By | 17 décembre 2018

CECIL#4 PDF de l'article

Estelle Garbay-Velázquez 1
Université de Bourgogne Franche-Comté

Résumé : Cet article propose une brève analyse du sens et des connotations des trois qualificatifs apposés en 1525 par l’Inquisition de Tolède aux nouveaux hérétiques castillans, les fameux « alumbrados », également nommés « dexados » et « perfectos ». Dans un souci d’exhaustivité, il conviendra d’ajouter à cette étude taxinomique de l’illuminisme castillan le nom de « recogidos », ceux-ci étant cités dans de nombreux témoignages comme des spirituels directement impliqués dans l’affaire. Confrontant les documents inquisitoriaux – Édit de Tolède, résumés des procès – aux plaidoyers des accusés lors de leurs procès et à quelques ouvrages spirituels contemporains majeurs, nous tenterons de remettre ces termes en perspective, et de souligner le décalage existant entre la façon dont se désignaient eux-mêmes les spirituels et le nom qui leur a été imposé, ouvrant ainsi une réflexion sur le processus de fabrication de l’hérésie à partir des différents noms attribués aux hérétiques.
Mots-clés : Illuminisme, Spiritualité, Hérésie, Inquisition, Espagne, Castille, XVIe siècle, Abandon, Recueillement

Title : When the name makes the heretic. The lexicon of Castilian illuminism in 1525.
Abstract : This article offers a short analysis of the different meanings and connotations of the three names given in 1525 by Toledo’s Holy Office to the new Castilian heretics – the « alumbrados », also called « dexados » and « perfects ». In order to be exhaustive, this taxinomic study of Castilian illuminism adds the name « recogidos » to this list, since those spirituals are often mentioned in the testimonies included in the trials. The comparison between the inquisitorial documents – the Toledo Edict, the minutes of the trials – and the pleas of the accused, along with some of the main contemporary spiritual books, reveals the discrepancy between the way the alumbrados called themselves and the name the inquisitors imposed on them. This exploration will lead us to highlight how heresy is fabricated through the different names assigned to the heretics.
Keywords : Illuminism, Alumbrados (Illuminists), Heresy, Inquisition, Spain, Castile, 16th century, Recogimiento (Recollection), Dejamiento (Abandonment)

Título : Cuando el nombre hace al hereje. El léxico del alumbradismo castellano de 1525.
Resumen : Este artículo ofrece un breve análisis del significado y de las connotaciones de los tres calificativos adjudicados en 1525 por la Inquisición toledana a los nuevos herejes castellanos, los famosos « alumbrados », también llamados « dexados » y « perfectos ». Para mayor exhaustividad, convendrá añadir a este recorrido taxonómico del alumbradismo castellano el calificativo « recogidos », ya que numerosos testimonios se refieren a estos últimos como a una familia espiritual directamente implicada en la polémica. Cotejando los documentos inquisitoriales – Edicto de Toledo, sumarios de los procesos – con los alegatos de los propios acusados durante su proceso y con algunas obras espirituales coetáneas, trataremos de medir el desfase que pudo existir entre la manera en que dichos espirituales se denominaron a sí mismos y las etiquetas que les impuso el Santo Oficio, abriendo una reflexión sobre el proceso de construcción de la herejía mediante los nombres atribuidos al hereje.
Palabras claves : Iluminismo, Alumbrados, Dejados, Recogidos, Perfectos, Inquisición, Castilla, España, Siglo XVI

Pour citer cet article : Garbay-Velázquez, Estelle, 2018, « Quand le nom fait l’hérétique. Les mots de l’illuminisme castillan de 1525 », Dossier thématique : La fabrique de l’hérésie. L’hérétique et ses représentations à l’époque moderne : Espagne, Portugal, Amérique (XVIe-XVIIe s.) coord. par Michel Bœglin, Cahiers d’études des cultures ibériques et latino-américaines – CECIL, no 4, <http://cecil-univ.eu/C4_3>, mis en ligne le 26/12/2018, consulté le jj/mm/aaaa.

Introduction

  1. La publication de l’Édit de Tolède par l’inquisiteur général Alonso Manrique marque, en 1525, un tournant dans l’histoire des idées et des courants spirituels en Espagne. En censurant 48 propositions erronées ou hérétiques attribuées aux soi-disant « illuminés, abandonnés et parfaits » (alumbrados, dexados y perfectos), le Saint-Office élève ces spirituels castillans au rang de première grande hérésie du Siècle d’or espagnol, à une époque tourmentée où la Castille sort à peine de la guerre des Comunidades (1520-1521), et l’Église redoute la contagion de la réforme luthérienne[2]. Il convient de remarquer que le phénomène – qualifié a posteriori d’alumbradismo – n’apparaît pas ex nihilo : d’après Antonio Márquez, les premières dénonciations contre des prétendus illuminés castillans remontent à 1519, et sont issues d’un cercle de domestiques du palais des Mendoza, à Guadalajara, qui semblerait avoir été l’un des premiers foyers. L’année 1524 voit la publication, sur la place d’Escalona, de l’édit de grâce invitant les fidèles à dénoncer toute personne soupçonnée d’hérésie, évènement qui entraînera la détention et l’emprisonnement de Pedro Ruiz de Alcaraz, comptable et prédicateur laïc du second Marquis de Villena, duc d’Escalona, tout comme ceux d’Isabel de la Cruz, sœur du Tiers Ordre franciscain, et du clerc Gaspar de Bedoya. Et sans attendre la condamnation officielle de l’Édit inquisitorial, le général franciscain Francisco Quiñones recommanda dès 1524, lors d’un chapitre provincial de Castille réuni à Tolède, la plus grande vigilance envers les frères « illuminés » (illuminatorum)[3] qui s’adonnent à la « voie illuminative » (viam illuminativam), menaçant ceux-ci d’emprisonnement.
  2. À partir des différentes dénonciations recueillies contre les supposés hérétiques et des témoignages inclus dans les confessions spontanées, le Saint-Office sélectionna et rassembla 48 propositions censées renfermer les « erreurs » (errores y yerros) et les « nouveautés » (novedades) doctrinales des hérétiques ; des erreurs attribuables, d’après Alonso Manrique, à l’intervention du « diable » (demonio), lequel aurait insufflé à quelques fidèles lesdites erreurs et autres « pensées diaboliques » en aveuglant leur entendement, afin de rompre l’unité et la paix de la chrétienté. Dans ce même Édit, outre l’énumération des principales erreurs doctrinales, il accuse les illuminés d’avoir formé des groupuscules séparés du reste de la communauté des fidèles :

fuimos informados por diversas personas temerosas de Dios y çelosas de nuestra fee catholica que en algunos lugares de este Arçobispado de Toledo, entre muchas personas se dezían, conferían y publicaban algunas palabras que parescían desviarse de nuestra sancta fee católica e de la común observancia de los fieles christianos e de nuestra Sancta Madre Yglesia, e se contentaban e facían conventículos particulares secreta e públicamente, e algunos se dezían alumbrados e dexados o perfectos […][4].

