By | 20 octobre 2017

CECIL#3 PDF de l'article

  1. L’enracinement socioculturel de la Réforme protestante en Europe a été déterminé par l’assise institutionnelle et politique des cercles qui avaient adhéré aux doctrines des novateurs. La péninsule ibérique ne fait pas exception en la matière. Au début du XVIe siècle, si les souffles réformateurs en provenance du nord de l’Europe trouvèrent parfois des relais dans les royaumes de la péninsule, l’Inquisition veilla très vite à réprimer toute manifestation hétérodoxe, notamment à compter du règne de Philippe II. Pour autant, la lecture et la réception d’œuvres réformées dans des cercles ecclésiastiques et aristocratiques proches de l’Empereur sont attestées. L’Espagne, comme le Portugal par ailleurs, ne demeurèrent nullement en marge du grand débat théologique qui divisait la chrétienté au siècle de l’humanisme chrétien. Et c’est ce que vient illustrer l’ouvrage de Tomás López Muñoz sur la Réforme à Séville au XVIe siècle, ouvrage d’une très belle facture en deux tomes.
  2. Dans le premier volume de La Reforma en la Sevilla del XVI, l’auteur s’attache initialement à des considérations générales relatives à Séville, passée en l’espace d’un demi-siècle d’une simple ville de province à l’une des principales cités commerciales du pourtour méditerranéen et devenue l’une des capitales de l’humanisme castillan (López Muñoz, I, 31-32). Par la suite, l’auteur s’attache à analyser l’hérésie sévillane, les différents cercles dans lesquels la Réforme avait pris racine à Séville et les différentes congrégations religieuses affectées par l’appartenance de l’un ou l’une de ses membres à des cercles professant l’« hérésie luthérienne » ainsi que les caractéristiques de la répression des différents groupes de croyants menée par l’Inquisition.
  3. Les doctrines des novateurs avaient, en effet, pris racine, à compter des années 1540, dans de larges secteurs de cette cité devenue la tête de pont du commerce avec les Indes au XVIe siècle ainsi que dans la capitale du royaume, Valladolid. Plusieurs centaines d’hérétiques, issus de différentes couches sociales, avaient été condamnés lors d’autodafés massifs orchestrés à partir des années 1559-1560 dans ces deux villes. Mais, comme le rappelle Tomás López Muñoz, à la différence de Valladolid, sur les rives du Guadalquivir, les doctrines censurées avaient pris pied dans des groupes variés : non seulement dans les cercles ecclésiastiques et aristocratiques mais également dans des milieux populaires (artisans, travailleurs des villes, etc.). La diffusion des doctrines hérétiques était d’autant plus grande qu’un corps de prédicateurs issus de la jeune université d’Alcalá de Henares avait été promu par l’inquisiteur général et archevêque de Séville, Alonso Manrique de Lara, à la fin des années 1520 et réunissait des noms tels que Juan Gil, alias le doctor Egidio, les docteurs Constantino de la Fuente et Francisco de Vargas, pour ne citer que les plus connus (López Muñoz, I, 70-93). Leur prédication avait favorisé la diffusion de principes qui s’inscrivaient dans le prolongement d’un courant religieux local, taxé d’hérésie compter de 1525, l’alumbradismo. Mais on retrouvait également au sein de cette école de prédication nombre de doctrines marquées du sceau du protestantisme, au cours de ces années durant lesquelles le concile de Trente peinait à être convoqué et conclu, au cours de la décennie 1550.
  4. Le second volume vient présenter l’ensemble des sources qui ont été utilisées pour l’étude de la Réforme à Séville, rendant accessible pour le lecteur nombre de pièces qui dormaient jusqu’alors dans le silence des archives et qui n’avaient été citées que de façon incidente. Il est à relever le caractère ambitieux de l’entreprise de transcription faite par M. López Muñoz et qui aura mobilisé part de ses énergies dans la réalisation de ce travail remarquable. Les sources inquisitoriales de cette époquese singularisent, pour Séville, par leur caractère lapidaire et hétéroclite. En effet, lors de l’abolition du tribunal de l’Inquisition au lendemain de l’invasion napoléonienne, la forteresse de Triana, siège de la cour inquisitoriale de Séville, avait été incendiée et l’ensemble des fonds détruits et dispersés. Seul demeure aujourd’hui à la disposition des chercheurs la correspondance administrative du tribunal envoyée à l’autorité centrale, la cour de la Suprême Inquisition, communément appelée la Suprema, dont les pièces se trouvent aujourd’hui à l’Archivo Histórico Nacional de Madrid. López Muñoz a également incorporé des sources éparses provenant de la Compagnie des jésuites à Rome et des Archives Générales de Simancas. C’est l’ensemble de ces pièces que propose l’auteur, à l’issue d’une patiente retranscription, dans le second volume de cet ouvrage dont le contenu est disponible en version imprimée ou numérique.
  5. On regrettera que l’éditeur n’ait guère prévu, dans ce second tome qui regroupe les pièces tirées d’archives, une classification plus opératoire qui permette un accès rapide aux sources. L’index des documents, s’il résume fort heureusement le contenu des documents, n’en signale pas la date et renvoie au numéro du document là où une indication du ou des numéros de page aurait permis une navigation plus aisée dans cet imposant et appréciable recueil de 584 pages. On appréciera, en revanche, grandement l’index des noms propres même si, là encore, se reporter directement à la page correspondante aurait permis un maniement plus aisé du volume, plus en accord avec les besoins des chercheurs auxquels s’adresse principalement un ouvrage de ce type.
  6. Forcément dans un corpus aussi imposant, débroussaillé par un jeune chercheur, des choix discutables en matière d’interprétation de certaines abréviations ou de certains fragments difficilement déchiffrables sont immanquables. Certains documents ont été partiellement détruits par les ravages du temps et certains termes ou phrases sont parfois définitivement perdus. Toutefois, l’ouvrage de M. López Muñoz s’inscrit dans une tradition historiographique de chercheurs engagés dans la thématique de la réception de la Réforme en Espagne et qui avaient commencé à publier une partie de ces pièces, qu’il s’agisse d’ Ernst J. H. Schäfer, d’Ignacio José Idígoras Tellechea, de Klaus Wagner ou de d’Alvaro Huerga. Une œuvre que López Muñoz a poursuivie sans relâche pour Séville. Son travail montre combien il était devenu urgent de proposer un corpus cohérent de documentation pour l’analyse de la réception de la Réforme à Séville face à la diversité d’interprétations concurrentes sur ce que López Muñoz nomme l’ « heterodoxia sevillana ». Ce travail est appelé à être complété par l’imposante mine de documents qui dorment dans les archives capitulaires et notariales de la cité andalouse pour mieux connaître les cercles sociaux et l’assise de ces groupes hétérodoxes que la documentation inquisitoriale ne permet d’appréhender que de façon biaisée et imparfaite.
  7. Tomás López Muñoz signe là un ouvrage d’une très belle facture et apporte une contribution appréciable à l’histoire de la Réforme en Castille. Il constitue un outil précieux pour le chercheur à l’heure d’analyser certaines réalités confessionnelles peu ou mal connues, tant l’histoire du protestantisme en Castille est longtemps restée tributaire d’une vision souvent partiale et fragmentaire.
Michel Boeglin
Univ. Paul-Valéry Montpellier 3

López Muñoz, Tomás, La Reforma en la Sevilla del XVI, Séville: Editorial Mad, Colección Historia, 2 vol., 2016 (rééd.), 341 p. et 584 p.
Vol. 1 : ISBN 13: 978-84-943994-5-9 ; Vol. 2 : ISBN 13: 978-84-943994-6-6