récits indépendants, avec trois narrateurs homodiégétiques distincts, mais qui finissent par se confondre en une figure caléidoscopique et protéiforme dans l’épilogue.

1.1. La difformité ou l’angoisse de l’effacement identitaire

  1. Les thématiques du travestissement, du corps malade ou difforme sont récurrentes dans les écrits de Bellatin, de même que les prothèses et autres artifices plus ou moins esthétisés visant à remplacer des membres manquants ponctuent de nombreux récits[4]. Dans El Gran Vidrio. Tres autobiografías particulièrement, le corps devient l’espace et l’outil de la (dé)construction identitaire en ce qu’il fixe à la fois les limites et l’unicité de l’individu face à l’altérité.
  2. Le récit « Mi piel, luminosa… en los alrededores de la tumba del santo sufí » est constitué de 360 phrases numérotées et séparées entre elles par un retour à la ligne, et inégalement réparties de une à dix par page, donnant ainsi un effet de lecture disséquée, progressive et morcelée. Le narrateur, un enfant qui vit dans une institution spécialisée et dont la crédibilité est sujette à caution, prête une attention particulière à la spécificité physique qui le caractérise et le rend exceptionnel : sa peau limpide, presque lumineuse, notamment au niveau de ses parties génitales, est digne d’être exhibée en public et justifie les offrandes qui sont alors faites à sa mère. Il semble obsédé par cet aspect de son apparence, à tel point qu’il occulte tout le reste ; c’est le seul élément de description physique que l’enfant mentionne, et ce à de multiples reprises : « 211. Sólo la brillantez de mi piel y, por supuesto, la firmeza de la bolsa que contiene mis testículos hacen pensar que mi cuerpo se mantiene joven[5] ». Si le petit garçon s’enorgueillit de ces qualités ainsi que de la fierté et du profit que sa mère en retire, elles constituent également sa principale source d’angoisse, maintes fois réitérée au cours du chapitre :

69. Se decía que los genitales terminaban siendo víctimas del mal que propiciaba la envidia de las demás.
70. Que de un momento a otro comenzaban a secarse, hasta que de la bolsa inflada que los contenía no quedaba sino una tripa flaca y colgante, que acababa por desprenderse del cuerpo antes de que la víctima advirtiese lo que estaba sucediendo.
71. Cuando los hijos pierden de ese modo los testículos las madres huyen de inmediato.
72. Cargan como pueden con los objetos de valor recolectados y suelen dirigirse hacia las zonas montañosas.
73. Antiguamente la ley marcaba la forma de muerte para esos hijos.
74. Una de las maneras más frecuentes era dejar sin cuidado la herida del escroto caído[6].

  1. Entre complexe d’Œdipe et angoisse de la castration, les possibilités freudiennes d’interprétation de ce passage ne manquent pas. La perspective d’une disparition de la particularité physique exceptionnelle de l’enfant signifie pour lui la dissolution immédiate du seul lien qui le rattache encore à sa mère. Qu’il soit fantaisiste ou non, le constat est bien entendu d’une cruauté et d’une noirceur absolues, comme c’est souvent le cas des relations filiales dans les fictions de Mario Bellatin. Pour autant, c’est un autre aspect du problème qui nous intéresse ici : si la perte de ces attributs corporels est synonyme de mort pour le narrateur, c’est aussi et surtout parce qu’elle entraînerait un effacement tel de son identité et de sa subjectivité, de ce en quoi il se reconnaît comme étant différent de l’altérité, qu’il ne saurait y survivre. Le processus d’introspection est dès lors rythmé par l’évolution et l’avancement des symptômes qui pourraient annoncer ce déclin funeste.
  2. Toute cette décadence qui menace l’enfant ressemble fort à l’étape incontournable (par laquelle ses ancêtres ont effectivement dû passer !) de la puberté, et par conséquent à la disparition des traits enfantins dans le corps de l’adolescent. Ces « alteraciones físicas[7] » marquent le passage d’un état à un autre, d’un corps à un autre, une véritable métamorphose ; c’est en cela que le terme « alteraciones » nous semble particulièrement significatif, car il s’agit en tous points d’un devenir-autre[8] vertigineux.
  3. Cette particularité physique tellement exceptionnelle qu’elle suffit à elle seule à caractériser le personnage, à distinguer une identité au demeurant assez floue du reste de l’altérité, est ce qui lui permet de ne pas se dissoudre dans la foule des autres, du méconnaissable, de l’informe. C’est pour ainsi dire sur une anomalie – ou une caractéristique présentée comme telle – que son identité se cimente. La disparition de cette anomalie ou de cette difformité positive met alors logiquement en péril la construction identitaire et la viabilité du sujet. Dans une précédente étude, nous avons évoqué le rapport existant entre difformité physique et identité dans l’œuvre de Mario Bellatin[9] et il nous semblait que, dans Flores, Shiki Nagaoka : una nariz de ficción ou « Mi piel, luminosa… en los alrededores de la tumba del santo sufí », la difformité « par excès » (excès de brillance de la peau, trop grand nez, etc.) était un facteur de cohésion et de renforcement identitaire, l’anomalie servant à cristalliser l’individualité et l’unicité du sujet, tant par rapport au regard des autres que pour lui-même. On soutiendra ici, au contraire, que la difformité « par absence » ou « par manque » est vécue comme un vide identitaire. Dans « La verdadera enfermedad de la sheika », on observe un phénomène qui n’est pas étranger à ce constat : le narrateur, à qui il manque un bras, est conditionné dès l’enfance à se sentir incomplet :

Desde que nací mis padres se empeñaron, de manera casi obsesiva, en que utilizara una prótesis que supliera mi brazo faltante. Lograron inculcarme la necesidad de utilizarla […]. Fue de tal magnitud la obsesión de mis padres, que tuvieron que pasar más de cuarenta años para que, en medio de una suerte de viaje iniciático a la India, arrojara el último brazo al río Ganges. Lo hice dos días antes de que ocurriera el tsunami que arrasó parte de la costa[10].