  1. Le Saint-Office désigne les partisans de la nouvelle secte par le biais d’une énumération de trois qualificatifs – deux participes passés et un adjectif – disposés de telle sorte qu’on pourrait être porté à y voir a priori des synonymes ou des termes équivalents. Toutefois, la valeur exacte de l’emploi de la conjonction de coordination copulative « e » et de la disjonctive « o » n’est pas très claire, dans la mesure où celles-ci peuvent aussi bien introduire des synonymes que juxtaposer des termes substantiellement différents, et par conséquent proposer une alternative entre les différents énoncés. Quoi qu’il en soit, les trois qualificatifs se retrouvent ainsi amalgamés et frappés du même sceau de l’hérésie par l’édit inquisitorial. Mais que désigne précisément chacun de ces termes, et quelles nuances impliquent-ils ? En quoi consistait exactement leur pratique spirituelle ? Et comment ces « illuminés » se désignaient-ils eux-mêmes, quels noms utilisaient-ils pour se définir ?
  2. Afin d’essayer d’y voir plus clair dans le phénomène kaléidoscopique de l’illuminisme castillan, nous nous proposons de réaliser un rapide examen des significations et connotations des trois termes hautement polysémiques et ambigus « alumbrado », « dexado » et « perfecto ». Il conviendra d’ajouter à cette liste le qualificatif « recogido », dans la mesure où les partisans du « recueillement » sont, d’une part, cités par les témoins convoqués aux différents procès et, d’autre part, considérés comme des spirituels proches de l’illuminisme par les historiens, certains allant même jusqu’à les inclure parmi les alumbrados comme un courant distinct des dejados. Pour ce faire, nous confronterons les documents émanant du Saint-Office avec les témoignages des accusés inclus dans leurs procès, ainsi qu’avec d’autres témoignages tirés d’ouvrages spirituels contemporains de la polémique. Il ne s’agit en aucun cas de dresser ici un tableau historique de l’illuminisme – ambition qui eût été démesurée au regard du format de la présente publication –, ni de recenser tous les possibles antécédents, parmi les hérésies médiévales, de ce courant spirituel – ce qui a par ailleurs été largement exploré par nombre de spécialistes, de Marcelino Menéndez Pelayo à Stefania Pastore, en passant par Marcel Bataillon, Eugenio Asensio, Antonio Márquez, etc. L’objectif de la présente contribution est bien plutôt de réfléchir au processus de fabrique de l’hérésie à partir de l’analyse des différents qualificatifs attribués par les inquisiteurs aux « illuminés » de Tolède, en tâchant de mesurer et d’interpréter l’écart sémantique existant entre les étiquettes officielles et la façon qu’avaient ces spirituels de se désigner eux-mêmes.

1. Les « alumbrados »

  1. Commençons cette exploration terminologique par le participe passé substantivé « alumbrado », le premier des trois qualificatifs qui servit à désigner en tout premier lieu le nouveau courant de spiritualité hérétique. Il convient de remarquer que celui-ci fut préféré à son synonyme « iluminado » pour traduire le participe passé latin illuminati employé par le général des Franciscains pour désigner les moines tentés par cette nouvelle voie spirituelle dangereuse. Aujourd’hui cependant, les historiens de la religion utilisent aussi bien le terme d’« iluminismo » que celui d’« alumbradismo » pour désigner la nouvelle hérésie condamnée en 1525, à ceci près que certains, comme Eulogio Pacho[5], considèrent l’alumbradismo comme « l’une des multiples manifestations historiques de l’illuminisme ou pseudomysticisme », entendant l’illuminisme comme un phénomène récurrent tout au long de l’histoire de la chrétienté.
  2. L’on doit à Eugenio Asensio d’avoir recensé certainement l’un des emplois les plus anciens du participe passé iluminado dans la langue castillane, dans le Sumario de la medicina de Francisco López de Villalobos, de 1498 : il s’agit du terme « aluminado[6] », teinté de prononciation italienne, qui désigne alors les « malades souffrant » d’homosexualité. Le mot est par conséquent chargé dès le départ de connotations dénigrantes, tout comme c’est le cas du participe « alumbrado », qui sert encore à désigner dans le langage familier une personne en état d’ivresse. À en croire Menéndez Pelayo[7], l’origine du mot « alumbrado » entendu comme secte ou hérésie – selon lui « impure » – remonterait à 1512, comme l’attesteraient les propos du Franciscain Antonio de Pastrana, qui aurait dénoncé les élucubrations hérétiques d’un prédicateur franciscain d’Ocaña soi-disant « alumbrado por las tinieblas de Satanás ». En réalité, comme l’a judicieusement remarqué Antonio Márquez[8], le terme « alumbrado » n’a, dans la bouche du Franciscain de Pastrana, aucunement le sens de « partisan de telle ou telle secte spirituelle » : il ne s’agit que du participe passé du verbe alumbrar, aux connotations neutres, pouvant renvoyer aussi bien à une illumination d’origine divine que diabolique.
  3. De fait, on remarque un emploi abondant du verbe alumbrar dans la naissante littérature spirituelle contemporaine en langue castillane, avec des connotations le plus souvent positives : la contemplation du divin passe généralement par une phase d’illumination intérieure, dont l’agent n’est autre que la personne divine. À titre d’exemple, le maître du recueillement, Francisco de Osuna, utilise le verbe à seize reprises dans sa Ley de amor y cuarta parte del Abecedario espiritual, sans que celui-ci ne renvoie à une quelconque tendance spirituelle : « Y Sancto Tomás fue por esta Pasión alumbrado, ca, tocando las llagas de Jesú, cobró todo lo que había perdido[9] ».
  4. Cependant, si le Franciscain d’Osuna n’hésite pas à employer le verbe à la voix active, il fait un usage restreint du participe passé – deux seuls exemples, f25 vo et 119 vo – et précisément dans des contextes dépourvus de renvoi à une illumination intérieure. Dans ce dernier cas, l’auteur a préféré utiliser d’autres participes passés moins ambigus tels que « radiados, ilustrados o esclarecidos[10] », évitant ainsi l’épineuse formule « alumbrado por el amor de Dios », qui aurait pu éveiller chez les censeurs d’inutiles soupçons du fait de la ressemblance avec la rhétorique des spirituels frappés d’anathème.
  5. Le champ lexical de la lumière et de l’illumination divine se retrouve dans d’autres œuvres spirituelles contemporaines, comme l’illustre l’emblématique Lumbre del alma, de l’évêque franciscain Juan de Cazalla, qui n’est autre que le frère de María Cazalla, l’une des femmes ayant fait l’objet d’un procès pour illuminisme (1532-1534). Toutefois, dans cet ouvrage, qui se présente comme un dialogue entre un maître spirituel et son disciple autour du thème du libre arbitre et de l’amour, Cazalla prend soin, tout comme Osuna, d’éviter l’emploi du participe passé controversé, excepté à la fin de l’ouvrage, lorsque le disciple reconnaît avoir été « illuminé » (alumbrado) par la doctrine de son maître[11]. Cette prudence des auteurs spirituels s’explique parfaitement dans un contexte de rédaction immédiatement postérieure à la publication de l’Édit de 1525, en plein procès contre ceux que l’on considère traditionnellement comme les principaux chefs de file du mouvement illuminé : Pedro Ruiz de Alcaraz, Isabel de la Cruz et Gaspar de Bedoya.
  6. En réalité, les trois leaders présumés du mouvement alumbrado n’ont pas agi différemment : dans les seuls documents autographes que l’on ait conservés d’eux, à savoir leurs plaidoyers d’auto-défense inclus dans leurs procès respectifs, ils ont toujours refusé que leur soit appliqué le qualificatif « alumbrado », ce qui peut paraître à premier abord surprenant, quoique par ailleurs compréhensible : rejeter le qualificatif, c’était nier toute appartenance à une quelconque secte ou groupuscule spécifique, et donc un élément fondamental de leur stratégie de défense. Ainsi, lorsque Pedro Ruiz de Alcaraz mentionne le terme, il en attribue l’origine à la médisance populaire ou à certains de ses ennemis personnels, et, en dernière instance, au fruit d’une inspiration diabolique :

Sy por averse dicho palabras que escandalizaron a muchos de dezir que avía alumbrados y perfetos y dexados tuvo lugar el diablo y los que me tenían mala voluntad de informar a vuestra merced que hablava lo que no convenía […] y como estos nombres que dezían de dexados, alumbrados y perfetos que lo que yo sabía que la gente por escarnio los avía puesto y que no avía junta de gentes aparte, como dezían[12].

