By | 27 mars 2015

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José Luis de Rojas publie un ouvrage sur la noblesse indienne coloniale du Mexique qui vient combler un grand vide, ces thématiques ayant été délaissées, depuis les travaux de Charles E. Gibson ou John K. Chance, pendant plusieurs décennies jusqu’aux récents travaux de Margarita Menegus Bornermann, Felipe Castro ou Norma Angélica Castilla au Mexique ou de James Lockart, Sarah Cline et bien d’autres aux Etats-Unis. Son étude se divise en dix chapitres qui s’intéressent tour à tour à la situation préhispanique, au début de la Nouvelle Espagne, aux élites coloniales, à la transmission de la noblesse, au pouvoir politique, au pouvoir politique local, à l’usage du pouvoir, aux seigneurs de la terre, aux usages de la terre et aux relations avec les Espagnols. Les thématiques permettent d’aborder des sujets aussi divers et intéressants que les catégories de nobles indiens, ceux qui servent l’administration, la lutte pour le pouvoir local, le rôle des élites indiennes dans la détermination et le paiement du tribut, les mariages entre Indiens et Espagnols, la richesse des caciques, leurs activités économiques, la répartition des terres, les relations avec l’Eglise, les Indiens se rendant en Espagne etc. L’auteur nous invite donc à un tour d’horizon très complet des implications de la noblesse indienne coloniale en Nouvelle Espagne, à partir de documents d’archives, de chroniques, de travaux récents et d’une riche bibliographie.

Les analyses de José Luis de Rojas sont solidement étayées par des citations de documents d’archives (principalement Archivo General de la Nación de Mexico et Archives des Indes de Séville, mais aussi Archives notariales de Puebla, Real Academia de la Historia de Madrid, Bibliothèque Nationale de Madrid) dont de nombreux extraits sont reproduits (mandamientos du vice-roi don Luis de Velasco), parfois de façon conséquente (Visita de Coyoacan de 1551). La plupart sont cités à partir des paléographies de chercheurs récents. L’auteur cite également des chroniqueurs coloniaux (Tezozomoc, Chimalpahin, Alonso de Zorita, fray Juan de Torquemada, Burgoa, etc.) ou des chercheurs récents ou contemporains qu’il serait trop long d’énumérer de façon exhaustive mais qui constituent tout l’intérêt de l’ouvrage de Rojas (Carrasco, Zavala, Spores, Chance, Haskett, Kamen, Megged, Hornn, Martínez, Megged, Pastor, Paredes, Prem, Ragon, Reyes etc.). Ces citations peuvent aller de quelques lignes à plusieurs pages, parfois en anglais ou en français (mais toujours suivies alors d’une traduction en espagnol). Les citations de recherches récentes incluent les notes de bas de page regroupées en fin de citations. On regrettera simplement le très faible nombre de notes de l’auteur lui-même (trente, sur deux pages en fin de livre), très certainement pour des raisons éditoriales soucieuses d’éviter un aspect trop universitaire. De même, sans doute pour les mêmes raisons, on regrettera l’absence d’un index de noms de lieux ou de personnes qui aurait rendu la consultation de l’ensemble plus facile ou bien le fait de mélanger dans la bibliographie les analyses des chercheurs contemporains et les documents coloniaux édités (declaración de pinturas de 1533 ; instructions du vice-roi don Luis de Velasco 1558 ; testaments de divers caciques comme don Alonso Axacayatl, doña Francisca Verdugo ou don Gabriel de Guzmán ; diverses lettres de divers auteurs coloniaux comme Ramírez de Fuenleal 1532, oidores de Mexico 1533, Gerónimo López 1545, Diego Ramírez 1552, Juan de Pineda 1593 etc. ; de nombreuses relations géographiques du XVIe siècle ; diligencias sobre ser españoles los descendientes de Juan Grande 1643, etc.). Mais ce que la lecture perd en finesse, José Luis de Rojas le compense par une solide érudition et des lectures abondantes tant de documents d’archives que de recherches récentes.

L’étude comprend aussi plusieurs tableaux, en particulier un bilan des concessions d’autorisation de monter à cheval faites aux Indiens au XVIe siècle, principalement entre 1550 et 1553 avec quelques prolongements en 1589-1592, qui couvre 5 pages (tableau 3). On trouve également quelques exemples de possessions de terres par des seigneurs indiens, les mesures coloniales étant converties en hectares pour les rendre plus compréhensibles (tableau 2). Ou bien une liste des gouverneurs et alcaldes de Tecamachalco de 1543 à 1590, sur quatre pages, qui permet de montrer la rotation des charges ou l’augmentation du nombre d’alcaldes.