  1. Le port d’une prothèse est en soi une métamorphose qui transforme l’apparence du sujet pour combler un vide identitaire. En réalité, c’est une forme d’aliénation qui s’installe, lorsque le personnage fonde la cohérence et la cohésion de son édifice identitaire sur un artifice, un objet irrémédiablement étranger. En ce sens, la prothèse « est à la fois manque et monstration […] [et] également imposture[11] », comme l’explique Laurent Roux. L’adoption du bras prothétique opère une première métamorphose par rapport à l’état originel du narrateur et surtout à la perception qu’il a de lui-même : d’un être qui a un bras de moins que les autres, il devient une personne affublée d’une prothèse en mauvais état, c’est-à-dire une personne qui, pour être complète, doit avoir recours à un corps extérieur[12]. Plusieurs dizaines d’années plus tard, il subit presque une métamorphose régressive lors de son voyage initiatique en Inde : en se dépossédant de l’appareil orthopédique, il met fin à l’aliénation que celui-ci représentait, dans une sorte de seconde naissance ou de retour au point de départ qui sont le propre des parcours initiatiques. L’épisode se ferme sur l’évocation d’une dernière métamorphose, comme pour faire écho à celle du narrateur : la nature reprend ses droits et balaie d’un tsunami toutes les excroissances présentes sur la côte. La phrase est laconique mais fortement suggestive : tous les lecteurs auront en tête les images de palmiers et de baraquements emportés par la vague gigantesque qui frappa les côtes de l’Océan Indien en décembre 2004. À ceci s’ajoutent les vertus purificatrices, pour le corps et l’esprit, qui sont allouées par la tradition hindouiste au plus sacré des sept fleuves indiens, le Gange. Pour Pierre Amado, l’eau en général, et particulièrement celle du Gange, symbolise la résurrection et la renaissance rendues possibles par la dissolution et la désintégration des formes, tel le déluge qui détruit toute forme de construction humaine et permet en cela l’avènement d’un nouveau cycle, plus juste et plus pur :

Et, de ce fait, ce qui sort à nouveau des Eaux, prend une nouvelle forme, est recréé, régénéré.
Ainsi l’immersion dans l’eau est l’abolition de toute forme, l’abolition de l’« histoire », l’abolition de la manifestation, la régression dans le préformel, de même que chaque âge (kalpa) se termine par la dissolution, l’anéantissement (pralaya) cosmique dans l’eau, matrice universelle.
Complètement plongé dans l’eau, l’homme devient eau, il est un avec le Brahman sans forme des philosophes vedantin. C’EST EN CE SENS QU’IL Y A PURIFICATION ET RÉGÉNÉRATION[13].

  1. En jetant sa prothèse orthopédique[14] dans le fleuve sacré, le narrateur de « La verdadera enfermedad de la sheika » décide de faire table rase de la forme artificiellement donnée à son corps par l’instrument pour retrouver son identité propre, essentielle.
  2. Le narrateur du premier chapitre voit en sa difformité un marqueur identitaire en ce qu’elle le distingue d’autrui et le rend singulier. Loin de la cacher, il l’exhibe, et l’imminence de toute transformation qui entraînerait la disparition de cette anomalie est ressentie comme la menace d’une dissolution identitaire. Sans elle, il se retrouverait perdu, dépossédé du sceau de l’unicité qui l’empêchait de se noyer, diffus, dans la masse informe de l’altérité et ainsi de franchir « [e]l límite de la desaparición total del sujeto[15] ». Au contraire, la difformité du narrateur manchot du chapitre suivant constitue un fossé à combler entre soi et l’altérité ; la construction identitaire passe par une métamorphose récurrente qui consiste à recourir à une prothèse, de telle façon que le personnage ressemble plus à un autre qu’à lui-même : il est littéralement aliéné.

1.2. De la conversion aux changements d’identité(s)

  1. Le narrateur manchot de ce deuxième chapitre de El Gran Vidrio se présente par ailleurs sous les traits d’un écrivain mexicain converti à l’islam soufi, et cette conversion religieuse est en soi une véritable métamorphose, qui implique une rupture idéologique et culturelle, une sorte de déterritorialisation spirituelle. L’aboutissement de cette transformation réside probablement dans le choix d’un nouveau nom, qui symbolise la mutation identitaire profonde qu’implique ce processus, comme cela apparaît à la fin de l’épilogue du roman, lorsque le narrateur qui a successivement revendiqué les différentes identités développées précédemment s’exprime en tant que l’écrivain Mario Bellatin, une identité qu’il promet pourtant d’abandonner sans tarder, et qu’il rend donc aussi éphémère et transitoire que toutes les autres : « […] algunos libros más que están por aparecer, y los cuales pretendo firmar ya no como Mario Bellatin, […]. Sino simplemente como Salam. Abdús Salam más bien, el Hijo de la Paz[16] ». C’est l’ultime métamorphose, celle qui efface et annule toutes les autres, les innombrables transformations que subit le personnage narrateur au fil du roman, au fur et à mesure qu’il s’invente et se réinvente en une farandole de figures antagoniques.
  2. Dans le dernier chapitre, justement, on assiste à des changements d’identité en cascade du narrateur, qui est alternativement une petite fille de quarante-six ans, un adolescent aux lunettes carrées et l’écrivain Mario Bellatin. Dans ces brusques revirements, aucune évolution progressive, aucune logique : le récit et le narrateur font volte-face et ce faisant, ils rejettent dans l’ombre du discrédit la figure qui prévalait jusque-là pour en construire une autre. Le récit s’ouvre ainsi sur une première situation – « En ese entonces, no recuerdo los motivos para que esto ocurriera, tenía una novia alemana. […] En aquel tiempo yo estaba buscando un auto. Me empecinaba en conseguir un Renault 5 de los años setenta[17] » –, que le deuxième paragraphe invalide : « Aunque, tal como se han presentado las cosas, es imposible que en ese entonces hubiese tenido una novia alemana. Sobre todo tomando en cuenta que […] yo soy la hija menor de la familia[18] ». Quelques lignes plus bas, pourtant, le récit s’obstine : « Pero, a pesar de mis circunstancias, insisto en que en ese entonces tenía una novia alemana. Con la que fui a comprar un auto Renault 5 además[19] ». Le mouvement est brutal et imperceptible : on ne s’en rend compte qu’une fois qu’il s’est déjà produit. Ces glissements de terrain narratifs empêchent toute stabilisation de l’identité du personnage principal : dès que l’ébauche d’une silhouette commence à prendre forme, le narrateur/narratrice se presse de lui opposer un démenti.
  3. Le narrateur agit comme un enfant fourmillant d’idées qui se dessinerait sur une feuille blanche, puis s’arrêterait net au beau milieu d’un trait de crayon pour raturer l’image naissante ou chiffonner la feuille, l’écarter d’un geste désinvolte, saisir une nouvelle feuille blanche et réinventer une silhouette totalement différente de la première, avant de la biffer, de la froisser et de l’évincer tout en la gardant à portée de main. Régulièrement, il reviendrait à ses premières tentatives pour y rajouter quelques coups de pinceaux destinés à faire oublier momentanément les froissures du papier. Finalement, l’autoportrait le plus authentique tiendrait dans le moment où l’enfant biffe, rature, froisse, chiffonne avant de se retrouver face à une nouvelle page vierge. En d’autres termes, l’autoportrait ne réside pas dans les différentes ébauches, toujours incomplètes et douteuses, mais dans l’activité même du narrateur, dans son vouloir-se-peindre convulsif et délirant.
  4. Dans cette démarche autofictionnelle, aucune satiété n’est envisagée, aucun point final : les métamorphoses plongent le personnage dans un devenir-autre permanent. La dé-centralisation opère dès la première retouche, le premier démenti ou la première incohérence ; nous y voyons une combinaison de deux concepts deleuziens : la déterritorialisation tend vers la minoration, en un mouvement qui pousse le sujet hors de son noyau – ou plus exactement qui fait suite à l’explosion du noyau et qui en entraîne les fragments hors du centre – aux confins de lui-même, vers la périphérie, la marge et même au-delà, dans les territoires de l’altérité.
  5. Cette fuite multidirectionnelle, cette chute perpétuelle se rapproche du trouble schizo tel que Gilles Deleuze et Félix Guattari l’appliquent au champ de la production artistique :