  1. Plus que des noms que les hérétiques auraient donné à leur propre mouvement spirituel, les trois qualificatifs pourraient bien n’être que des surnoms chargés d’ironie et de mépris, dont l’initiative revient au petit peuple, ignorant en matières spirituelles et généralement sceptique face à toute manifestation excessive de ferveur religieuse, comme l’avait souligné Fidèle de Ros[13]. Si Alcaraz n’a jamais revendiqué ces qualificatifs, il reconnaît par endroit que ceux-ci ont pu être assumés par certains spirituels, sans s’inclure bien entendu dans ce groupe :

y començase a publicar que el marqués tenía santos en Escalona, y otros que dezían que heran diablos, y de allí se dixo que en Pastrana y Guadalajara y en Madrid y en Escalona avía personas que se dezían unos alumbrados y otros dexados y otros perfetos[14].

  1. Il n’est pas anodin de signaler que ce témoignage d’Alcaraz présente les trois qualificatifs comme étant des réalités bien distinctes, comme s’il s’agissait de trois tendances ou groupes spirituels spécifiques et coexistant, et non comme une seule et même secte spirituelle, comme laissait entendre la formulation de l’Édit de 1525 émanant de l’Inquisition tolédane, qui semble avoir tiré parti de la confusion induite par l’amalgame.
  2. Quoi qu’il en soit, le terme « alumbrado » n’est pas celui que revendiquait Alcaraz. Bien au contraire, il le réservait aux partisans de la doctrine prêchée aussi bien par l’évêque Juan de Cazalla lors de ses sermons, que par sa sœur María :

y el obispo diciendo en sus sermones que él declaraba a la lumbre que fue dada al bienaventurado Sant Pablo, y que todos podían ser alumbrados, continuando él en aquello su codiçia ; y los oydores, en aquellas admiraciones abiendo dél sermones suyos a la tarde y a la mañana los más días, siendo los de la tarde a la manera de leçión, començó de aver juntas, y aquellos que se juntavan asy por aquello llamarlos alumbrados, y asý aver escándalos[15].

  1. Mais si pour Pedro Ruiz de Alcaraz, les « alumbrados » étaient Juan et María de Cazalla, pour cette dernière, les « alumbrados » pourraient bien s’apparenter aux partisans du recueillement. En effet, l’accusée refuse habilement dans sa défense de se voir attribuer le qualificatif en ayant recours à la rhétorique de la modestie : elle ne mérite pas un nom si prestigieux dont seules sont dignes les personnes « vertueuses » et « recueillies » (recogidas) :

quanto más quel dicho testigo [el 14o] hablava de oydas y no se sygue, porquél me toviera por tal alunbrada, que lo sea ni da razón porque demás desto, este nombre de alunbrados se suele ynponer agora y en el tiempo que este testigo depuso a qualquier persona que anda algo más recogida que los otros o se abstiene de la conversaçión de los viçiosos como es público y notorio y no es mucho que asy a çiegas me ynpusyesen a mí este nonbre como lo hazen a otros mejores y más virtuosos que yo[16].
ni que nadie me osase llamar alunbrada como él dize, si no fuese burlando, refiriendo a otras muchas personas nobles que tanbién los llaman alunbrados porque andavan recogidos o hazían buenas obras[17].

  1. Ne faut-il pas voir dans cette attribution du terme « alumbrado » aux « personnes vertueuses et recueillies » une tentative de rejeter la balle de l’hérésie dans le camp spirituel adverse, à savoir, celui des « recogidos » ? Ce témoignage de María Cazalla ne manque pas de surprendre. En premier lieu, parce que les recogidos, qui bénéficiaient certainement de solides appuis parmi les plus hauts dignitaires ecclésiastiques, ne furent dans les faits pas vraiment inquiétés par l’Inquisition – à l’exception du prédicateur franciscain Francisco de Ortiz, compagnon d’Osuna, qui fit également l’objet d’un procès entre 1529 et 1532, quoique vraisemblablement davantage en raison de son engouement aveugle pour la charismatique Francisca Hernández que du contenu doctrinal de ses sermons et ses écrits spirituels. En second lieu, parce que les historiens de la spiritualité considèrent généralement (c’est le cas de Fidèle de Ros ou de Melquíades Andrés Martín) les termes « alumbrados » et « dejados » comme des synonymes ayant l’apanage de l’hérésie, maintenant les recogidos à l’abri de tout soupçon d’hétérodoxie. Même si d’autres critiques comme Marcel Bataillon mettent plus volontiers « recueillement » et « abandon » au même niveau comme deux branches ou deux courants spirituels qui, à l’intérieur de l’illuminisme, « mêlent leurs eaux[18] ».
  2. La polysémie du terme « alumbrado » révèle la complexité du phénomène de l’illuminisme castillan, « hérésie protéiforme » selon les termes de Stefania Pastore[19], dont les limites sont bien difficiles à définir, et qui pourrait bien avoir autant de visages que de personnes ayant participé à la polémique. De sorte que sous l’étiquette « vague et commode[20] » d’« alumbrados » que les inquisiteurs ont apposée à la nouvelle hérésie espagnole, dans la réalité plusieurs tendances spirituelles dissidentes pourraient avoir coexisté, dont le dénominateur commun fut certainement d’avoir toutes été des formes de « christianisme intériorisé », pour reprendre l’expression de Marcel Bataillon, quoiqu’il conviendrait de considérer chacune d’entre elles séparément. Mais avant d’examiner le qualificatif « recogido », mentionné dans différents témoignages au cœur de la polémique et qui semble s’imposer comme un élément constitutif de l’échiquier spirituel de l’illuminisme castillan, analysons le second terme frappé d’anathème par le Saint-Office.

2. Les « dexados » ou partisans de l’« abandon »

  1. Si Pedro Ruiz de Alcaraz – tout comme María Cazalla – ont rejeté aussi bien le qualificatif d´« alumbrado » que celui de « dexado », ce dernier semble toutefois plus pertinent au regard du contenu de leur doctrine spirituelle. En effet, si l’on en croit les propositions de l’Édit – mais celles-ci sont certainement loin de constituer le credo des partisans de l’abandon –, Alcaraz aurait prêché une nouvelle voie vers la perfection en s’abandonnant à Dieu (dexándose a Dios) et à son amour :

Prop. 9 : Que el amor de Dios en el hombre es Dios y que se dexassen a este amor de Dios que ordena las personas de tal manera que no pueden peccar mortal ni venialmente[21].
Tercer artículo. Ahora hemos de exponer la nueva doctrina de este reo (la cual pertenece a la materia del libre arbitrio) en lo que hace al abandono o suspensión de la voluntad creada en Dios, la cual llama este reo en lengua vernácula « dexamiento » o « dexarse en Dios » en el que la voluntad suspende todo acto propio[22].