Le fait de vouloir traiter la Nouvelle-Espagne dans sa diversité géographique et son évolution coloniale entraîne une relative dispersion. Il aurait sans doute été plus pertinent de concentrer l’analyse au seul XVIe siècle, ou bien de choisir une zone géographique plus réduite (Xochimilco, Mixteca Alta ou Baja, Tehuantepec, etc.) hors de celles déjà étudiées et de la suivre sur la période coloniale. Le choix de José Luis de Rojas a été de faire un travail de synthèse plutôt que d’histoire locale : il nous entraîne ainsi avec une grande clarté dans le maquis souvent difficile des différentes zones de la Nouvelle-Espagne. Mais si les multiples exemples concernant le XVIIIe siècle (en particulier Tecali) peuvent sembler trop rapides, ils permettent de signaler la continuité d’un pouvoir indien colonial et corroborent de nombreuses pistes d’analyses de l’auteur (héritage, accès des métis à la prêtrise, etc.). De même les exemples de diverses zones géographiques (Mexique Central – en particulier Tlatelolco, Tlacopan, Coyoacan, Tula ou Teotihuacan, Chalco, Huejotzinco, Tlaxcala, Cholula-, Tepeaca, Cuernavaca, Tepejí de la Seda, Tecali, Michoacan, Mixteca, Yucatan, et Zinacantlan au Guatemala, etc.) permettent à l’auteur d’esquisser des pistes d’analyse passionnantes en distinguant les comportements répétitifs ou exceptionnels, ou en corroborant les tendances signalées par d’autres chercheurs mais non creusées plus avant. José Luis de Rojas opère un remarquable travail de synthèse de recherches plus ou moins récentes, tant en espagnol, qu’en anglais ou en français, dépassant les ornières nationalistes qui limitent bon nombre de chercheurs à une bibliographie mexicaine, espagnole ou monolingue. Son apport est aussi de mettre certains passages de ces recherches en écho entre eux et avec des documents d’archives, comme par exemple la déclaration de peintures indiennes faite en 1533 contre Cortés ou bien le serment que devait prêter un cacique indien à Charles Quint. D’un chapitre à l’autre on peut suivre ainsi des personnages comme don Antonio Huitzimengari, doña Isabel Moctezuma, don Pedro Moctezuma, don Francisco Pimentel ou les caciques de Teotihuacan, Coyoacan ou Texcoco, sans pour autant tomber dans une biographie détaillée de chacun d’entre eux. On pourra être surpris par la méthode de José Luis de Rojas quand il va jusqu’à citer cinq pages consécutives de Pastor pour traiter des caciques de la Mixteca au XVIIIe siècle (pp. 76-80). C’est en fait l’honnêteté intellectuelle de l’auteur qu’il faut louer, puisqu’il préfère signaler ouvertement les auteurs dont il est tributaire plutôt que de les résumer.

Un des passages les plus intéressants de l’ouvrage est sans aucun doute la sous-partie du chapitre 5 intitulée Los señores al servicio de la administración (pp. 125-142) qui reprend et analyse les cas de nobles indiens nommés juge-gouverneur au XVIe siècle, en particulier autour des années 1551-1552. José Luis de Rojas signale avec justesse comment l’administration coloniale espagnole s’appuie sur la noblesse indienne et tente de surmonter les divisions ethniques en envoyant des juges indiens trancher des litiges dans des provinces différentes des leurs. Ce début d’homogénéisation est un des premiers maillages qui ont abouti peu à peu à la création d’un Mexique nouveau, dépassant les clivages ethniques qui pouvaient paralyser l’administration à ses débuts. Il est surprenant qu’il faille un regard espagnol contemporain pour analyser ces premiers pas dans la création d’un Etat mexicain, sans doute parce que ces élites trop proches de l’occupant espagnol ont été mal vues depuis l’Indépendance.

José Luis de Rojas ne cache pas non plus pour autant les arrangements que certains caciques indiens ont pu opérer à leur profit en matière de montant de tribut, tout en reconnaissant le caractère stéréotypé de certaines de ces accusations de détournements.

L’auteur est un guide précieux pour nous conduire dans les méandres de cas divers et variés, dans lesquels on aurait tôt fait de se perdre, mais qu’il a su mettre en valeur et en écho pour en tirer de salutaires interprétations du système colonial. On signalera que ni l’Espagne ni le Mexique n’ont été intéressés par la publication de cet ouvrage, pourtant remarquable, et que l’auteur aura donc dû chercher un éditeur argentin qu’on ne remerciera jamais assez pour avoir rendu ces recherches accessibles à tous.

Patrick Lesbre – Université de Toulouse Le Mirail

José Luis de Rojas, Cambiar para que yo no cambie. La nobleza indígena en la Nueva España, Buenos Aires, Montevideo, México, Paradigma Indicial, serie Historia americana, 2010, 352 p.
ISBN 978-987-1256-56-3