Le schizo est sans principes : il n’est quelque chose qu’en étant autre chose. Il n’est Mahood qu’en étant Worm, et Worm en étant Tartempion. Il n’est une jeune fille qu’en étant un vieillard qui mime ou simule la jeune fille. Ou plutôt, en étant quelqu’un qui simule un vieillard en train de simuler une jeune fille. Ou plutôt en simulant quelqu’un…, etc.[20]

  1. Dans El Gran Vidrio, le je se déterritorialise sans cesse vers d’autres terrains, qui sont ceux de l’altérité, de la multitude, du fantasme, de l’invention et de la dissolution du moi. Finalement, la constance du je – son ipséité, pour reprendre la terminologie de Paul Ricœur[21] – repose sur le perpétuel devenir-autre de son apparence et de son identité.

2. L’altérité, vecteur (et enjeu ?) de la construction identitaire

  1. El jardín devastado de Jorge Volpi et La muerte me da de Cristina Rivera Garza explorent pour leur part les différents mouvements et combinaisons qui articulent le je introspecteur avec l’altérité qui l’entoure. C’est ainsi l’épineuse question des relations de soi à l’autre, ou du je au non-je, et leurs conséquences en termes d’identité et d’introspection, qui se posent dans leurs romans.
  2. Dans ces deux romans, comme dans celui de Bellatin, les personnages entretiennent tous dans différentes mesures des relations problématiques avec l’autre, non pas en tant qu’elles impliquent une série de conflits qu’il conviendrait de résoudre, mais par ce qu’elles sous-tendent des questionnements de fond sur ce qui distingue et ce qui relie le je à l’altérité, au sens que lui donne Lévinas : « Ce qu’on présente comme l’échec de la communication […] constitue précisément la positivité de la relation ; cette absence de l’autre est précisément sa présence comme autre[22] ».
  3. Dans le livre de Jorge Volpi El jardín devastado, le narrateur introspectif tente de compenser son individualisme dévorant en se projetant vers une altérité exacerbée et particulièrement exotique : la figure d’une jeune femme orientale. Dans le roman La muerte me da, de Cristina Rivera Garza, la question de l’altérité se trouve au cœur des inquiétudes des personnages ; elle constitue à la fois un mystère insoluble et un enjeu inaccessible dans le processus introspectif. Paradoxalement, l’altérité devient aussi un moyen, un vecteur d’accès à soi-même, dont le succès est variable. Dans ces deux œuvres, les personnages se lancent parfois malgré eux dans une quête introspective qui les contraint à explorer les territoires de l’altérité, moins dans un devenir-autre tel que celui que nous observons dans le roman de Bellatin, que dans une logique d’emprunts : l’altérité, la vraie, le non-je, sert alors d’alternative lorsque le je est défaillant, décevant ou insuffisant.

2.1. Un constat amer et cynique : de l’autre-étranger à l’autre-ennemi

  1. Le narrateur de El jardín devastado est un intellectuel mexicain désabusé, cynique et misanthrope. Il revient au pays après un long exil et s’engage contre l’intervention militaire en Irak. Le récit se divise ainsi entre des fragments qui représentent la crise existentielle du narrateur, et l’histoire d’une jeune Irakienne qui traverse le désert pour retrouver ses frères après que leur famille a été décimée. Le personnage masculin fait le constat de l’égoïsme et de l’indifférence qui le rendent incapable de toute empathie. Critique vis-à-vis de la société occidentale sclérosée et ankylosée, il n’en est que plus autocritique, se trouvant tout aussi haïssable que ses congénères. Dès lors, si la figure de l’autre est irritante, c’est en ce qu’elle ressemble fort au je, à soi-même, comme s’il s’agissait d’un miroir dans lequel le narrateur contemple ses propres faiblesses : « Los espejos son abominables porque apenas distinguen tu rostro de otros rostros[23] ». Dans ce bref passage, dont les échos borgésiens mais aussi lévinassiens[24] sont évidents, il est question d’une similitude intolérable car elle provoque la confusion systématique des identités, des individualités : elle est dés-individualisation, négation de l’individu qui se retrouve noyé dans la masse informe de l’altérité.
  2. Au cœur de cette humanité grouillante de semblables, les similitudes – ces faiblesses partagées – n’empêchent pas l’incompréhension ni l’indifférence. Le narrateur ressent le besoin de secouer cette indifférence dont il s’est entouré par dépit pour retrouver la révolte qui l’animait dans sa jeunesse. C’est un antidote à son propre cynisme et à son individualisme qu’il recherche, un renouveau, une rédemption. Cette rédemption viendra d’un intérêt personnel et sans finalité narcissique pour le destin de la jeune Irakienne Laila, qui apparaît dès les premières pages du roman :