  1. Cette méthode spirituelle ou « voie de l’abandon » présuppose donc une « suspension de la volonté créée en Dieu », qui implique un renoncement à agir mu par la propre volonté ou par des intérêts particuliers. De là le combat incessant qu’Alcaraz livre contre ce qu’il nomme les « propiedades » qui sont à proscrire, afin de laisser (dexar) que Dieu agisse en nous. L’abandon à une forme de pur amour de Dieu, clé de la perfection spirituelle, prévaut sur toute autre considération. C’est au nom de celle-ci que les actes « extérieurs » de la piété traditionnelle sont abandonnés : ainsi les prières vocales, les pénitences, le jeûne, les œuvres de charité, la dévotion pour les images saintes sont autant d’« attaches » (ataduras) et d’obstacles à la communication intime de l’âme avec Dieu qui s’accomplit dans l’amour, sans médiation aucune.
  2. Le paradoxe d’une telle conception spirituelle, a priori très exigeante moralement – kantienne avant l’heure, pourrait-on dire –, puisqu’elle pose comme un prérequis incontournable à la base de toute œuvre ou dévotion humaine le plus parfait désintéressement, est qu’elle n’a cessé dans la pratique de susciter des soupçons de laxisme moral. En effet, les dexados semblent avoir systématiquement méprisé, au nom de la perfection, les pratiques ascétiques, les œuvres de charité et autres actions vertueuses qui constituent le pain quotidien du chrétien en route vers la sainteté. La doctrine de l’abandon va même plus loin en soutenant que celui qui s’abandonne complètement à l’amour de Dieu devient en quelque sorte « impeccable », atteignant un état de perfection qui le mettrait à l’abri du péché, ce qui va à l’encontre du dogme du libre arbitre, et ouvre la porte à tout type de dérives sur le plan moral :

aquel que se deja a Dios o suspende todo acto de su voluntad en Dios, en lengua vernácula « el dexado a Dios », es impecable, de tal manera que no puede pecar ni mortal ni venialmente. De esto es testigo Mari Núñez[23].

  1. Cette idée d’impeccabilité a très certainement contribué à ajouter au participe passé « dexado », en lui-même déjà chargé de connotations négatives, une couche sémantique péjorative supplémentaire, faisant du « dexado » le paradigme de la personne négligente sur le plan moral. Dès lors, quoique Ruiz Alcaraz ait toujours défendu dans ses plaidoyers la légitimité du principe spirituel de l’abandon, on comprend qu’il ait cherché à se libérer d’un qualificatif grossier chargé de sarcasme populaire.
  2. Mais si l’on en croit certains témoignages inclus dans le procès de Francisco Ortiz, Francisco de Osuna, le maître du recueillement, aurait utilisé oralement, lors de recommandations à ses disciples – notamment pour justifier son principe controversé du « no pensar nada » – des formules très proches de celles employées par Alcaraz. Écoutons le témoignage de Gabriel Sánchez, curé de Pastrana :

Quanto a lo del recogimiento…, digo que lo que yo oy al dicho fray Francisco de Osuna, que me puso en él, es que […] procurasen de no pensar nada en cosa ninguna salvo dexar la voluntad y coraçón a Dios, e se esforçasen a desechar todos los pensamientos que les viniesen hasta quedar el ányma sin pensamiento ninguno[24].

  1. Et effectivement, comme nous avons tâché de le montrer dans notre thèse doctorale[25], il existe d’indéniables points de concordance entre la doctrine spirituelle du recueillement et celle de l’abandon. Bien évidemment le Franciscain, qui a rédigé ses trois premiers Abécédaires spirituels dans les cinq années qui suivirent la publication de l’édit de 1525, a pris soin d’éviter dans ses écrits toute formulation qui aurait pu être soupçonnée d’hérésie. Et s’il ose défendre le principe de « sainte oisiveté » (santa ociosidad) pour les plus parfaits amants de Dieu, affirmant qu’il est légitime d’« aimer Dieu de toutes ses forces » et par-dessus tout, « laissant alors toute activité et tout exercice, si bons et licites soient-ils[26] », il n’utilise jamais le verbe « dexar » sous sa forme réfléchie « dexarse », et encore moins appliqué à l’amour de Dieu. Il condamne même une forme d’« abandon négligent » (negligente dejamiento) qui pourrait conduire à une attitude oisive et dédaigneuse envers la pratique des bonnes œuvres, ainsi qu’à une perte de vigilance morale :

Vacar hombre y cesar de pecar es virtud, y es subir a Jerusalén ; mas cesar de hacer buenas obras y estarse como sede vacante ya va declinando a vicio […]. Y la razón de aqueste negligente dejamiento, […] es porque no tuvieron la vigilancia y aviso que se requiere para más aprovechar[27].

  1. Les poèmes rédigés par l’amiral de Castille don Fadrique Enríquez offrent un bon exemple de l’importance de la diffusion des principes spirituels des dexados, cette fois-ci parmi la haute noblesse, qui a souvent joué un rôle fondamental de protectrice de la nouvelle spiritualité. Ces quelques vers présentent la voie de l’abandon comme l’une des alternatives qui conduisent l’homme au salut :

Hay diversas opiniones
En la forma de salvarnos.
Unos dicen oraciones,
Otros que en los corazones
A Dios del todo dexarnos […][28].

  1. Ces divers témoignages, qui débordent du cadre strict des documents issus des procès inquisitoriaux, attestent l’influence réelle des idées des dexados dans la société castillane de la première moitié du XVIe siècle ; des idées qui, nous l’imaginons bien, étaient certainement à l’origine bien plus complexes et nuancées que la formulation synthétique et réductrice des 48 propositions établies par le Saint-Office. Le problème qui se pose aux historiens de la religion qui s’intéressent à la spiritualité de l’abandon est l’absence d’œuvres spirituelles signées de main des dexados. Les seuls documents autographes conservés sont les plaidoyers d’autodéfense inclus dans les procès, des documents rédigés sous la contrainte et sous la surveillance des inquisiteurs, et par conséquent fortement biaisés. Ceci explique la connaissance partielle de cette spiritualité frappée d’anathème et bien souvent caricaturée.

3. Les « recogidos » ou partisans du « recueillement »

  1. Il en va tout autrement du recueillement, dont le contenu doctrinal a eu l’occasion d’être précisé et développé dans le Troisième et le Quatrième Abécédaire spirituel de Francisco de Osuna, le maître des recogidos. Et si nous avons vu que le participe passé « dexado » n’a jamais été revendiqué par ceux qui se virent attribuer le qualificatif, en revanche, celui de « recogido » était pleinement assumé par les partisans du recueillement. Ainsi, Francisco de Osuna et Francisco Ortiz, dans leurs écrits, faisaient fréquemment mention de la formule « les hommes recueillis » (los varones recogidos)[29], pour désigner les personnes engagées dans la voie spirituelle du recueillement. Ceci n’est guère surprenant, étant donné les connotations nettement plus positives du participe passé, qui renvoie à des notions de mesure, de prière, de méditation, de quiétude, plus proches de la sainteté que celui de « dexado ». En outre, le terme n’ayant pas été inclus par les inquisiteurs parmi les qualificatifs censurés dans l’Édit, il n’a pas souffert le même discrédit, demeurant a priori à l’écart de tout soupçon d’hérésie.
  2. Melquíades Andrés Martín fait remonter l’origine du vocable aux maisons de récollection franciscaines, « domus recollectionis » en latín, qui se déclinent en espagnol en casas de retiro, casas recolegidas, recoletas, recolectorios ou même casas de recogimiento. Il s’agissait d’ermitages implantés en Espagne sous l’impulsion de la réforme de Pedro de Villacreces dans les années 1366-1377, puis dotées en 1523 de statuts spécifiques par le général franciscain Quiñones. Le mot s’inscrit donc dans une tradition et des pratiques déjà séculaires au sein de l’Ordre franciscain. Le monastère de Notre-Dame de La Salçeda et les grottes-ermitages qui l’entourent, dans le massif montagneux de Guadalajara, offrent un bon exemple de ces maisons propices à une vie de retraite, d’austérité, de prière et de recueillement, loin du monde. Il constituerait justement un des berceaux de la spiritualité du recueillement dans les années 1510-1520, à en croire le témoignage de Juan de Salamanca à l’occasion du procès contre Alcaraz :

Quiso empero que aunque se prueve lo del recogimiento aver salido algunos frayres de la Salçeda dél. Pero lo del dexamiento no se prueba aver salido de allý ; antes Ysabel de la Cruz paresçe aver infiçionado a fray Diego de la Barreda y a otros[30].

  1. Et c’est précisément à La Salçeda que Francisco de Osuna rédigea ses premiers Abécédaires spirituels. Examinons à présent le contenu doctrinal du recueillement tel qu’il émane des Troisième et Quatrième Abécédaires. Force est de constater une certaine fluctuation dans la définition du recueillement, qui est tantôt présenté comme un « exercice spirituel » (ejercicio espiritual), tantôt comme une « façon de faire oraison » (manera de hacer oración), tantôt comme une « voie » (vía) conduisant à la rencontre et à l’union avec Dieu. De plus, on observe un certain manque de rigueur dans les définitions conceptuelles, puisque le terme, largement polysémique, renvoie sous la plume d’Osuna à différents niveaux ou étapes de progression spirituelle. On a pu relever trois acceptions renvoyant à trois niveaux de sens distincts : indépendamment du sens courant – ou « vulgaire », selon Andrés Martín – de « paix et de quiétude de celui qui se retire du monde pour pratiquer l’oraison », Osuna emploie le mot « recueillement » dans son sens pleinement spirituel d’« union mystique entre l’homme et Dieu dans l’expérience contemplative » ; et entre les deux, il existe une troisième acception qui est celle de « méthode ou voie spirituelle dans laquelle s’engagent les recogidos », qui présuppose le premier recueillement sans y être réductible, et qui vise le second recueillement mystique sans pouvoir garantir d’y parvenir :

Este santo ejercicio usaban mucho los varones antiguos, que por recogerse mejor se retraían a los eremitorios y lugares secretos, por no se distraer entre la gente ; mas ahora solamente nos ha quedado el vocablo ; el cual imponemos por ser tan bueno a la persona más pacífica y quieta que vemos, diciendo que es « persona recogida », en lo cual apenas queremos decir sino que es hombre recogido y apartado y de honesta conversación. Lo cual, aunque sea bueno, empero no es tan bueno que merezca este nombre de recogido, según su más verdadera y antigua significación, en la cual quiere casi tanto decir como este nombre « unión », del cual apenas usamos en cosas humanas y corporales, sino en las divinas y espirituales. Empero, no tomando el vocablo en rigor, aún puede convenir a nuestro ejercicio según todas sus significaciones, porque todas aprovechan mucho al negocio de que hablamos, que es llegarse el hombre estrechamente a Dios ; según lo cual diremos por qué a este ejercicio le convenga más este nombre « recogimiento » que otro ninguno de los ya dichos[31].

  1. Ce « saint exercice », qui n’est autre qu’une méthode ouvrant une voie de quête spirituelle de Dieu, se subdivise dans l’enseignement d’Osuna en deux mouvements successifs de contemplation : au terme d’un premier mouvement horizontal au cours duquel l’âme s’efforce de rentrer en elle-même, au plus profond de son « cœur », se produit parfois un second mouvement vertical par lequel l’âme « s’élève au-dessus de son cœur » vers Dieu, avec le concours de la grâce divine :

Esta primera manera de buscar a Dios en el corazón, que se hace con tan entera conversión a Dios que pone el amor ferviente a las espaldas todo lo demás, y a sólo él vuelve la intención y afeción sin hablar palabra ni pensarla, y así está con sumo recogimiento en silencio delante de Dios ; […] y según tienen por experiencia los fervientes amadores, aun es en dos maneras, y ambas con entera negación que desecha todas las cosas : la primera y más usada manera es entrando hombre a su corazón profundo con entero recogimiento, y la segunda es que se hace más por mano de Dios que de hombre, cuando el varón ferviente sube sobre su alto corazón también a sólo Dios, porque ni busca ángeles ni criatura alguna sino al incogitable Dios, que con sólo amor se deja tocar[32].

  1. Si la teneur spirituelle des enseignements du recueillement n’a a priori rien de contraire au dogme, on comprend néanmoins que de tels propos aient pu, dans la pratique, engendrer des confusions et causer ponctuellement des scandales – comme toute expérience mystique intérieure portée à la connaissance du grand public, du reste. En effet, le recogido qui a atteint l’union amoureuse avec le divin n’aura – ne serait-ce que temporairement – que peu d’attention à consacrer aux traditionnelles œuvres de piété, tout accaparé qu’il est par l’expérience contemplative. Il ne faut pourtant pas y voir de la part d’Osuna un quelconque mépris des exercices ascétiques et des œuvres méritoires : la voie du recueillement s’inscrit dans le prolongement d’une incontournable phase de méditation et d’ascèse, le Premier et le Second Abécédaire sont respectivement là pour le rappeler.
  2. Reste que le passage de la théorie à la pratique semble avoir, dans certains cas, provoqué des scandales. En effet, le recueillement s’accompagnait dans la pratique d’attitudes et de postures corporelles censées favoriser l’introspection, mais potentiellement risibles ou suspectes d’hypocrisie aux yeux de non-initiés souvent circonspects. C’est du moins ce que laisse entendre la déclaration du bachelier Olivares lors du procès contre Francisco Ortiz :

nos poníamos en esta oración mental, a la qual llaman recogimiento, que es no estar derramados los sentidos, sino procurar de desechar de sí todo pensamiento y poner el alma en quietud. Y esto para que viniese el alma a tal estado que ni se acordase de sí ni de dios ; que aunque con el pensamiento no se acordase dél [estaba] el alma unyda con dios. Y para venir en esto, nos poníamos de rrodillas un rrato y después asentávamonos en un rincón çerrados los ojos, y estávamos allí gran rrato. Y en esto yo algunas vezes abría los ojos porque los que passavan no se escandalizasen ; y otras vezes no lo hazía, porque me lo mandó el de Ortiz, frayle que es de San Francisco. Y en esto nos pusieron fray Francisco de Osuna, habitante en la Sazeda, y fray Cristóval y el dicho fray Ortiz[33].