Me pregunto −pero sólo Dios es sabio− si el sol de Oriente será más traicionero. Si la joven habrá sufrido sus lanzadas. Si habrá violado el luto de la tela. Si habrá palpado sus pechos y su vientre. O si la habrá cuidado a lo largo de su ruta.
El sol de Oriente. […]
Miro los ojos rasgados de la joven −la paz sea con ella−, sus ojos parecidos a la perla semioculta. Cuántos kilómetros sin voz, cuántos pasos, cuántas jornadas de sed y de ventisca.
Su sombra en el desierto. Sus huellas que se pierden[25].

  1. L’image de cette figure qui se tient debout contre vents et marées au milieu de l’immensité de son pays dévasté est poignante. Elle relèverait presque du mirage ou du miracle. Le corps de la jeune femme est meurtri dans sa chair et dans ses os par les bombardements qu’elle entend au loin, comme s’il était une réplique métaphorique de sa terre. La désolation est totale, dans le paysage irakien et dans le paysage intérieur de Laila. Chez la lointaine étrangère, le narrateur perçoit quelque chose de vaguement familier : « Caminas descalza, Laila, sobre las ruinas de tu patria. ¿Algo nos une? / Tu andar de noche[26] ». Le narrateur se reconnaît dans ce pèlerinage solitaire et sombre : les ruines sont bien réelles autour de Laila, et figurées autour du personnage qui revient dans un pays dont la démocratie a été dynamitée sous ses yeux quelques années auparavant, en 1988 :

Mi patria: este amasijo de hienas y fantasmas, su estruendo y el culto del olvido […].
La plaza volvía a ser nuestra: no íbamos a tolerar otro saqueo. Demasiadas décadas de agravios −zumbidos del sesenta y ocho− agitaban la memoria. Un fraude sarnoso, descastado. La tarde previa el mastín del gobierno había anunciado la «caída del sistema» y el triunfo irreversible de sus cómplices.
Como cada seis años[27].

  1. L’un et l’autre marchent à l’aveugle entre les décombres de leur patrie respective.
  2. Au fil de son pèlerinage pénitent, Laila affronte des situations qui mettent à l’épreuve son humanité et sa bonté. Elle fait alors montre d’un altruisme naturel, comme lorsque sa route croise des dizaines de cadavres abandonnés sans sépulture et visiblement torturés :

La muchacha se aproxima a uno de los cuerpos, admira su rostro −le faltan los dientes−, cierra sus párpados y se impregna con su hedor de días. A continuación hace lo mismo con los demás.
El djinn no oculta su disgusto.
Al terminar −ya anochece− ella eleva una plegaria: Señor de los Mundos, que su dolor quede inscrito en mi dolor[28].

  1. La jeune femme se fait témoin et porteuse d’une communauté de douleur. Elle rend leur humanité – leur individualité – à ces anonymes privés de leur identité par les bourreaux qui les ont condamnés à disparaître dans le désert. Laila, Antigone irakienne des temps modernes, démontre ici une empathie et un altruisme qui la situent aux antipodes symboliques du narrateur. Elle devient ainsi une sorte de mater dolorosa pour ses semblables et rétablit une fraternité jusque-là inexistante.
  2. L’histoire de Laila se conclut tragiquement : elle crie sa douleur à la face du monde en commettant un attentat suicide dans la foule. Ce qui était le pèlerinage pénitent d’une mère courage se révèle être le chemin de croix désespéré d’une kamikaze qui porte en elle la douleur d’un peuple, la douleur d’une terre.
  3. Quelle est donc la place que tient l’histoire de Laila dans le roman ? Que représente-t-elle pour le narrateur ? Il est évident qu’à travers cette veine du récit, le narrateur désabusé et cynique retrouve un combat à mener, une cause à défendre. L’Irak de Laila peut être un nouvel envol, une issue à la spirale de retrait du monde et de repli sur soi qui mène le narrateur d’exils en faux retours. C’est l’occasion de troquer un attentisme mièvre contre un activisme utile et juste. Il se découvre sensible au sort de la jeune femme, concerné à défaut d’être impliqué, loin de son habituelle indifférence. La vie d’une jeune martyre irakienne qui parcourt le désert lui importe, alors même qu’elle représente l’altérité étrangère et lointaine par excellence. « Autrui en tant qu’autre n’est pas seulement un alter ego ; il est ce que moi, je ne suis pas », expose Emmanuel Lévinas dans Le temps et l’autre[29] ; Laila serait-elle le remède à l’individualisme stérile du narrateur, au « genuino desinterés hacia los otros[30] » ?
  4. Jeune femme née au début des années quatre-vingt au Moyen Orient, alors qu’il était étudiant et militant dans une grande capitale de cette Amérique latine qu’Alain Rouquié appelle l’« Extrême-Occident[31] », elle est le négatif du protagoniste en tous points, son exact contraire. Leurs cultures ne sauraient être plus différentes : lui a abandonné le christianisme pour un athéisme sceptique alors qu’elle est élevée dans le plus pur respect de la tradition musulmane. Très attachée à sa famille, heureuse en ménage et mère d’une petite fille, Laila meurt d’amour lorsque ses proches lui sont arrachés un à un ; au contraire, l’amant de passage se préserve de toute entrave affective, fuit les engagements, refuse catégoriquement toute perspective de paternité et voit son propre frère comme un étranger. Le désert qu’elle traverse dans son pèlerinage de deuil et de recherche acharnée de ses frères est à l’opposé du bouillonnement de la ville de Mexico. De plus, cette traversée du désert que Laila effectue au sens propre fonctionne à merveille comme métaphore du désert affectif et sentimental du personnage.
  5. Rien n’explique le lien qui les unit, mais il semble connaître Laila de façon quasiment omnisciente. Serait-elle alors sa création ou sa créature, le fruit de son imagination ? Serait-elle l’antidote fictif créé par le narrateur pour compenser ou remédier à son indifférence à autrui ? A-t-il lui-même fabriqué de toutes pièces le remède à son égoïsme stérile et destructeur en inventant ce substitut d’altérité capable, par son destin tragique, de provoquer une authentique réaction d’empathie ?
  6. À travers elle, il redécouvre la voie qui mène à l’autre. Mais dans un monde individualiste et fanatique, fait d’incompréhensions mutuelles et d’intolérance, Laila ne saurait exister durablement, même comme fiction. L’altérité idéale s’essouffle et s’évanouit dans le vacarme de l’explosion.
  7. Dans le roman La muerte me da de Cristina Rivera Garza, une enquête policière s’organise suite au meurtre barbare d’un jeune homme : le corps a été émasculé post-mortem, comme le sera celui des quatre autres victimes masculines que laissera derrière lui le mystérieux tueur en série du « caso de los hombres castrados[32] ». Outre Cristina, qui découvre le premier corps, entrent en scène les deux autres personnages de premier plan du récit, « la Detective » et Valerio, son assistant. Cristina est la seule véritable narratrice à la première personne, mais la focalisation interne de la narration s’étend à plusieurs reprises à d’autres protagonistes, notamment à Valerio et à la Détective.
  8. Pour chacune de ces trois figures principales, la narration prend un tour intimiste et laisse libre cours à la dynamique introspective et (auto)réflexive induite par la violence à laquelle elles se retrouvent confrontées. Un autre je s’affirme aussi avec véhémence ; c’est la mystérieuse « Viajera con el Vaso Vacío[33] », qui adresse une série de messages épistolaires à Cristina, et qui est l’une des figures suspectes des meurtres qui ne seront jamais résolus.
  9. Autour de la recherche du criminel, c’est une série de considérations métaphysiques sur l’identité personnelle qui mène les protagonistes à un examen de leurs propres paradoxes identitaires, qui ont en commun le même « deseo de alteridad[34] » dont les conséquences les plus extrêmes, selon les enquêteurs, seraient les crimes du tueur en série, profanateur et collectionneur des parties intimes de ses victimes.