  1. Au-delà des postures peu conventionnelles des recogidos, qui avaient coutume de s’agenouiller ou de fermer les yeux en public, ce qui surprend dans ce témoignage, c’est la coïncidence de certaines formulations attribuées aux maîtres du recueillement avec certaines propositions censurées par l’édit de 1525. C’est le cas de l’encouragement à la pratique de l’oraison mentale au détriment des prières vocales, et du principe du « no pensar nada », qui, appliqué au sens strict, pourrait conduire à évacuer l’idée-même de Dieu de sa pensée (no acordarse de Dios), ce qui rappelle étrangement les propositions suivantes :

Prop. 12. […] y que estando en aquella quietud, por no distraerse, tenía por tentación acordarse de Dios.
Prop. 20. Que la oración abía de ser mental y no vocal ; […] e que no an de orar con la boca[34].

  1. Pedro Ruiz de Alcaraz lui-même regardait avec grande méfiance et circonspection le recueillement, qu’il considérait comme un « chemin suspect » et hypocrite faisant la part belle aux consolations spirituelles, aux rapts et extases mystiques en tout genre (« arrobamientos »), dans lesquels il voyait le fruit de l’inspiration diabolique. L’emploi du substantif au pluriel – « recogimientos » – traduit tout le mépris du prédicateur laïc d’Escalona pour sa famille spirituelle rivale, constituée essentiellement de religieux :

XVIII– Al deziocho capítulo(s) yo he hablado a algunas personas esperimentadas en la vida y exerçiçios espirituales con intençión a los avisar de los peligros que ay [c.] en las propiedades espirituales que el onbre tiene, y por fin destas algunos ver que seguían los recogimientos y con el conoçimiento de su propiedad avisarlos y dezir a las tales personas que por tal fin seguir los recogimientos ques camyno sospechoso, seguiéndolo por estas tales consolaçiones y devoçiones que dize un santo. Mira que la consolaçión y dulzura que sientes no sea del demonyo, dize el Jersón[35].

  1. Ces témoignages, ainsi que de nombreux autres qui font état de la participation des maîtres du recueillement aux fameuses réunions secrètes (juntas y conventículos) aux côtés des autres alumbrados, nous interdisent de tenir les recogidos à l’écart de la polémique, quoique le Saint-Office ne les ait pas inclus dans la liste des groupes et formations spirituelles hérétiques ; leur implication dans le phénomène de l’illuminisme a d’ailleurs été établie par d’éminents historiens, parmi lesquels Marcel Bataillon et Ángela Selke. Eugenio Asensio[36] a également insisté sur l’influence du franciscanisme sur la spiritualité alumbrada. Dès lors, qu’est-ce qui explique l’impunité des partisans du recueillement dans les procès de l’illuminisme ? Stefania Pastore[37] nous livre sans doute l’une des clés en nous rappelant qu’Alonso Manrique, le grand inquisiteur à l’origine de la publication de l’Édit de Tolède, n’était pas a priori un ennemi déclaré des illuminés. Bien au contraire, il avait une réputation d’inquisiteur indulgent (« blando »), protecteur bien connu de certains alumbrados tels que Juan del Castillo, ainsi que de nombreux recogidos, parmi lesquels Francisco de Osuna. Ce qui, d’ailleurs, explique certainement la relative bénignité des peines infligées aux alumbrados de Tolède, si on les compare à celles que subirent les luthériens et les juifs convertis accusés de crypto-judaïsme, le plus souvent brûlés vifs sur le bûcher.

4. Les « perfectos » et l’idéal de perfection

  1. Le dernier des qualificatifs que les nouveaux hérétiques se virent attribuer par l’édit de Tolède est celui de « parfaits ». Le terme n’est, en lui-même, aucunement novateur, et semble plutôt chargé de connotations positives, à la différence de « dexado » ou « alumbrado ». En effet, le désir de perfection est une aspiration tout-à-fait sainte du chrétien qui souhaite suivre la voie et l’exemple du Christ. Il s’agit même d’un précepte évangélique, que le Christ formule à l’adresse de ses disciples dans un passage de l’Évangile selon saint Matthieu (5,48) : « Vous donc, soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait ». Quant à la question de la manière d’atteindre ladite perfection, le Christ lui-même y apporte un élément de réponse dans le même Évangile (Matthieu, 19,21) : « Si tu veux être parfait, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor aux cieux ; puis viens, suis-moi ». Il va sans dire que si la perfection chrétienne consiste à suivre les pas de Jésus-Christ et de viser la perfection divine, elle implique une conversion profonde, une conduite morale irréprochable, une vie d’ascèse qui présuppose pauvreté, détachement, vertu, sacrifice, amende des péchés, charité, etc.
  2. Or, si l’on en croit les propositions de l’Édit, les alumbrados semblent avoir déprécié systématiquement les exercices ascétiques et les œuvres de charité, précisément au nom de la perfection, en alléguant que si ceux-ci constituent bien des étapes du chemin, là n’est pas la vraie perfection :

Según esto dice un testigo que la perfección no está en esto del ayunar, ni en el orar vocalmente, ni en abstinencias ni en otras obras de penitencia; más aún, que estas cosas se deben omitir ; que las personas, por el contrario, se deben estar en quietud sin las tales obras […][38].

  1. En effet, le spirituel « parfait » qui a atteint la quiétude en Dieu n’a que faire des pénitences et autres œuvres dites « extérieures », qui sont, au contraire, le signe d’une imperfection :

Proposición 43– «Diziendo cierta persona que su intención era servir a Dios e hazer penitencia e guardar sus mandamientos, dixo que no estaba en aquello la summa perfección». Esta proposición es herrónea y herética, condenada en otro tiempo contra los vegardos[39].

  1. En effet, la « perfection suprême » implique chez les alumbrados le plus parfait désintéressement à l’origine de toute action. Ils insistent souvent sur l’indispensable pureté d’intentions de l’homme qui doit agir uniquement animé par l’amour de Dieu, sans qu’aucune autre motivation ou intérêt n’y soit mêlés. Ainsi, les œuvres méritoires sont systématiquement soupçonnées de cacher un intérêt personnel, et par conséquent discréditées. D’où la croisade que les illuminés menèrent contre ce qu’Alcaraz nommait les « propiedades[40] », irréductibles résidus de l’amour propre. Cette posture conduit à un paradoxe qui renverse la conception chrétienne traditionnelle de la perfection : les illuminés, qui semblaient prêcher une quête absolue de perfection, en exigeant des actions morales irréprochables et parfaitement désintéressées, en sont venus à condamner toute action morale et vertueuse précisément au nom d’une plus grande perfection, alors que les exercices ascétiques et la charité sont au cœur de la conception chrétienne de la perfection. Dans son plaidoyer, Pedro de Alcaraz a tenté de rassurer les inquisiteurs sur l’orthodoxie de ses propos, en explicitant précisément ce qu’il entend par « perfection » :

nuestra intençión es que las obras buenas tengan perfeçión en el fin del obrar, y no que se dexen. […] No es esto quitar bien sino mostrar la perfección.
Porque aunque es bien hazer y obrar bien, ay grand diferencia en el fin del que obra, que unos obran por temor y otros por amor […] y ya se sabe ser más perfecto nuestro servicio y obras por amor que no por temor
[41].