2.2. L’altérité de substitution : un merveilleux compromis

  1. Pour chacun des protagonistes de cette étonnante enquête policière qui vise en vain à confondre le tueur en série du « caso de los hombres castrados », les relations avec l’altérité constituent une source de déception. Les personnages font état de leur impuissance à communiquer ou de la frustration qui résulte de l’incompréhension à laquelle ils se heurtent dans « esa forma de sociabilidad[35] » qu’est le langage[36]. Ainsi Cristina s’adresse-t-elle à la Détective « sin intención alguna de ser comprendida[37] » ; lorsque son amant s’exclame, curieux et enthousiaste : « –Quiero saberlo todo […] ¿Me entiendes?[38] », elle répond : « Es difícil entender lo que uno hace. Difícil explicar. Sobre todo eso: es difícil explicar[39] ». L’alternative à ces malentendus constants consiste à créer des figures mentales, des substituts d’altérité qui apportent au sujet l’interlocution attentive et compréhensive qu’il en attend.
  2. Valerio et la Détective conversent ainsi chacun avec un être imaginaire et minuscule, un simulacre d’interlocuteur qui confère à leurs monologues respectifs des allures dialogiques. Cette création mentale fantaisiste devient un support et un vecteur du processus introspectif : tantôt elle reflète leurs sentiments et leurs désirs et s’en fait le soutien compréhensif, tantôt elle devient un juge critique, un alter ego sans concessions.
  3. Pour Valerio, elle va par exemple cristalliser son désir incestueux pour la Détective qui lui rappelle sa propre sœur :

La Mujer Increíblemente Pequeña lo denostaba al llegar a su casa con su dedo índice en alto. Escalaba por su hombro con el carcaj en su espalda y, arqueándose sobre el pabellón de su oreja derecha, le recordaba que tenía que vestirla o alimentarla o, cuando menos, divertirla.
–¿Qué hace una Mujer Increíblemente Pequeña en el nido de la pájara? –le preguntaba.
–Hago lo mismo que la pájara -le contestaba, guiñándole un ojo. Infantil y sexual a un tiempo. Carnívora.
[…] Pero la Increíblemente Pequeña […] se quitaba la ropa y, lánguida como diva de circo, se tendía frente al rectángulo del televisor como si se tratara de un tótem.
–Tú eres mi tabú –le murmuraba entonces, tocando con las enormes yemas de sus dedos de hombre la piel de la diminuta criatura. El cabello. Los senos. El torso. Las piernas.
–Soy tu hermana –le replicaba, ya confundida con las imágenes de la pantalla, manoseada, inquieta–. Soy tu igual[40].

  1. Dans ce passage, l’être minuscule imaginé par Valerio semble jouer un des fantasmes du jeune homme. Au désir que la créature suscite par son attitude lascive suit le spectre de l’interdit de l’inceste qui pose à son tour la question de ce qui détermine l’attirance de Valerio pour une femme qu’il associe au fond de lui-même à sa sœur. Les termes « tótem » et « tabú » font d’ailleurs référence à l’ouvrage que Freud a consacré à l’inceste : Totem et tabou (1913). La « Mujer Increíblemente Pequeña » orchestre ainsi une mise en scène explicite et figurative du conflit qui se joue dans l’intériorité du personnage.
  2. Pour la Détective, elle servira à verbaliser les doutes qui l’animent, alors que son enquête piétine :

–No vas a poder vivir con esto encima, ¿verdad? –oye la pregunta […]
–Eso no es lo peor -contesta en voz alta, al fin. Un leve carraspeo.
–¿Qué es?
–Lo peor –se oye decir– es que no me voy a poder morir con esto encima, ¿me entiendes?
La Dama Pequeñísima con quien sostiene una conversación en la que no cree le responde que sí. Dice que sí la entiende. La Detective sonríe, le da la espalda a la ventana y le acaricia los cabellos
[41].

  1. La forme dialogique de cette expression de l’angoisse est propice à l’exploration de soi car elle permet de verbaliser les émotions inavouées, grâce au procédé presque maïeutique du dialogue rythmé par des questions faussement ingénues. Ainsi, non seulement cette figure favorise la démarche introspective, mais encore assure-t-elle la garantie d’une pleine satisfaction quant à la qualité de l’attention prêtée au personnage et à la compréhension et l’empathie que recevront ses paroles.
  2. Successivement nommée « la Mujer Increíblemente Pequeña[42] », « la Increíblemente Pequeña[43] », « la Dama Pequeñísima[44] » et « Grildrig[45] », cette figure a donc de multiples fonctions et une dimension symbolique intéressante. Elle naît de l’imagination de Valerio à partir de sa fascination pour la Détective qui lui rappelle sa propre sœur, disparue longtemps auparavant ; les deux figures fusionnent pour donner vie à cette femme miniature vive et espiègle :

Pensó que la Detective era una mujer con manías de niña. La imaginó, sin saber por qué, como una mujer increíblemente pequeña: algo o alguien a quien podría llevar, como ella a su moneda, dentro del bolsillo del saco.
      Días después, siempre en su casa y siempre a solas, empezaría a escribir sus notas acerca de la Mujer Increíblemente Pequeña. Le daría una medida de longitud: once centímetros. […] Ningún aviso. Ningún origen. Una simple aparición. Bristol 1699. Capitán William Prescott. […] Le pondría un nombre: la Mujer Increíblemente Pequeña. Verla le produciría un placer inmenso, un placer acaso inimaginable. Oiría con atención su voz suave, su voz de mujer adulta. Como Lemuel Gulliver en Liliput, desarrollaría rápido una mezcla de ternura y conmiseración por la fragilidad que asociaba a su tamaño. La colocaría en la palma de su mano[46].

  1. Comme si la création de cet être imaginaire symbolisait la création littéraire, Valerio puise dans différentes dimensions de son univers le matériel nécessaire à sa construction : dans son imagination mais aussi dans sa réalité qui est déjà, pour le lecteur, le premier degré de la fiction. À mi-chemin entre sa réalité et son imagination, le jeune homme fait aussi appel au roman de Jonathan Swift Gulliver’s Travels (1726), dont le héros Lemuel Gulliver quitte le port de Bristol un 4 mai 1699 à bord du navire du capitaine William Prichard (et non Prescott !). Cette parenté littéraire se renforcera quand la « Increíblemente Pequeña » deviendra « Grildrig » pour la Détective, Grildrig étant le nom donné à Gulliver par les géants de Brobdingnag qui ne voient en lui… qu’une miniature !
  2. Le rôle déterminant de Valerio dans l’apparition de « Grildrig » dans la vie de la Détective est par ailleurs explicite, alors même que c’est elle qui lui a inspiré cette figurine imaginaire : « Cuando [Valerio] ya no está aquí, cuando su ausencia es sólo un aroma, la Detective recuerda que fue él quien le mencionó la existencia de una criatura pequeñísima alguna vez. Una mujer. Ese juego de niños[47] ». Pourtant, avant même le récit de la naissance de la créature de Valerio, une présence minuscule accompagne l’enquêtrice et se manifeste à elle de temps à autre :

Algo o Alguien le susurra palabras al oído. […]
–Soy una niña de metal, ¿lo ves? –oye que alguien dice–. Juro que cerraré los ojos y que nunca hallaré consuelo. […]
–Es difícil respirar aquí –escucha y, como ella también tiene cierta dificultad para inhalar y exhalar, asiente de inmediato. Vuelve la cabeza sobre su hombro derecho y, luego, respira hondo, lo más hondo que puede, antes de extraer una moneda del bolsillo de su pantalón. La mira, juega con ella. Luego la arrastra contra la pared, dejando su marca. Una larga línea; una línea frágil. Cuando mira hacia atrás la sorprende la luz.
–No me sigas –murmura, molesta.
–Soy una niña de metal, te dije
[48].

  1. Cette pièce de monnaie précède donc la naissance de « la Mujer Increíblemente Pequeña » dont elle inspire même les dimensions, puisque Valerio veut que ce personnage minuscule tienne dans une poche, comme la pièce de monnaie de la Détective. Quoi qu’il en soit, c’est à partir de son élaboration par le jeune homme que cette figure imaginaire adopte les caractéristiques qu’elle conservera avec chacun des deux personnages : une silhouette féminine et enjouée ayant un fort lien de parenté avec les êtres minuscules de l’œuvre de Jonathan Swift, qu’il s’agisse des Lilliputiens ou de Gulliver lui-même par rapport aux géants du royaume de Brobdingnag. Si, comme nous le pensons, il en préexistait une ébauche ou un germe dans l’esprit de la Détective, cela tendrait à accentuer l’universalité de « ese juego de niños » qui consiste à s’inventer un ami imaginaire.
  2. Cette création mentale confère à la réflexion intérieure de Valerio ou de la Détective un aspect dialogique, exacerbé dans la discussion houleuse au cours de laquelle celle-ci s’oppose à « Grildrig » :

–¿Y qué hiciste? –pregunta.
–Ya sabes –le dice, guiñándole un ojo–. Tú sabes de eso.
La Detective se paraliza y, luego, sin avisarle, levanta a Grildrig de la parte posterior de la blusa, las piernas colgando en el aire.
–No sabes de lo que estás hablando –le dice a la cara: una ráfaga de aire sobre sus pequeños cabellos–. No tienes la menor idea de lo que estás hablando –le repite con irritación, aventándola, acto seguido, sobre la almohada. El contacto casi imperceptible. Un par de plumas en el aire.
–Te arrepentirás –oye con toda claridad la amenaza
[49] […]