  1. L’autre problème résulte du fait de considérer la perfection comme un acquis. N’y aurait-il pas une forme de présomption à vouloir se considérer une fois pour toutes « parfait » – attribut généralement réservé à la personne divine –, comme si l’homme, en atteignant la perfection, pouvait s’abstraire de sa condition de mortel et égaler Dieu ? Au-delà du manque d’humilité, c’est la doctrine de l’impeccabilité qui en découle qui est problématique, ce que les inquisiteurs n’ont pas manqué de condamner à travers les propositions 9 et 32 de l’Édit.
  2. Il convient toutefois de rappeler que les dexados ne sont pas les seuls à avoir fait usage du qualificatif « parfait » : les recogidos eux aussi l’utilisaient pour désigner les spirituels les plus avancés dans le chemin vers la perfection. Citons à titre d’exemple de titre du chapitre 25 de la Loi d’amour: De algunos efectos que la ley del apurado amor hace en el ánima del varón perfecto.
  3. En outre, lorsque Francisco de Osuna emploie le terme, il ne fait que reprendre la rhétorique thomiste qui distinguait trois « âges » ou étapes de vie spirituelle : « commençants, progressants et parfaits[42] », qui correspondent aux trois voies purgative, illuminative et unitive. Le terme « parfait » faisait donc partie, dans les années 1520-1530, du vocabulaire spirituel courant. Et si les inquisiteurs ont choisi d’étiqueter les nouveaux hérétiques de « parfaits », le qualificatif ne semble pas pour autant avoir été discrédité au point d’être évacué du lexique spirituel. Peut-être parce qu’il s’agissait, parmi les trois qualificatifs attribués à la nouvelle secte castillane, du terme le plus générique, et par conséquent le moins représentatif du nouveau courant spirituel.
  4. Toutefois, il convient de remarquer qu’il ne s’agit pas du premier courant hérétique de l’histoire de la chrétienté à avoir assumé le nom : les « perfecti » désignaient déjà une branche des cathares ; le qualificatif servit aussi à surnommer les bégards. Or, dans l’esprit des inquisiteurs, la ressemblance doctrinale entre les postulats des alumbrados et ceux de certaines hérésies antérieures[43] ne faisait aucun doute ; c’est particulièrement le cas des bégards, qui sont expressément nommés aux propositions 34 et 43[44]. Le fait d’apposer aux illuminés de Tolède la qualification hérétique de « perfectos » préexistante – usage du reste courant chez les inquisiteurs –, semble révélateur d’une volonté d’établir un lien ou une filiation entre les nouvelles idées illuminées des spirituels castillans et les sectes du passé, comme s’ils avaient voulu d’emblée établir leur paternité hétérodoxe.

Conclusion

  1. Ce rapide survol des différents qualificatifs qui servirent à désigner les spirituels frappés du sceau de l’hérésie en 1525 nous amène à plusieurs constats. En premier lieu, les prétendus illuminés ne se sont vraisemblablement jamais considérés comme tels. Et, comme l’a très bien remarqué Antonio Márquez,

Nunca los propios alumbrados supieron que lo fuesen ni qué significaba propiamente este nombre. Es que para saberlo no podían mirar hacia dentro, sino examinar la procedencia del calificativo, que era externa : de una parte, el pueblo ; de otra, los inquisidores[45].

  1. En d’autres termes, ce sont bien les inquisiteurs qui sont à l’origine de la formule « alumbrados, dexados y perfectos  », « étiquette vague et commode » selon Fidèle de Ros, derrière laquelle il n’y a manifestement aucune doctrine unifiée, ni aucune organisation sociale ou religieuse qui puisse apparenter l’illuminisme castillan à une « secta[46] ». De fait, il n’y a chez les partisans de l’abandon, à qui l’on a principalement fait porter le san-benito, aucune velléité schismatique, et ils ne semblent pas avoir prétendu constituer de groupuscule religieux séparé de l’Église, en dépit de leur aspiration à pratiquer plus librement une spiritualité intériorisée en marge des pratiques rituelles traditionnelles. Tout comme les recogidos, d’ailleurs, par certains aspects proches des dexados : les uns comme les autres cherchaient la perfection en s’abandonnant à l’amour de Dieu, à ceci près que les dexados semblent avoir manqué de prudence en brûlant en quelque sorte les étapes du chemin de perfection, alors que les recogidos ne concevaient pas leur quête mystique en dehors d’un parcours spirituel balisé incluant méditation, pratiques ascétiques et œuvres de charité. En outre, certains témoignages contemporains de la polémique, parfois troublants, contredisent toute tentative de catégorisation simpliste visant à opposer les deux tendances, et remettent parfois en cause la taxonomie inquisitoriale. En définitive, l’attribution, en 1525, des trois qualificatifs « alumbrados, dexados y perfectos » aux spirituels castillans constitue un exemple de « fabrication » d’une nouvelle hérésie autochtone par le Saint-Office, qui répondrait à une volonté de mettre un frein à la prolifération de courants spirituels soupçonnés de pratiquer un christianisme intériorisé, échappant à tout contrôle institutionnel, et qui constituait un vivier susceptible d’alimenter les rangs de la réforme luthérienne. Le recueillement, pratiqué par les franciscains dans le cadre des maisons de récollection, placées sous l’autorité de l’Ordre, ne semble pas avoir préoccupé outre mesure les autorités ecclésiastiques. En revanche, ces mêmes doctrines et pratiques spirituelles prêchées au sein de groupuscules de laïcs improvisés et peu formés, en dehors de tout contrôle institutionnel, voilà qui devait inquiéter les inquisiteurs.
  2. Tout l’enjeu était donc de couper court à la propagation d’une religiosité trop libre et intériorisée, certes nourrie de spiritualité franciscaine[47], mais tendant à sortir du cadre du couvent et à s’affranchir de la tutelle ecclésiastique. En dernière instance, la définition et la condamnation de l’hérésie illuminée en 1525 fut manifestement une arme efficace conçue par l’Inquisition tolédane pour endiguer un phénomène de libéralisation de la spiritualité, tout en garantissant la pérennité de l’institution[48] : à partir de l’Édit de Tolède, tout spirituel inspiré faisant part de ses expériences mystiques, tout prédicateur laïc autoproclamé et toute personne prêchant un chemin raccourci vers la perfection sans la médiation de l’Église, devenait un possible « alumbrado ». Et si l’habit ne fait pas toujours le moine, il se pourrait bien que le nom ait ici suffi à faire l’hérétique…

Références bibliographiques

Sources anciennes

Cazalla, Juan de [1542], Lumbre del alma, edición de J. Martínez de Bujanda, 1974, Madrid, Fundación Universitaria Española [1542, Sevilla, Cromberger].

Osuna, Francisco de, 1527, Tercera parte del libro llamado Abecedario espiritual, Toledo, Remon de Petras [pour l’édition moderne de López Santidrián, voir Místicos españoles II, 2005].

Osuna, Francisco de, 1530, Ley de amor y cuarta parte del Abecedario espiritual, s. l., [pour l’édition moderne, voir Garbay-Velázquez 2011].

« Proçeso de Pedro de Alcaraz, vezino de Guadalajara », [1524-1529], Archivo Histórico Nacional (Madrid), Inquisición de Toledo, leg. 106, exp. no 5.

Proceso de Fr. Francisco Ortiz, [1529-1532] in El Santo Oficio de la Inquisición. Proceso de Fr. Francisco Ortiz (1529-1532), ed. de Ángela Selke, 1968, prólogo de José Luis Aranguren, Madrid, Ediciones Guadarrama.

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Waddingo Hiberno, A.R.P. Luca, 1786 (1625), Annales minorum, Romæ, Typis Rochi Bernabé, tomus XVI, & XVIII.

Appareil critique

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Avalle Arce, Juan Bautista, 1994, Cancionero del Almirante Don Fadrique Enríquez, Barcelona, Quaderns Crema.

Bataillon, Marcel, 1998, Érasme et l’Espagne, Genève, Droz, [1937, 1ère éd.].

Garbay-Velázquez, Estelle, 2011, Étude et édition annotée du Quatrième Abécédaire spirituel de Francisco de Osuna (1530), thèse de doctorat inédite, Université de Toulouse II- Le Mirail, 2 vol.

Márquez, Antonio, 1980, Los alumbrados. Origen y filosofía (1525-1559), Madrid, Taurus, segunda edición, corregida y aumentada [1970 1ère éd.].

Menéndez Pelayo, Marcelino, 2000, Historia de los Heterodoxos Españoles, Madrid, BAC [1987 1a edición].

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Pacho, Eulogio, 2008, El apogeo de la Mística Cristiana. Historia de la Espiritualidad Clásica Española, Burgos, Monte Carmelo.

Pastore, Stefania, 2010, Una herejía española. Conversos, alumbrados e Inquisición (1449-1559), Madrid, Marcial Pons Historia.

Pérez, Joseph, 2005, La Inquisición española. Crónica negra del Santo Oficio, Madrid, Martínez Roca∙ ediciones.

Ros, Fidèle de, 1936, Un maître de Sainte Thérèse. Le père François d’Osuna. Sa vie, son œuvre, sa doctrine spirituelle, Paris, Gabriel Beauchesne.

Notes

[1] Estelle Garbay-Velázquez est maître de conférences à l’université de Dijon depuis 2013. Sa thèse – soutenue en 2011 et à ce jour inédite – consiste en une étude et une édition annotée du Quatrième Abécédaire spirituel de Francisco de Osuna. Elle a publié divers articles sur l’œuvre d’Osuna et la littérature spirituelle du XVIe siècle dans différentes revues (Mélanges de la Casa de Velázquez, Revue d’Histoire des Religions, Études franciscaines, Cahiers d’Etudes des Cultures Ibériques et Latino-américaines). Contact: estelle.garbay-velazquez@u-bourgogne.fr

[2] Márquez 1980, 63-65: « En una España comunera, una secta de alumbrados, contemporánea y afín a los anabaptistas europeos, no era cosa de broma. Los inquisidores juzgan y organizan las denuncias con el peligro luterano en mientes ».

[3] Waddingo Hiberno 1786, t. XVI, & XVIII, p. 189.

[4] Edicto de los alumbrados de Toledo, 23 de septiembre de 1525, fo 9 ro-vo, dans Márquez 1980, app. I, pp. 229-238.

[5] Pacho 2008, p. 291.

[6] Asensio 2000, 77, note 66: « De los aluminados. Los aluminados padescen dolencia / de ser putos, y es muy absurda y muy ciega / y desta en Italia diz que hay pestilencia / y en nuestras partidas, si no hay resistencia, / en algunos buenos y honrados se pega […] ».

[7] Menéndez Pelayo 2000, tome II, Livre V, ch. 1.

[8] Márquez 1980, pp. 70-71.

[9] Osuna 1530, fo 119 vo.

[10] Ibid., fo 146 vo.

[11] Cazalla 1542, II, cap. 15.

[12] « Proçeso de Pedro de Alcaraz… », fo 6 ro et 8 ro.

[13] Ros 1936, 77 : le terme « alumbrado » désignait vers 1515 « des personnes adonnées à la piété et à une dévotion plus intense ; et cela, je le veux bien, avec une légère pointe d’ironie, comme on dirait aujourd’hui d’un religieux au zèle excessif : « c’est un mystique ».

[14] «Proçeso de Pedro de Alcaraz…», fo 8 ro.

[15] Ibid., fo 178 vo (188 vo).

[16] Proceso contra María de Cazalla, fo 72 vo/pp. 208-209.

[17] Ibid., fo 75 ro/pp. 215.

[18] Bataillon 1998, p. 180.

[19] Pastore 2010, p. 169.

[20] Ros 1936, p. 83.

[21] Edicto 1525, dans Márquez 1980, ap. I, pp. 229-238.

[22] Sumario del proceso contra Pedro Ruiz de Alcaraz, dans Márquez 1980, ap. II, p. 246.

[23] Ibid., prop. 24, dans Márquez 1980, pp. 246-247.

[24] Selke 1968, p. 248.

[25] Garbay-Velázquez 2011, pp. 98-108.

[26] Osuna 1530, fo 94 ro.

[27] Ibid., fo 114 ro.

[28] Avalle Arce 1994, pp. 450-452.

[29] Voir Osuna 1530, cap. 26, fo 109 ro-vo ; cap. 27, fo 111 ro ; cap. 32, fo 133 ro, à titre d’exemple.

[30] « Proçeso de Pedro de Alcaraz… », f394 ro.

[31] Osuna 2005 [1527], p. 207.

[32] Osuna 1530, fo 107 ro.

[33] Proceso contra Francisco Ortiz, f41 vo, cité par Selke 1968, p. 232.

[34] Edicto 1525, dans Márquez 1980, ap. I, pp. 232-233.

[35] « Proçeso de Pedro de Alcaraz… », fo 32 vo.

[36] Asensio 2000. Voir plus précisément le chapitre « Alumbrados. ¿Erasmismo o franciscanismo ? », 75-96. D’après lui, l’illuminisme serait « la branche bâtarde du grand arbre de la piété franciscaine » (Asensio 2000, p. 75).

[37] Pastore 2010, pp. 230-231.

[38] « Sumario del proceso de Pedro Ruiz de Alcaraz », dans Márquez 1980, ap. III, p. 251.

[39] Edicto 1525, dans Márquez 1980, ap. II, p. 237.

[40] « Proçeso de Pedro de Alcaraz… », fo 32 vo.

[41] Ibid., fo 29 vo; 31 vo.

[42] Thomas d’Aquin, Somme Théologique, IIa-IIae, qu. 24, ar. 9.

[43] Voir Asensio 2000, 78 : « En estas comunidades de perfectos se respeta, más que la autoridad jerárquica, la inspiración del espíritu. Hay en la exaltación neumática de los alumbrados mucho de sustancia católica y un riesgo constante de pasar las fronteras de la ortodoxia, menospreciando la jerarquía no legitimada por el Espíritu y persiguiendo sueños y quimeras legados por el Evangelio eterno de Joaquín de Fiore y las sectas medievales ».

[44] Voir note 35.

[45] Márquez 1980, p. 81.

[46] Selon le Diccionario de Autoridades, le mot « secta » désigne au Siècle d’or « l’erreur ou la fausse religion, divergeante ou séparée de la véritable Religion Catholique Chrétienne, enseignée par quelque maître reconnu ».

[47] La spiritualité alumbrada n’est pas sans rappeler le groupe hérétique de Durango, condamné près d’un siècle plus tôt, qui était également lié au franciscanisme (voir Cabanelas 1950, « Un franciscano heterodoxo en la Granada nasrí, fray Alfonso de Mella », Al-Andalus, no15).

[48] La construction de la nouvelle hérésie « alumbrada » en 1525 répondait certainement aussi, comme l’a rappelé Joseph Pérez, à un besoin du Saint-Office de trouver de nouveaux débouchés dans la lutte contre les hérétiques, à un moment où il semblait y avoir moins de convertis judaïsants à poursuivre. Il en allait, par conséquent, de la justification du maintien de l’appareil répressif inquisitorial et de sa pérennité (voir Pérez 2005, p. 121).