  1. La provocation sarcastique vire à l’affrontement : l’allusion qui déclenche la colère de la protagoniste fait-elle référence à un secret que seuls celle-ci et son alter ego connaissent ? La figure de « Grildrig » semble faire office de tu intime, propre au je, tel un fragment d’altérité intérieure. Est-elle en cela une sorte de représentation allégorique de la conscience que l’on peut retrouver dans les contes merveilleux ? Ou est-elle plutôt une réminiscence du développement psychique du jeune individu, qui mène à ce que Jacques Lacan désigne comme le stade du miroir ? Selon le psychanalyste français, le stade du miroir est ce moment charnière où l’enfant essaie d’interagir avec sa propre image comme s’il s’agissait d’un objet étranger, jusqu’à ce qu’il comprenne que c’est en réalité son reflet. Le motif spéculaire devient ainsi l’un des fondements de la construction psychique de la subjectivité, mais aussi un procédé créatif auquel l’activité mentale peut aisément avoir recours :

l’image spéculaire semble être le seuil du monde visible, si nous nous fions à la disposition en miroir que présente dans l’hallucination et dans le rêve l’imago du corps propre, qu’il s’agisse de ses traits individuels, voire de ses infirmités ou de ses projections objectales, ou si nous remarquons le rôle de l’appareil du miroir dans les apparitions du double où se manifestent des réalités psychiques[50].

  1. Dans le roman, « Grildrig » fonctionne effectivement comme un double du personnage, une image du je projetée vers l’extérieur jusqu’à devenir un tu L’épigraphe d’Alejandra Pizarnik pour le chapitre VI consacré à « Grildrig » semble valider cette hypothèse du dédoublement spéculaire de l’individu : « Ganas de hacerme pequeña, sentarme en mi mano y cubrirme de besos[51] ». De son côté, Georges Gusdorf mentionne la propension qu’ont les enfants à parler seuls : « Entre trois et six ans, l’enfant […] parle tout seul, […] sans avoir conscience d’un dédoublement. Il ne se parle pas à lui-même, il monologue pour son propre usage, sans distance entre un moi qui parlerait et un autre moi, qui serait le public du premier[52] ».
  2. Ce monologue sera progressivement remplacé par un dialogue avec une altérité imaginée, qui distingue les deux moi évoqués par Gusdorf. La « Dama Pequeñísima » réactive la figure de l’ami imaginaire qu’inventent les enfants et qui permet d’établir une relation dialogique dont ils contrôlent les deux pôles. S’il n’est pas suffisant pour assurer le développement social et cognitif de l’individu, qui doit pour cela se confronter à une véritable altérité, il représente néanmoins un compromis entre le je et l’autre. C’est en quelque sorte une forme d’altérité propre, intime, qui permet à l’enfant de reproduire une situation dialogique sans devoir se projeter hors de soi.
  3. La réactivation de cette figure dans le roman de Cristina Rivera Garza suscite l’apparition d’un mono-dialogue ou dialogue intérieur. Tout en mettant en scène l’émergence au sein de la sphère personnelle d’un représentant de l’altérité interne au je, d’un alter ego, ce dialogue permet paradoxalement de consolider la dynamique autarcique d’une démarche introspective. Ce substitut d’altérité légitime et compense l’absence de l’autre. Les doubles imaginaires des personnages ont ainsi vocation à se substituer à l’altérité absente ou à créer l’illusion d’une altérité satisfaisante qui correspondrait exactement aux attentes du je. En devenant une sorte de miroir du je, ils permettent une transposition dans l’altérité et une mise à distance des émotions, sentiments, désirs et frustrations des personnages, qui peuvent alors les observer de l’extérieur avec l’illusion d’objectivité de celui qui se prend « soi-même comme un autre[53] ».
  4. « [M]i nombre no soy yo[54] », résume finalement la « Viajera con el Vaso Vacío », mystérieuse auteure de lettres adressées à la narratrice où elle adopte et rejette successivement différentes identités, dans un mélange surprenant qui les revendique comme étant à la fois propres et fondamentalement étrangères. Elle utilise ainsi alternativement les noms de Joachima Abramövic, Gina Pane et Lynn Hershman, qui ont en commun leurs consonances étrangères – symbole par excellence de l’autre – et font référence à trois artistes féminines connues pour leurs actions artistiques extrêmes autour du corps mutilé. Cette adoption successive de plusieurs identités révèle que le processus de construction de l’identité propre repose ici essentiellement sur l’imagination, l’invention, mais aussi sur ce « deseo de alteridad » qui engage à chercher des modèles autour de soi, des sources d’inspiration. Le cas particulier de Joachima Abramövic est encore plus représentatif de ce phénomène, puisque la narratrice n’adopte que le nom de famille de l’artiste Marina Abramövic et lui appose un nouveau prénom. Il s’agit alors, d’une certaine façon, non seulement d’une identité étrangère, mais encore d’une identité altérée – alter-ée.
  5. L’autre que soi, l’étranger, devient en cela un composant de la construction et de l’invention de soi, mettant ainsi en évidence les carences intrinsèques du je, instable et vacillant qui avoue : « Me llamo Joachima Abramövic. Y no sé, en realidad, quién soy[55] ».

Conclusion

  1. Sans doute ce personnage énigmatique échoue-t-il comme tant d’autres autour de lui à se constituer une identité à partir de fragments choisis d’altérité ; sans doute le je échoue-t-il à se consolider et à coïncider avec soi-même . Sans doute est-ce aussi en cela qu’il incarne la (toute) puissance de ce « deseo de alteridad » qui est une déterritorialisation constante vers les territoires de l’altérité, sans que le je ne se reterritorialise de façon stable. En cela, la « Viajera con el Vaso Vacío » se laisse saisir par le texte dans un déséquilibre identitaire constant qui rappelle celui de la narratrice/narrateur mythomane de « Un personaje en apariencia moderno », le troisième chapitre de El Gran Vidrio de Mario Bellatin. L’une et l’autre sautent sans cesse d’une identité à l’autre sans jamais finir d’en épouser les formes, toujours poussées vers l’extérieur, vers le toujours-autre.
  2. En s’inventant autre ou en réinventant l’autre, ces trois romans témoignent d’une idée récurrente chez les auteurs de cette génération : l’identité devient un produit jetable, recyclable, un tissu de créations et de fictions individuelles et collectives, un concert de voix qui luttent entre elles pour s’inventer, s’intégrant, se parodiant et s’imitant mutuellement dans un vaste jeu d’échos et d’égos qui, au fur et à mesure qu’ils se configurent, se transforment et se déforment continuellement.

Références bibliographiques

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Notes

[1] Véronique Pitois Pallares est maître de conférences en littérature hispano-américaine. Elle a soutenu une thèse en littérature mexicaine contemporaine en 2015, Sous le signe du je : Pratiques introspectives dans le roman mexicain (2000-2010), et a publié un ouvrage sur l’œuvre de Mario Bellatin, El arte del fragmento: El Gran Vidrio de Mario Bellatin, Universidad de Sonora, 2011. Contact : veronique.pitois-pallares@univ-montp3.fr. Signature institutionnelle : Univ Paul Valéry Montpellier 3, IRIEC EA 740, F34000, Montpellier, France

[2] Trésor de la Langue Française informatisé, <http://atilf.atilf.fr/tlf.htm>, consulté le 28/08/2018.

[3] Idem.

[4] La légitime obsession de l’auteur pour les bras prothétiques a culminé en 2008 avec la réalisation d’un projet-performance auquel ont participé plusieurs artistes plasticiens mexicains, et qui consistait pour chacun d’eux à créer une prothèse pour l’écrivain, certaines étant particulièrement extravagantes. Mario Bellatin évoque ce projet dans une interview accordée à la revue chilienne The Clinic : « Las muertes en México no tienen relación con rituales ancestrales. » (Bellatin 2011)

[5] Bellatin 2007, p. 47.

[6] Ibid., pp. 18-19.

[7] Ibid., p. 33.

[8] Nous empruntons la notion de devenir autre à Gilles Deleuze, qui explique ce qu’il entend par devenir, un verbe qui serait, à le lire, intransitif. On ne deviendrait rien, on deviendrait, c’est tout : « Devenir, ce n’est jamais imiter, ni faire comme, ni se conformer à un modèle, fût-il de justice ou de vérité. Il n’y a pas un terme dont on part, ni un auquel on arrive ou auquel on doit arriver. Pas non plus deux termes qui s’échangent. La question “qu’est-ce que tu deviens ?” est particulièrement stupide. Car à mesure que quelqu’un devient, ce qu’il devient change autant que lui-même. Les devenirs ne sont pas des phénomènes d’imitation, ni d’assimilation, mais de double capture, d’évolution non parallèle, de noces entre deux règnes », Deleuze & Parnet 1996, p. 8.

[9] Pitois Pallares 2011, p. 65.

[10] Bellatin 2007, pp. 80-81.

[11] Roux 2009, p. 60.

[12] L’auteur évoque dans un entretien toute la dimension paradoxale de la prothèse qui, faite pour combler un vide, ne le rend que plus évident, et confirme également la nature autobiographique du passage ici reproduit (Bellatin 2011).

[13] Amado 1971, p. 203.

[14] Rappelons la définition que propose le Trésor de la Langue Française informatisé pour « orthopédie » : « Branche qui a pour objet de prévenir ou de corriger les déformations et les malformations (congénitales ou acquises) des os, des articulations, des muscles et des tendons chez les enfants, et p. ext. chez les adultes ». L’orthopédie est ainsi ce qui modifie la forme d’un individu pour lui en imposer une autre, médicalement ou socialement plus souhaitable.

[15] Vicente Luis Mora écrit avec justesse et sensibilité : « La literatura de Bellatin, como algunos autores han señalado, tiene mucho de juego; pero tras su aparente artificialidad, por debajo de su gusto por los paisajes exóticos y las biografías inventadas, detrás de los amenos apócrifos, esconde una realidad terrible, una concepción desgarrada del ser humano y de su experiencia metafísica de la vida. Es un juego, sí, pero siempre un juego trágico, al límite de la desaparición total del sujeto. Una ruleta rusa. » (Mora 2012, p. 94).

[16] Bellatin 2007, p. 164.

[17] Ibid., pp. 123-124.

[18] Ibid., p. 124.

[19] Ibid., p. 125.

[20] Deleuze et Guattari 1972, pp. 106-107.

[21] Ricœur 1990.

[22] Levinas 1983, p. 89.

[23] Volpi 2008, p. 105.

[24] « Il existe une lassitude qui est lassitude de tout et de tous, mais surtout lassitude de soi » : Levinas 1981, p. 31.

[25] Volpi 2008, p. 11.

[26] Ibid., p. 21.

[27] Ibid., pp. 11, 15.

[28] Ibid., p. 91.

[29] Levinas 1983, p. 74.

[30] Volpi 2008, p. 144.

[31] Rouquié 1987.

[32] Rivera Garza 2007, p. 34.

[33] Ibid., p. 75.

[34] Ibid., p. 243.

[35] Ibid., p. 156.

[36] De façon peut-être encore plus flagrante, dans La cresta de Ilión (2002), de Cristina Rivera Garza, les deux femmes qui entourent le narrateur et envahissent son foyer ainsi que sa vie communiquent dans une langue qui lui est inconnue, étrangère, inaccessible.

[37] Rivera Garza 2007, p. 30.

[38] Ibid., p. 63.

[39] Idem.

[40] Ibid., pp. 231-232.

[41] Ibid., p. 256.

[42] Ibid., p. 219.

[43] Ibid., p. 246.

[44] Ibid., p. 256.

[45] Ibid., p. 267.

[46] Ibid., pp. 223-224.

[47] Ibid., p. 287.

[48] Ibid., pp. 124-125.

[49] Ibid., p. 291.

[50] Lacan 1949, p. 451.

[51] Rivera Garza 2007, p. 251.

[52] Gusdorf 1991, p. 396.

[53] Ricœur 1990.

[54] Rivera Garza 2007, p. 92.

[55] Ibid., p. 79.